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Qui sont les citoyens palestiniens d’Israël ?

Alors que la minorité palestinienne d’Israël manifeste à travers le pays, MEE s’intéresse à une communauté souvent mal comprise
En Israël, des Palestiniens portent le cercueil de Mousa Hassouna, tué lors des manifestations à Lod, le 11 mai 2021 (AFP)

L’explosion de colère qui s’est produite dernièrement dans la ville de Lod a beaucoup surpris en Israël.

Des citoyens palestiniens d’Israël ont mis à terre des symboles israéliens et hissé le drapeau palestinien dans la ville mixte, située au sein des frontières reconnues d’Israël.

Bien que les Palestiniens en Israël aient déjà soutenu régulièrement des Palestiniens des territoires occupés, l’ampleur et la nature des manifestations à Lod, Lydd en arabe, montrent que les relations entre les deux groupes sont plus fortes que jamais.

Mais cette relation a souvent été tendue. Beaucoup de Palestiniens dits de 1948 – ceux qui vivent à l’intérieur des frontières de l’État israélien, fondé en 1948 – insistent sur le fait qu’ils n’ont pas rejoint Israël, mais qu’Israël s’est joint à eux en prenant leurs propriétés. Parfois, ils utilisent le mot « occupation » pour évoquer leur statut à l’intérieur des frontières d’Israël de 1948.

Le reste du monde – ainsi que de nombreux Israéliens – comprennent encore mal l’identité et les motivations d’un groupe qui représente environ 20 % de la population israélienne.

Qui sont les citoyens palestiniens d’Israël ?

Alors que l’expression « Arabe israélien » est parfois utilisée pour parler des citoyens palestiniens d’Israël, beaucoup se disent « Palestiniens de 1948 », en référence à l’année de création d’Israël.

En 1948, l’État d’Israël a été déclaré. Pour les Israéliens, cela s’est fait après ce qu’ils considèrent comme leur guerre d’indépendance (vis-à-vis des autorités mandataires britanniques) – mais pour les Palestiniens, c’était le début de la Nakba (ou « catastrophe »).

Plus de 750 000 Palestiniens ont été expulsés ou ont fui leurs foyers pendant les combats. Les milices sionistes ont pris le contrôle de la Palestine historique à la fin du mandat, profitant du retrait des forces militaires britanniques.

Une photo datée d’avant 1937 pendant le mandat britannique en Palestine montre des Arabes manifestant dans la vieille ville de Jérusalem contre l’immigration juive en Palestine (AFP)
Une photo datée d’avant 1937 pendant le mandat britannique en Palestine montre des Arabes manifestant dans la vieille ville de Jérusalem contre l’immigration juive en Palestine (AFP)

À la fin de la guerre israélo-arabe de 1948-49, la Jordanie contrôlait la Cisjordanie et Jérusalem-Est. L’Égypte contrôlait Gaza.

Mais de nombreux Arabes palestiniens sont parvenus à rester chez eux, à l’intérieur des frontières de ce qu’on appelle aujourd’hui Israël – connues sous le nom de « frontières de 1948 ». Ils ont obtenu la nationalité israélienne – mais pas l’égalité.

Entre 1949 et 1966, ces Arabes palestiniens en Israël ont été gouvernés par un régime militaire et soumis à des couvre-feux, des arrestations et l’obligation de se munir de permis pour se déplacer. Ils ont également été expulsés de leurs maisons et de leurs terres, qui étaient souvent données à des colons juifs ou à des organismes soutenus par l’État.

Depuis 1966 et la fin du régime militaire, les citoyens palestiniens d’Israël ont exprimé davantage publiquement leur conscience politique.

On peut citer des événements tels que la Journée de la Terre, qui marque le meurtre en 1976 de six Palestiniens non armés qui manifestaient contre les expropriations menées en Galilée par l’État israélien. Elle est maintenant commémorée chaque année et c’est devenu une contestation de la colonisation israélienne, à l’occasion de laquelle des organisations politiques, dont le Parti communiste israélien et les Black Panthers, ont réuni Palestiniens et juifs de gauche et de pays arabes.

Des citoyens palestiniens d’Israël manifestent en mars 1976 à Nazareth lors d’une grève pour protester contre les expropriations menées par le gouvernement israélien (AFP)
Des citoyens palestiniens d’Israël manifestent en mars 1976 à Nazareth lors d’une grève pour protester contre les expropriations menées par le gouvernement israélien (AFP)

Néanmoins, les citoyens palestiniens d’Israël se sont souvent retrouvés dans une situation difficile.

