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Posidonie de Méditerranée : la plante marine qui protège la vie en Méditerranée et alentour

Cette plante aquatique polyvalente également connue sous le nom d’herbe de Neptune est le fondement de l’écosystème méditerranéen – mais sa survie est gravement menacée par l’activité humaine
L’artiste conceptuel Miguel Soler-Roig réfléchit au mystère de la posidonie dans son œuvre Posidonia Deep Dance (avec son aimable autorisation)
L’artiste conceptuel Miguel Soler-Roig réfléchit au mystère de la posidonie dans son œuvre Posidonia Deep Dance (avec son aimable autorisation)

Au fond de la Méditerranée, au large des côtes nord-africaines, se profile une crise écologique non moins grave dans ses conséquences que l’abattage des forêts tropicales.

L’herbe marine de l’espèce Posidonia oceanica, également appelée algue méditerranéenne ou herbe de Neptune, est en déclin rapide. Et ceci est une source d’inquiétude majeure dans la mesure où la plante capte le dioxyde de carbone et produit de l’oxygène en plus grande quantité par mètre carré que la forêt amazonienne.

Pour faire simple, la plante, qui apparaît en bouquets de 30 à 120 centimètres de long et recouvre des pans entiers des fonds marins, agit comme les poumons de la Méditerranée.

Son importance est parfois un peu difficile à apprécier, surtout lorsqu’on la voit rejetée par les vagues sur les plages méditerranéennes en hiver.

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Lorsqu’elle finit sur le rivage, elle est souvent considérée comme un désagrément esthétique pour les sites touristiques, au lieu d’être appréciée pour ce qu’elle est véritablement : un « or vert » contribuant à un système unique plage-dunes qui protège les côtes.

Les herbiers formés par la plante constituent un habitat pour des espèces fragiles comme l’hippocampe (Hippocampus ramulosus) et la moule géante, désormais difficiles à trouver.

Cette herbe méditerranéenne pourrait également être l’une des espèces vivantes les plus anciennes. L’âge de certaines prairies sous-marines de posidonies peut dépasser les 80 000 ans.

Mythologie et art

La plante porte le nom de l’ancien dieu grec de la mer Poséidon – connu des Romains sous le nom de Neptune – qui, dans la mythologie, non seulement déclenchait des tempêtes, des inondations, des tremblements de terre et d’autres catastrophes, mais protégeait également les marins et leurs navires.

Pour les cultures méditerranéennes profondément façonnées par les traditions et le commerce maritimes, l’incarnation animiste de la mer dans un dieu majeur comme Poséidon était toute naturelle. La mer était la source de leurs moyens de subsistance et de leur prospérité, et l’aura divine de Poséidon résonnait bien au-delà des contrées grecques.

Posidonia oceanica est donc imprégnée d’un symbolisme qui évoque de grands déluges mythiques, des rêves submergés d’éternité et les mystères de créatures merveilleuses, telles les sirènes.

Ces symboles culturels associés à la plante continuent d’inspirer les artistes aujourd’hui.

Les herbiers de posidonie peuvent vivre plus de 100 000 ans (Flickr/Nicolas Cimiterra)
Les herbiers de posidonie peuvent vivre plus de 100 000 ans (Flickr/Nicolas Cimiterra)

L’artiste conceptuel espagnol Miguel Soler-Roig a découvert la plante pour la première fois en 1978, à Ibiza. Un pêcheur lui avait parlé d’une plante qui lui était jusqu’alors inconnue et que l’artiste avait vue sur une plage de la baie de San Antonio, sur la côte sud de l’île.

Soler-Roig a exploré les profondeurs de l’île dans Atlantis & Posidonia (2018), une série mystique qui revisite les rives fascinantes d’Es Vedrá, une île rocheuse magnétique au large d’Ibiza autrefois considérée comme un refuge pour les sirènes et le lieu de naissance de la divinité carthaginoise Tanit.

Une forêt de posidonie relie les îles d’Ibiza et de Formentera, explique l’artiste. Selon d’autres récits, ce long herbier, désormais menacé par le forage pétrolier, la bétonisation du littoral, la pollution et les changements climatiques, s’étend entre les deux îles depuis plus de 100 000 ans, les dotant toutes deux d’une mer turquoise parfaite.

Dans Posidonia Deep Dance (2018) de Soler-Roig, une femme incarne la plante avec grâce, imitant symboliquement ses ondulations naturelles. Dans l’œuvre, posidonia oceanica est une idée fixe qui respire, un langage poétique et une porte ouverte vers des légendes anciennes reliant les différents lieux de la région méditerranéenne.

