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Au-delà de la crise sanitaire, les ambitions qataries toujours plus fortes

Désormais sorti d’un blocus de plus de trois ans imposé par ses voisins du Golfe et l’Égypte, le Qatar se projette dans le monde post-COVID en misant sur les femmes, l’innovation et le sport, dans un esprit d’ouverture au monde
Un homme portant un masque marche le long de la corniche de Doha, capitale qatarie, le 16 mars 2020 (AFP)

Lorsque la pandémie de COVID-19 touche le Qatar, le pays prend rapidement la mesure de la crise et enclenche un vaste programme sanitaire couplé d’un plan économique de soutien et de relance de 20,7 milliards de dollars, associés à 2,7 milliards de dollars à destination de ses investissements cotés en bourse.

Si la pandémie reste sous contrôle et que l’économie ne s’effondre pas, cela se fait au prix de mesures drastiques. Ainsi le non-port du masque est-il puni de trois ans de prison et d’une amende de 200 000 riyals qataris (55 000 dollars).

Ainsi encore, l’injection d’argent public s’accompagne-t-elle de vastes plans de licenciement et de réduction des coûts. De nombreux salariés se trouvent dès lors, du jour au lendemain, sans travail ni assurance chômage et contraints de quitter le pays, sauf à retrouver un nouvel emploi au plus vite. Ceux qui restent voient bien souvent leur salaire réduit tout en devant assumer une charge de travail plus importante.

Résilience et force d’adaptation

La crise sanitaire agit comme un révélateur de ce qu’est le Qatar : une puissance économique qui n’hésite pas à trancher dans le vif pour préserver sa stabilité et son indépendance.

Comme lors du déclenchement du blocus initié par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte en 2017 – et qui a pris fin en janvier dernier –, le Qatar agit vite et s’adapte, quitte à sacrifier, parfois, des emplois occupés par les nombreux étrangers présents sur son territoire.

La crise sanitaire agit comme un révélateur de ce qu’est le Qatar : une puissance économique qui n’hésite pas à trancher dans le vif pour préserver sa stabilité et son indépendance

Ces décisions énergiques peuvent surprendre. Elles sont en réalité fort logiques. On oublie en effet trop souvent que, sur l’ensemble de la population, seuls 10 % sont Qataris. Les autorités défendront toujours les intérêts de leurs ressortissants, largement minoritaires dans leur propre pays.

Sans être nationaliste, le Qatar, habitué à composer avec un environnement hostile – qu’il s’agisse du climat, de sa situation géographique ou de ses voisins – fait montre d’un sens de la survie très développé. Face aux crises qu’il peut traverser, résilience et force d’adaptation prévalent.

Ainsi peut-on citer les efforts déployés par le pays au moment du déclenchement du blocus, visant à pallier toute pénurie alimentaire et tendre à l’autosuffisance dans certains secteurs. Des vaches provenant essentiellement d’Allemagne et des États-Unis furent ainsi importées pour développer l’industrie laitière locale.

Diversification économique

La crise liée à la pandémie révèle une accélération des axes de développement stratégiques fixés dans la « Vision nationale 2030 ».

Malgré les turbulences, l’émirat garde le cap des objectifs fixés en 2008 : « Faire du Qatar un pays avancé d’ici 2030, capable de soutenir son propre développement et de fournir un niveau de vie élevé à l’ensemble de sa population pour les générations à venir. »

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Cette vision, qui s’appuie sur quatre piliers (développement humain, économique, social et environnemental) est relayée par des plans quinquennaux (« Stratégies de développement national »), dont le deuxième, adopté en 2018, s’achèvera en 2022, année d’accueil de la Coupe du monde de football.

Tous les acteurs de l’économie qatarie, tant du secteur public que privé, sont appelés à améliorer leur productivité tout en poursuivant leurs efforts de diversification économique. Car l’enjeu est bien là : pour assurer sa survie, le Qatar entend diversifier son économie, encore très largement dépendante de sa production de GNL (gaz naturel liquéfié).

Bien que les réserves soient immenses (24 700 milliards de m3 fin 2019) et les capacités de production en pleine expansion, la diversification économique portée énergiquement par le Qatar revêt des enjeux profonds, qui dépassent les seules considérations financières.

Il en va de la place du pays dans le Golfe. Il en va aussi de son image et de la volonté de ses dirigeants d’installer durablement sur l’échiquier géopolitique mondial un Qatar fort, indépendant, moderne et ouvert. Il en va enfin de ce que le Qatar souhaite léguer au monde : utiliser sa richesse pour contribuer au développement économique et social à l’échelle mondiale.

Les femmes à l’honneur

Vue du Qatar, la pandémie actuelle révèle cinq tendances majeures qui annoncent le monde post-COVID.

D’abord, la promotion des femmes. Loin des clichés qui associent Qatar et islamisme radical assignant les femmes à un rôle subalterne, les qataries sont actives et soutenues dans leur développement personnel et professionnel.

Loin des clichés qui associent Qatar et islamisme radical assignant les femmes à un rôle subalterne, les qataries sont actives et soutenues dans leur développement personnel et professionnel

On a pu l’observer au moment du pic de la crise sanitaire.

Lolwah al-Khater, porte-parole du Comité suprême de gestion de crise, crevait littéralement l’écran. Beaucoup ont alors découvert cette femme brillante et énergique, également porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Mais beaucoup connaissaient sans doute déjà cheikha Moza bint Nasser et cheikha Hind bint Hamad al-Thani, respectivement mère et sœur de l’émir actuel, Tamim ben Hamad al-Thani. Les trois occupent de hautes fonctions. Les trois incarnent une certaine vision de la femme qatarie. Une vision qui recoupe en très grande partie la réalité de la société.

