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Cinéma : Manele Labidi met la Tunisie sur le divan

Dans son premier long métrage, Un Divan à Tunis, la réalisatrice franco-tunisienne Manele Labidi analyse la société tunisienne post-révolutionnaire avec humour et tendresse
L’actrice Golshifteh Farahani crève l’écran dans cette comédie (capture d’écran)

Psychanalyse, Tunisie et autres péripéties : tel aurait pu être le titre de ce premier film de la réalisatrice Manele Labidi, Un Divan à Tunis. Une comédie rocambolesque et tendre qui met en scène Selma, jeune trentenaire d’origine tunisienne qui retourne au pays pour y installer son cabinet de psychanalyse. 

Entre sa famille, qui ne voit pas d’un très bon œil son installation, et ses patients qui ne comprennent pas toujours ce qu’elle est venue faire, la jeune femme devra faire face à plusieurs obstacles pour s’adapter. Sans compter sur un jeune policier qui ne lui facilitera pas la tâche. 

Un personnage principal porté à l’écran par la lumineuse Golshifteh Farahani, qui parvient progressivement à gagner la confiance de la population et nous invite dans les méandres de la psychée tunisienne.

Entre une patronne de salon de beauté névrosée, un boulanger aux prises avec sa sexualité, et un cheikh dépressif, la patientèle de Selma se rejoint dans son cabinet burlesque qui donne le pouls de la société tunisienne au lendemain de la révolution. Une société qui a visiblement besoin d’exorciser les vieux démons et de libérer sa parole.

Des personnages touchants

« Quand j’ai commencé à écrire le film, j’avais envie de confronter ma culture d’origine à cette discipline qu’est la psychanalyse car elles sont en contradiction », confie Manele Labidi à Middle East Eye. « Je trouvais qu’il y avait un écho entre la révolution Tunisienne de 2011 qui a permis une libération de la parole, et la psychanalyse par laquelle on essaie de recréer un nouvel ordre mental par cette parole. C’était l’angle d’attaque que je recherchais pour pouvoir parler à la fois du parcours individuel de mon personnage, mais aussi de la société. »

Des personnages loufoques qui sont toujours dépeints avec tendresse et complicité, derrière la caméra de la réalisatrice. 

« Tous ces personnages que je dépeins, je les ai connus. Ils me touchent, je les aime et je ne les juge pas », confie Manele Labidi. 

Sans jamais dénoncer, et avec beaucoup de nuances, elle parvient à nous montrer les petits travers de son pays d’origine. À l’instar de cette secrétaire au ministère, allégorie de la bureaucratie tunisienne, qui semble plus intéressée par les loukoums que lui apporte Selma que par l’avancée de son dossier.

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« La bureaucratie, je l’ai vécue à travers mon père. Pour moi, les vacances en Tunisie, c’était de voir mon père revenir de l’administration chaque jour pour y retourner le lendemain car il manquait quelque-chose », raconte-t-elle.

Derrière cette comédie méditerranéenne, Manele Labidi livre un film à la fois personnel et politique. Mais elle parvient surtout à bouleverser les trop fréquentes représentations « poussiéreuses » du monde arabe.

Un film qui n’épargne personne

« Plus jeune, j’étais choquée de voir dans certaines fictions des poules dans les aéroports du Maghreb. J’étais fatiguée de voir du thé à la menthe, comme si on ne buvait pas de café, ou encore cette image du hammam avec des femmes sensuelles au corps voluptueux. Ce regard orientaliste m’a souvent troublée et même beaucoup énervée. »

D’ailleurs, dans son film, le hammam n’est pas un lieu fétichisé mais celui d’une scène cocasse où le boulanger du quartier laisse enfin s’exprimer ses instincts refoulés en se travestissant. Une manière de faire tomber les masques dans une société où le qu’en-dira-t-on prime souvent sur le bien-être individuel.

Et en ce sens, son film n’épargne personne. Ni ses personnages secondaires, pris en otages par le poids de la morale religieuse, ni son personnage principal, piégé par ses propres stéréotypes aux accents occidentaux.

Un joyeux charivari cinématographique qui rend hommage à cette douce chaleur des pays du sud sans jamais sombrer dans l’orientalisme facile

« Je ne voulais pas que mon personnage principal soit lisse. Je voulais montrer ses défauts. Le fait qu’elle ne pense pas à l’autorisation nécessaire pour exercer lorsqu’elle ouvre son cabinet est un acte manqué qui révèle son propre mépris du pays. Je voulais aussi souligner que les pays du Maghreb ne mendient pas le retour des enfants d’immigrés. Selma croit qu’on l’attend mais elle réalise rapidement que ce n’est pas aussi facile qu’elle le pense. »

Un Divan à Tunis est finalement un joyeux charivari cinématographique qui rend hommage à cette douce chaleur des pays du sud sans jamais sombrer dans l’orientalisme facile. 

Un film qui regarde l’avenir de la Tunisie avec optimisme, et dont on garde en mémoire ce policier fantaisiste, prêt à sacrifier ses penchants amoureux pour l’honneur de son pays. 

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