Il fut un temps où certains citoyens palestiniens d’Israël ont essayé de dissimuler leur identité en adoptant des noms juifs et en ne parlant qu’hébreu entre eux, mais ils ont été méprisés par la diaspora palestinienne et les Palestiniens des camps de réfugiés.

Pendant longtemps, des gouvernements arabes les ont également considérés avec méfiance parce qu’ils avaient accepté la nationalité israélienne et s’impliquaient dans les institutions du pays.

En Israël, ils sont souvent considérés comme des traîtres. Leurs organisations et partis sont régulièrement interdits et leurs dirigeants sont poursuivis.

Sont-ils des citoyens à part égale ?

Les partisans d’Israël détournent régulièrement les accusations d’« apartheid » portées contre l’État en soulignant les droits dont jouissent les citoyens palestiniens d’Israël, ainsi que le succès de personnalités publiques de premier plan issues de la communauté palestinienne.

Cet argument passe volontairement à côté de l’essentiel : à savoir que l’étiquette « apartheid » est généralement utilisée pour critiquer le traitement des Palestiniens dans les territoires occupés, y compris la Cisjordanie et Gaza.

Des Palestiniens se rassemblent en mars 1998 à Sakhnin à l’occasion de l’anniversaire du meurtre de six Palestiniens israéliens protestant contre les confiscations de terres par Israël (AFP)
Des Palestiniens se rassemblent en mars 1998 à Sakhnin à l’occasion de l’anniversaire du meurtre de six Palestiniens israéliens protestant contre les confiscations de terres par Israël (AFP)

Il est également inexact de dire que les citoyens palestiniens d’Israël jouissent de l’égalité des droits et du même statut que les Israéliens juifs.

La discrimination a principalement trait à la propriété foncière. Le Fonds national juif (JNF), un organisme international soutenu par l’État fondé en 1901 dans le but d’acheter et de distribuer des terres dans la Palestine historique, posséderait environ 13 % de l’ensemble des terres israéliennes.

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Une partie de la mission du JNF est de distribuer les terres qu’il possède uniquement aux juifs, ce qu’Adalah, la principale organisation de défense des droits des minorités en Israël, qualifie de « politique discriminatoire [qui] contribue à l’institutionnalisation dans tout l’État de villes et villages où règne la ségrégation raciale ».

Adalah a dressé une nouvelle liste de lois israéliennes qui discriminent explicitement ses citoyens arabes.

En 2018, dans un exemple flagrant de discrimination législative, la Knesset (le Parlement) a adopté la loi sur l’État-nation qui stipule officiellement, selon les propres mots du Premier ministre Benyamin Netanyahou, qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif – et seulement lui ».

Conclusion : les citoyens palestiniens d’Israël ont certes plus de droits que les Palestiniens dans les territoires occupés, notamment le droit de voter et d’être élus à des fonctions publiques, d’être jugés par des tribunaux civils (et non pas militaires), etc., mais il existe une multitude de lois qui les réduisent à des citoyens de seconde zone par rapport aux Israéliens de confession juive.

Arabes israéliens ou Palestiniens ?

Les relations entre les citoyens palestiniens d’Israël et leur identité israélienne, arabe ou palestinienne sont complexes.

Des sondages réalisés en 2003 et 2017 montraient que la majorité de la population arabe d’Israël se considère comme « palestinienne », bien qu’une autre enquête menée en avril 2020 par le Jewish People Policy Institute semble suggérer le contraire.

Quoi qu’il en soit, depuis la création d’Israël, les gouvernements successifs et la plupart des médias ont presque toujours utilisé le terme « Arabe israélien » pour parler des citoyens palestiniens.

L’ancienne Première ministre israélienne Golda Meir, photographiée en 1973, avait nié qu’il y avait « un peuple palestinien en Palestine » (AFP)
L’ancienne Première ministre israélienne Golda Meir, photographiée en 1973, avait nié qu’il y avait « un peuple palestinien en Palestine » (AFP)

Cette initiative est considérée par ses détracteurs comme une tentative visant à effacer l’identité palestinienne, qui rappelle la déclaration tristement célèbre de l’ancienne Première ministre israélienne Golda Meir en 1969 : « Ce n’est pas comme s’il y avait un peuple palestinien en Palestine, que nous étions venus les jeter dehors et que nous leur avions pris leur pays. Ils [les Palestiniens] n’existaient pas. »

Alors que certains Palestiniens en Israël se qualifient de « Palestiniens de 1948 », d’autres ailleurs se décrivent comme les « Palestiniens de 1967 ». Ils vivent généralement dans les zones occupées par Israël après la guerre de 1967, comme la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est. 