L’émir de l’État du Qatar Sheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani (à gauche) pose avec son épouse Sheikha Moza bint Nasser Al-Missned avec le trophée de la Coupe du monde 2022 (AFP)
Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani pose avec son épouse cheikha Moza bint Nasser al-Missned avec le trophée de la Coupe du monde 2022, au siège de la FIFA à Zurich, le 2 décembre 2010 (AFP)

Au Qatar, en effet, les jeunes filles étudient et travaillent. Elles occupent désormais de nombreux postes à responsabilités, à l’instar par exemple de cheikha Alanoud bint Hamad al-Thani, jeune et dynamique directrice générale du développement du Qatar Financial Centre, qui, malgré la pandémie, poursuit sa mission avec brio via notamment des webinaires et conférences en ligne.

Si la pandémie a apporté une visibilité accrue à certains talents féminins, il est indéniable que l’avenir en verra éclore de nombreux autres.

L’innovation comme pilier de l’économie

Au Qatar comme partout dans le monde, la nécessité d’une économie digitalisée est apparue comme une évidence. Plutôt bien armé pour embrasser pleinement cette évolution (voir ainsi récemment le lancement d’un quatrième data centre, « M-VAULT 4 », par MEEZA, une joint-venture de la Qatar Foundation), le Qatar continue ses investissements en ce sens.

Se voulant un hub économique et financier mondial, le pays, à l’instar de Singapour (souvent cité en exemple), tend vers une digitalisation accrue, soutenue par une économie de la connaissance. La pandémie n’a fait que renforcer cet axe majeur.

Défilé militaire pour marquer la célébration de la fête nationale du Qatar, à Doha, le 18 décembre 2018 (AFP)
Défilé militaire pour marquer la célébration de la fête nationale du Qatar, à Doha, le 18 décembre 2018 (AFP)

Depuis quelques années, le Qatar a en outre initié de nombreux incubateurs et accélérateurs de startups. Derrière cela se cache la volonté de l’émirat de voir la jeune génération se lancer dans l’entrepreneuriat privé innovant.

Les programmes sont nombreux, accompagnés d’incitations financières qui s’adressent non seulement aux nationaux, mais aussi aux talents étrangers.

Au titre des secteurs porteurs, il faut citer la FinTech, la HealthTech mais aussi l’éducation, les technologies de l’information et de la communication, le transport et la mobilité, et enfin les smart cities.

Là encore, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer le mouvement. La tendance était là avant, mais elle sera encore plus présente dans le monde post-COVID. Le Qatar cherche activement à faire éclore sa licorne et nul doute qu’il y parviendra dans les prochaines années.

Sport et ouverture au monde

Si l’organisation de la coupe du monde 2022 suscite toutes les attentions, elle ne sera pas le point d’orgue des ambitions qataries en matière de sport. Elle marquera un aboutissement, tout en ouvrant la voie vers d’autres événements majeurs.

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La relation du Qatar au sport est récente. D’abord envisagé comme un instrument de son célèbre « soft power », le sport pénètre progressivement l’ensemble de la société qatarie. Il existe même, depuis 2012, un jour férié dédié au sport : le « Sports Day », qui a lieu chaque année le deuxième mardi du mois de février.

Vecteur de développement économique, de cohésion sociale et de rayonnement international, le sport tient et tiendra encore une place importante dans la société qatarie post-COVID.

L’histoire du Qatar est celle d’un peuple ouvert sur le monde. Un peuple dont la tradition du commerce nomade est profondément ancrée en chacun. Afin d’attirer talents et investissements étrangers, le Qatar se dote progressivement d’un arsenal juridique et réglementaire aligné sur les meilleurs standards internationaux.

Au titre des réformes récentes, il faut noter l’élargissement des possibilités d’acquisitions immobilières par les étrangers, l’instauration d’un salaire minimum, la fin du système de parrainage (kafala) qui obligeait tout salarié à requérir l’autorisation de son employeur pour changer de travail ou sortir du pays.

Très critiqué, notamment par l’Organisation internationale du travail, le kafala est désormais totalement aboli au Qatar, qui met ainsi fin à un système archaïque et parfois arbitraire. ​Bien que des abus soient encore signalés, ceux-ci sont le fait d’une minorité d’employeurs qui sont désormais clairement hors de la légalité.

La fin du blocus offre au Qatar un nouvel élan positif, la mise en œuvre de ses axes stratégiques de développement pouvant désormais se dérouler dans un environnement moins hostile et plus attractif

La pandémie n’a pas freiné l’élan de réformes sociales. Le pays, qui ne compte que 300 000 Qataris sur près de 3 000 000 de résidents, a besoin d’expertises étrangères. Cette tendance se poursuivra dans le monde post-COVID, qui, à l’aune d’une globalisation accentuée, poussera le Qatar à renforcer son attractivité.

Protégeant farouchement sa stabilité, le Qatar se projette dans le monde d’après comme il le faisait avant la pandémie. Les axes stratégiques sont fixés depuis longtemps et n’ont pas évolué depuis la crise sanitaire. En revanche, l’accélération des mutations économiques et sociales est notable. Les femmes, l’innovation, la digitalisation et le sport en sortent gagnants, le tout dans un esprit d’ouverture au monde.

Dans ce contexte, la fin du blocus offre au Qatar un nouvel élan positif, la mise en œuvre de ses axes stratégiques de développement pouvant désormais se dérouler dans un environnement moins hostile et plus attractif.

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