Liban : à l’intérieur de l’arsenal du Hezbollah
Le groupe armé libanais Hezbollah a exhibé la semaine dernière une partie de son arsenal et de sa puissance de combat jusqu’alors secrets, invitant la presse à visiter l’un de ses centres d’entraînement dans le sud du Liban.
Ces vingt dernières années, ce groupe chiite soutenu par l’Iran a connu une ascension jusqu’à devenir l’acteur non étatique le plus armé au monde, selon un rapport du Centre d’études stratégiques et internationales.
Pendant deux heures d’exercice militaire à Aaramta, village du district de Jezzine, l’organisation a fait étalage de toute une gamme d’armes de petit calibre, d’armes légères et d’armes lourdes. Fait notable, un nombre significatif de missiles guidés antichars, de systèmes portatifs de défense aérienne, ainsi que des drones armés et non armés ont été déployés, selon Armament Research Services, une société de conseil spécialisée dans les renseignements d’ordre technique.
Hachem Safieddine, cadre du Hezbollah, a déclaré lors de l’événement que cette vitrine restait « modeste », une grande partie des armes les plus destructrices du groupe étant demeurées hors de vue.
Le Hezbollah a été la seule faction libanaise autorisée à conserver ses armes après la fin de la guerre civile (1975-1990), dans le but de combattre l’occupation israélienne du Sud-Liban, laquelle a pris fin avec le retrait des forces israéliennes en l’an 2000.
Depuis 2006 et les 34 jours de combats entre le Hezbollah et Israël, son arsenal militaire s’est « développé rapidement », indique à Middle East Eye Souhayb Jawar, chercheur libanais spécialiste des mouvements politiques islamistes.
On estime désormais que le groupe possède un stock de 130 000 roquettes et missiles et compte quelque 20 000 combattants actifs ainsi que 20 000 réservistes sous ses ordres. Le Hezbollah dispose également d’un vaste réseau qui transporte les armes en Syrie et au Liban, principalement par convois aériens et terrestres via l’Irak, selon le chercheur.
Si ses combattants et ses armes sont avant tout un moyen de dissuasion contre une intervention de l’armée israélienne au Liban, le Hezbollah soutient aussi le programme régional de l’Iran et a joué un rôle dans les conflits en Syrie, en Irak et au Yémen.
Le Hezbollah « est devenu plus fort que toute autre division militaire au Liban », insiste Souhayb Jawar.
La force du groupe est alimentée par ses croyances religieuses, son objectif déclaré de défense du Liban contre Israël et un immense soutien financier de la part de l’Iran.
Drones et anti-drones
Le Hezbollah a dévoilé deux brouilleurs portatifs anti-drones lors de l’exposition de la semaine dernière – des modèles inconnus.
Les armes anti-drones se font essentielles avec la prolifération des petits drones dans la guerre moderne. Ces armes portables peuvent perturber des petits drones que les systèmes traditionnels de défense aérienne ne peuvent détecter et les désactiver sans provoquer de dommages matériels, ce qui permet de récupérer des renseignements.
Un large éventail d’armes anti-drones sont développées par les États et des entreprises commerciales, certaines sont même produites de manière artisanale et vendues sur internet, selon Armament Research Services (ARES), qui a aidé MEE à identifier les armes mentionnées dans cet article.
Maniables et rentables, les drones peuvent fournir d’immenses avantages aux acteurs non étatiques, tels que le Hezbollah, qui a révélé l’année dernière qu’il avait fabriqué des drones militaires au Liban.
Un brouilleur portatif anti-drones lors de l’exposition militaire (Al-Manar TV/Twitter)
Des octocoptères « à charge lourde », dont le fabricant est inconnu, ont également été exhibés lors de l’événement destiné aux médias. Ils sont équipés de munitions improvisées à vecteur aérien (IADM).
Ces drones sont souvent utilisés pour survoler les positions ennemies et peuvent larguer leurs munitions avec une « précision remarquable », selon ARES.
Des drones similaires ont été utilisés en Ukraine, en Syrie et en Irak, où ils ont largué des munitions sur des écoutilles ouvertes de véhicules blindés de combat, par exemple.
Autre utilisation possible, ce drone peut être doté d’équipement optique et utilisé pour des missions de surveillance et de renseignements. Ce drone était probablement un article commercial standard.
Octocoptères à charge lourde équipés de munitions improvisées à vecteur aérien (AP)
Par ailleurs, l’Iran a accéléré sa production de drones et les distribue en grands nombres à ses supplétifs régionaux. Le second drone exposé était probablement un Rased ou Rased-1, réplique iranienne du drone chinois Skywalker, d’après ARES.
Ce drone semble ne pas être armé, ce qui indique qu’il sert très probablement à la surveillance, bien que ce modèle puisse également être utilisé à des fins de combat.