Quant aux citoyens druzes d’Israël – qui sont principalement concentrés autour du nord d’Israël et sur le plateau du Golan syrien occupé –, ils ont relativement tendance à s’identifier davantage comme « Arabes » ou simplement « Israéliens » que les autres communautés non juives. Bien que les Palestiniens chrétiens et musulmans soient exemptés du service militaire, les druzes israéliens ne le sont pas.

De nombreuses raisons ont été invoquées pour expliquer le statut de « minorité favorisée » accordé aux druzes en Israël. Certes, ils sont courtisés par les dirigeants sionistes depuis les années 1920, considérés comme des alliés contre les groupements chrétiens et musulmans. 

Mais au cours des dernières décennies, de nombreux druzes sont sortis du rang, invoquant des niveaux de pauvreté et de discrimination similaires à ceux connus par les musulmans en Israël. L’adoption de la loi sur l’État-nation en 2018 a porté un coup particulier à la perception des druzes comme une minorité « loyale » en Israël.

Politique et Palestiniens de 1948

Les citoyens palestiniens d’Israël sont depuis longtemps confrontés à une série de dilemmes en ce qui concerne les aspirations politiques et nationales palestiniennes.

D’une part, beaucoup veulent conserver leurs habitations ancestrales en Israël et bénéficier du niveau de vie relativement plus élevé en Israël qu’ailleurs dans la région ; d’autre part, ils s’identifient fortement au désir de nation et d’autodétermination palestinienne.

Des partisans du Parti communiste israélien manifestent place Rabin à Tel Aviv, en juillet 2014 (AFP)
Des partisans du Parti communiste israélien manifestent place Rabin à Tel Aviv, en juillet 2014 (AFP)

Les discussions autour de la solution à deux États ont été particulièrement problématiques. Dans le passé, de nombreux politiciens israéliens ont suggéré que si un État palestinien était établi, il faudrait procéder à des échanges de terres, forçant les citoyens palestiniens d’Israël à vivre dans le nouvel État palestinien en échange du départ des colons israéliens de Cisjordanie.

Pour les citoyens palestiniens d’Israël, la politique se concentre fréquemment sur les questions de droits civiques et la fin des privilèges juifs en Israël.

Historiquement, l’organisation la plus influente pour les citoyens palestiniens d’Israël a peut-être été le Parti communiste israélien. Alors que faire de la politique manifestement propalestinienne et antisioniste a été interdit pendant une grande partie de l’histoire d’Israël, le Parti communiste a offert aux citoyens palestiniens d’Israël un espace de structuration de la lutte pour les droits de la communauté de concert avec des juifs de gauche et non sionistes.

Aujourd’hui, Hadash – le successeur du Parti communiste israélien – forme le plus grand contingent de la Liste unifiée, le principal parti politique arabe en Israël. La coalition comprend une série de mouvements politiques différents, du marxiste-léniniste Hadash aux nationalistes arabes laïcs de Taal et Balad.

Jusqu’à récemment, la Liste arabe unie islamiste en était également membre, mais elle est partie en 2021 à cause de différends, notamment concernant les tendances libérales sur le plan social et laïques des autres partis.

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De nombreux membres de la Liste unifiée et de ses composantes ont été poursuivis en justice et plusieurs de leurs représentants élus à la Knesset ont vu leur immunité levée.

Une figure clé de la Liste unifiée est Ayman Odeh, son chef, qui a tenté de faire campagne sur un programme civil qui englobe à la fois les juifs et les Palestiniens d’Israël, ainsi que d’autres groupes marginalisés.

« Des semaines de répression violente et agitée de la part du gouvernement Netanyahou et l’incendie d’un territoire à Jérusalem ont explosé ce soir pour nous tous à l’intérieur », a-t-il tweeté, en hébreu, mardi dernier, en réponse aux frappes israéliennes sur Gaza.

« Rien ne justifie de nuire à des civils innocents. Rien ne justifie de nuire à un quelconque citoyen. »

« Ces jours-là en particulier, nous devons agir ensemble, Arabes et juifs, contre l’incitation à la haine et les violences, le siège et l’occupation, et pour la paix et la sécurité pour tous. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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