Mais alors même que les artistes méditent sur son symbolisme, le sort de la plante est de plus en plus incertain.

Une forêt sous-marine en déclin

En 2017, la Mediterranean Wetlands Initiative (MedWet), un réseau intergouvernemental régional vieux de 30 ans, estimait que la posidonie couvrait environ 25 % des fonds marins du littoral entre 0 et 40 mètres de profondeur, du détroit de Gibraltar à la mer de Marmara. Or, ce nombre était plus élevé auparavant.

Selon une étude de 2015, les 50 dernières années ont vu un déclin ou une dégradation de 34 % de l’aire de répartition de la plante. La situation a sans doute empiré depuis. Ceci est important étant donné que 50 à 80 % de notre oxygène provient d’organismes vivant dans les océans et les mers.

La posidonie est donc un don en péril à l’échelle de la Méditerranée. Un atelier national organisé en Turquie a reconnu pour la première fois en 2013 l’importance de la plante protégée et de sa préservation, ainsi que la nécessité d’un plan de sauvegarde.

C’est en Tunisie que l’avenir des herbiers est le plus préoccupant. Dans ce pays, la plante marine est une source majeure de revenus pour les communautés côtières. Le biologiste marin tunisien Yassine Ramzi Sghaier estime que la posidonie contribue directement aux moyens de subsistance de 150 000 personnes dans le secteur de la pêche et de nombreuses autres dans le tourisme.

Les herbiers de Posidonia oceanica sont une partie importante des écosystèmes marins autour de la côte méditerranéenne (Flickr/Jean-Marc-Kuffer)
Les herbiers de Posidonia oceanica sont une partie importante des écosystèmes marins autour de la côte méditerranéenne (Flickr/Jean-Marc-Kuffer)

Le tourisme, lié à l’emploi et aux réserves de change, représentait 8 % du PIB de la Tunisie en 2019. Le pays, qui attirait 9,5 millions de touristes avant la pandémie, est largement connu pour ses plages immaculées, de l’île de Djerba à la station balnéaire d’Hammamet.

Or son attractivité repose sur cette super-plante, dans la mesure où celle-ci freine l’érosion côtière et donne aux plages l’aspect désiré par les touristes. Mais la pollution, les techniques de pêche agressives et le manque de sensibilisation menacent sérieusement les herbiers.

Dans le golfe de Gabès, les grandes usines de phosphate rejettent souvent leurs déchets directement dans la mer, sans traitement préalable. Une étude de 2016 a montré une concentration de métaux toxiques tels que le cadmium, le cuivre, le plomb, le nickel et le zinc dans les feuilles de posidonie au large de Port El-Kantaoui en Tunisie. La plante est donc un irremplaçable indicateur biologique et environnemental de suivi de la qualité de l’eau.

La production tunisienne de phosphate, composante importante de la fabrication d’engrais, a doublé au premier trimestre 2022 par rapport à l’année précédente. Le golfe de Monastir est également menacé de pollution avec sa station d’épuration qui transforme la zone en un « triangle de la mort », selon la population locale.

Cela s’inscrit dans un contexte de tendances plus vastes qui menacent la région méditerranéenne. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la Méditerranée est en passe de devenir une mer de plastique. L’équivalent de 500 conteneurs maritimes de plastique s’y déverse chaque année, soit plus de 200 000 tonnes.

Ceci représente un danger pour la santé humaine et la vie marine : selon les projections, le volume de plastique qui pollue la mer pourrait doubler d’ici 2040. Posidonia oceanica peut aider à piéger le plastique, mais ne peut pas faire grand-chose en l’absence de prise de responsabilité collective à l’échelle humaine.

Le développement côtier rapide et non réglementé, mais aussi les chaluts et les ancres qui dévastent les fonds marins représentent des menaces supplémentaires pour la plante et d’autres organismes marins. Ces pratiques contribuent à la diminution des herbiers de posidonie et à des déséquilibres marins plus importants.

Mesures protectives

« Il est interdit de mouiller, tout bateau contrevenant sera verbalisé », déclare Soler-Roig à propos de l’aire marine protégée de Formentera et de ses 7 600 hectares d’herbiers.

L’île, qui applique la réglementation, a également lancé un projet intitulé Save Posidonia dans le cadre d’un effort plus vaste visant à préserver le site et à promouvoir le tourisme durable.