L’année dernière, lors des négociations tendues sur la frontière maritime, l’armée israélienne a intercepté trois drones non armés lancés par le Hezbollah qui se dirigeaient vers un gisement gazier offshore dans les eaux disputées de la Méditerranée.
L’arsenal de missiles et roquettes du Hezbollah se compose principalement de petites roquettes d’artillerie non guidées et portatives, lesquelles – malgré un manque de précision – sont des « armes de terrorisme efficaces » en raison de leur « très grand nombre », selon un rapport de 2018 du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS).
Absence de missiles plus gros
Certains modèles de missiles balistiques plus destructeurs que possède le Hezbollah n’ont pas été exposés, observe Shaan Shaikh, chercheur au CSIS et coauteur du rapport.
Il fait référence au Fateh-110 iranien et au Scud soviétique, lesquels, avec des portées de 250 à 300 km et de 300 à 550 km respectivement, figurent parmi les armes aux plus longues portées de l’arsenal du Hezbollah. Le Scud pourrait même atteindre des cibles israéliennes depuis des territoires contrôlés par le parti dans le nord du Liban, précise le rapport.
Le Hezbollah disposerait de kits capables de transformer des roquettes non guidées standard en missiles guidés de précision, explique le chercheur à MEE. Les missiles guidés de précision (PGM) peuvent frapper une cible avec plus de précision, minimisant les dommages collatéraux et multipliant les victimes dans les rangs de l’ennemi.
Si le dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah et l’armée israélienne ont évoqué publiquement les usines basées au Liban où ces missiles sont fabriqués, il n’y a pas eu suffisamment d’utilisation en opération ou de tests enregistrés pour confirmer que le groupe possède ces kits, ajoute Shaan Shaikh.
Lors de la démonstration, le cadre du Hezbollah Hachem Safieddine a menacé d’avoir recours aux PGM, affirmant qu’en cas d’agression israélienne, les missiles « pleuvraient » sur le voisin du sud.
Le missile russe 9M133 Kornet est un missile guidé antichars (ATGM) utilisé fréquemment contre les véhicules et parfois des structures.
Le Kornet dispose d’une ogive détonante, capable de pénétrer des blindages d’une épaisseur de 1 000 à 1 300 mm. La Syrie aurait fourni ces ATGM Kornet au Hezbollah dans les années 2000-2005, selon ARES.
Autre ATGM, le Toophan iranien est une réplique rétroconçue du missile américain BGM-71 TOW.
Épine dorsale des ATGM iraniens, il a une portée jusqu’à 3 750 m et une ogive détonante de 3,6 kilos qui peut percer un blindage d’environ 550 mm d’épaisseur.
L’Iran a également fourni ses Toophan au Hezbollah au début des années 2000 et ils ont souvent été utilisés contre les chars israéliens Merkava et d’autres véhicules militaires lors de la guerre en 2006. Les combattants du Hezbollah ont également utilisé ces missiles contre l’État islamique en Syrie.
Plusieurs versions de lance-roquettes multiples (LRM) de facture artisanale ont été exhibés, adaptés à des camions civils, y compris des LRM de 122 mm et de 107 mm. Le 122 mm peut lancer sa salve de 32 roquettes en 20 secondes à une distance maximale de 20 à 35 km.
Bien que le lance-roquettes soit artisanal, les roquettes elles-mêmes sont probablement fournies par l’Iran. Le Hezbollah a utilisé ces LRM contre des cibles en Israël à plusieurs occasions, observe ARES.
Le RPG-29 Vampir russe est un lance-roquettes réutilisable de l’ère soviétique. Il a une portée d’environ 500 m et peut pénétrer un blindage de 1 500 mm.
Les Vampir ont été utilisés contre les chars israéliens Merkava au Liban, blessant ou tuant les membres d’équipage dans certains cas.
L’Iran en produirait une réplique, mais le Hezbollah a probablement acquis cette arme via la Syrie car elle ressemble davantage au modèle soviétique.
Autre pièce de l’exposition du Hezbollah : les MANPADS QW-18 sino-iraniens (systèmes portatifs de défense antiaérienne), brandis par des combattants à moto.
Les QW-18 sont des systèmes portatifs de défense antiaérienne qui peuvent être utilisés contre des cibles à faible et très faible altitude et qui vont à plus de 300 m/s.
Ces armes constituent une protection peu onéreuse contre les menaces aériennes conventionnelles, comme les missiles antinavires, les avions de combat, les hélicoptères et les drones.
Ils sont presque certainement fournis par l’Iran, qui assemblerait la plupart des pièces chinoises du QW-18 pour le Misagh-2, selon ARES. Les MANPADS exposés lors des parades précédentes comportaient souvent un mélange de composants iraniens et chinois. Lors de la dernière parade, les armes disposaient de viseurs thermiques iraniens.
Le ZU-23-2 est un canon antiaérien bitube de 23 mm développé par les soviétiques et conçu pour engager des cibles à faible altitude.
Cette arme d’appui des moyens au sol est une arme petite et simple offrant une grande capacité de tirs.
Elle a été fréquemment utilisée à travers le Moyen-Orient, en particulier par le Hezbollah et d’autres acteurs non étatiques dans la guerre syrienne.
Deux modèles de canons d’artillerie ont également été exhibés : le canon antiaérien russe AZP S-60 et le M-46 130 mm iranien.
Ils sont généralement utilisés contre des véhicules, des structures et les forces ennemies en terrain ouvert et ont une portée d’environ 61 km et 27,2 km respectivement.
Le véritable avantage du Hezbollah réside dans sa tactique de guerre terrestre, comme l’a démontré un exercice au cours duquel les combattants ont sauté à travers des cerceaux en feu, montré leur aptitude au combat au couteau en corps à corps et tiré à l’aide de fusils russes AK-103 et AK-104 contre des cibles ornées du drapeau israélien.
Le AK-104 au canon plus court est parfois associé avec des formations d’élite des groupes armés non étatiques et provient très probablement de Syrie, qui a précédemment reçu un certain nombre de AK-103 et AK-104 de Russie.
Les combattants disposent également de fusils de précision russes Orsis T-5000, que le groupe a certainement acquis via la Syrie ou l’Irak – ces armes sont utilisées par l’armée syrienne ainsi que les milices chiites affiliées à l’Iran en Irak, indique ARES.
Autre pièce exposée : un lance-grenades collectif léger AGS-17, monté sur deux mitrailleuses PKM à usage général (très certainement des Type 80 chinoises). Cette configuration est utilisée principalement comme véhicule de soutien d’infanterie ou comme plateforme d’attaque « shoot-and-scoot » (tirer et se tirer).
Le lance-grenades est capable de tirer rapidement plusieurs salves de grenades sur une distance de 800 m à 1 700 m.
Un lance-grenades plus puissant – calqué sur le MK-19 – a également été exposé. Le MK-19 peut lancer ses grenades à une distance maximale de 2 200 m, bien que sa portée efficace sur une cible donnée soit d’environ 1 500 m. Les grenades de 40 mm ont un rayon de létalité d’environ 500 m, en fonction du modèle.
Les plus communes sont hautement explosives et à double emploi (HEDP). Par ailleurs, les types fréquents peuvent pénétrer un blindage d’environ 50 mm, selon ARES.
Le MK-19, contrairement au AGS-17, ne serait pas courant dans l’arsenal du Hezbollah. ARES suggère qu’il peut avoir été pris aux forces de sécurité libanaises. Le modèle exposé lors de l’événement n’avait pas de caractéristiques clés d’une réplique iranienne.
En outre, les canons sans recul de type M40 106 mm, probablement des répliques iraniennes du M40 américain, jouent un rôle antichars et antipersonnel.
Les M40 sont depuis longtemps populaires en Iran et dans les groupes fournis par l’Iran, et sont répandus dans la région.
L’exercice militaire du Hezbollah était un rappel à Israël, à l’Iran et au peuple libanais de sa capacité et de son rôle militaire.
Cette démonstration était un « avertissement » à l’égard de toute tentative militaire à laquelle pourraient recourir les Israéliens, estime l’analyste libanais Souhayb Jawar. Il ajoute que la manœuvre a pris un « caractère offensif » au vu des armes exposées et de la démonstration d’une incursion en Israël.
Réaction aux pressions iraniennes
Cette parade militaire s’est également tenue dans un contexte de pression croissante de l’Iran sur le Hezbollah pour qu’il s’affirme davantage dans la région, souligne Jawar. La veille de l’événement, l’ambassadeur iranien au Liban, Mojtaba Amani, avait mis en garde contre les « promesses économiques vides » pour les pays qui « se retirent de leurs capacités militaires ».
Le Hezbollah a commencé à retirer progressivement ses forces de Syrie, fait observer Souhayb Jawar, tandis qu’Israël accroît ses frappes contre des sites de l’Iran et ses supplétifs dans le pays.
Cet exercice militaire était également un rappel du Hezbollah à ses partisans libanais de son stock d’armes et de son refus d’engager un quelconque désarmement. L’événement pourrait être un étalage de détermination avant les élections parlementaires, pour lesquelles les campagnes de différents groupes politiques se sont concentrées sur le sujet du désarmement du Hezbollah.
Un Libanais de 22 ans a déclaré à MEE après cette manifestation que cette vitrine d’armes avait « renforcé ses sentiments » pour le Hezbollah : « Ce que j’aime à propos du Hezbollah, c’est qu’il ne combat pas juste pour lui-même… Il défend le peuple libanais. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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