Une solution pour préserver les herbes marines du trafic maritime élevé pendant la haute saison touristique et le raclage agressif des fonds marins pourrait être la généralisation de l’éco-ancrage (par exemple, l’ancre Harmony) et des options d’éco-amarrage.

L’éco-amarrage et l’éco-ancrage fonctionnent différemment des méthodes traditionnelles en évitant tout contact direct avec des espèces menacées, par exemple en bannissant l’utilisation de lignes de mouillage lourdes.

L’écologiste marin Rym Zakhama-Sraieb, de la faculté des sciences de l’Université de Tunis, affirme que la posidonie couvre environ 10 000 km² le long du littoral tunisien, plaçant les prairies du pays parmi les plus vastes du bassin méditerranéen.

Herbes marines séchées sur une plage des îles Baléares (Flickr/Charlotte Nadadora)
Herbes marines séchées sur une plage des îles Baléares (Flickr/Charlotte Nadadora)

La chercheuse s’inquiète de la disparition de la plante, qu’elle étudie depuis des années. Des engagements internationaux existent, tels que la Convention de Berne (1979) et la directive 92/43/CEE du Conseil de l’Union européenne concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages.

Et en Tunisie, au moins douze aires marines protégées existantes et en projet comprennent des herbiers de posidonie identifiés et protégés. « Mais le chemin est encore long », prévient Rym Zakhama-Sraieb.

Pour inverser la tendance actuelle, « le respect et l’application des règles existantes, la création de zones spéciales de protection côtières et marines et la sensibilisation du grand public » sont nécessaires, ajoute-t-elle.

Rym Zakhama-Sraieb a même traduit en français et en arabe un livre pour enfants sur la plante publié originellement en espagnol afin d’informer le public de son importance et contribuer aux ressources sur les herbiers accessibles au public.

Les efforts nationaux de surveillance et de protection de la posidonie sont toutefois entravés par un manque de moyens humains et financiers, relève Cyrine Bouafif, experte et consultante tunisienne en biodiversité et questions environnementales. De plus, les herbiers sont fragiles ; ils poussent lentement, à un rythme d’environ 3 à 4 cm par an.

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La plante peut même ne pas repousser immédiatement, surtout si la cause de sa destruction – qu’il s’agisse de chalutiers ou de pollution – n’a pas disparu. « Cela peut prendre des siècles », prévient la spécialiste.

Pour atténuer cette perte, les scientifiques se sont tournés vers la transplantation de nouvelles pousses dans l’espoir de repeupler les prés. Mais le taux de réussite demeure faible. Pour l’instant, les dommages sont irréversibles.

Aujourd’hui, les feuilles mortes de Posidonia oceanica sont en grande partie abandonnées, considérées comme des « saletés », explique Zakhama-Sraieb. Or par le passé, la feuille connaissait une seconde vie sur terre, dans l’alimentation du bétail (feuilles et restes de fruits), comme emballage pour le poisson et le verre, comme matériau isolant dans le cas par exemple des anciens toits de chaume des communes côtières tunisiennes, et même pour remplir les oreillers.

Elle était également utilisée traditionnellement comme remède contre les varices. La posidonie de Méditerranée est en outre pourvue de propriétés anti-inflammatoires bioactives qui pourraient conduire à son extraction pharmaceutique.

Si cela est susceptible de conduire à une plus grande prise de conscience de la valeur commerciale de la posidonie, l’extraction comporte toutefois le risque de mettre davantage la plante en danger si elle n’est pas effectuée de manière responsable.

Des sociétés pharmaceutiques telles que PharmaMar étudient déjà le potentiel de la « pharmacie de la mer » en matière de brevets de traitements anticancéreux, à l’image d’autres espèces marines. Un jour, d’autres pourraient s’aventurer à étudier plus avant les bienfaits soupçonnés de la posidonie.

Cyrine Bouafif tient à rappeler que la posidonie n’est qu’une des nombreuses espèces importantes constitutives de l’habitat méditerranéen, comme l’algue rouge (Lithophyllum), l’algue brune (Cystoseira) et l’escargot de mer (Dendropoma petraeum).

Les fonds sous-marins de la Méditerranée tissent des liens culturels profondément ancrés dans le temps. Le bassin est un jardin partagé, un formidable écosystème et un hommage à une civilisation riche, qui doit rassembler nos rivages dans l’amitié et l’urgence de l’action.

Traduit de l’anglais (original).

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