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Erdoğan sort gagnant, mais la Turquie ne se remettra pas facilement de ce complot

Les événements de samedi vont sans aucun doute accroître les craintes des Turcs ordinaires dans un pays à la dérive, s’éloignant toujours plus de la stabilité interne dont il jouissait autrefois

L’échec de la tentative de coup d’État en Turquie vendredi soir donne au président Recep Tayyip Erdoğan une plus grande autorité et sera suivie d’une répression croissante de ses adversaires, en particulier le mouvement Gülen, basé aux États-Unis. Cette tentative de putsch renforce en outre la tension et les craintes quant à l’avenir du pays.

La tentative de coup d’État initiée par des groupes d’officiers subalternes vendredi soir a certainement ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire politique de la Turquie, un chapitre dans lequel le puissant président exercera un ascendant encore plus solide sur ses adversaires.

Le coup de force tenté vendredi soir n’a pas respecté les conditions de la science politique du coup d’État. Il était presque certainement voué à l’échec dès le départ car il n’a pas réussi à bloquer les médias et les réseaux sociaux, à imposer une présence militaire dans les rues ou à arrêter les hommes politiques civils du pays – des étapes essentielles pour toute personne essayant de prendre le contrôle d’un pays.

Bien que des avions aient survolé Ankara à basse altitude vendredi – suivant les traditions établies dans les années 1960 – et même bombardé les alentours du palais présidentiel, sur le terrain, cette tentative de coup d’État semble avoir été principalement le travail non pas de l’armée de l’air, mais de la gendarmerie et d’officiers relativement subalternes, du colonel au lieutenant.

Toutefois, un ancien commandant de l’armée de l’air, le général Akın Öztürk, et son gendre, le lieutenant-colonel Hakan Karakuş, ont été désignés comme les cerveaux de l’organisation et seront apparemment traduits en justice.

Le noyau des conspirateurs semble avoir compté moins de 140 membres et n’avoir pas eu l’ancienneté nécessaire pour faire de plausibles dirigeants nationaux capables de rallier le reste de l’armée et de diriger le pays sur une base stable. À cet égard, la conspiration de vendredi était l’opposée totale de la dernière réelle prise de contrôle militaire de la Turquie en 1980, qui avait été dirigée par des officiers supérieurs.

Cette fois, le chef d’état-major, Hulusi Akar, a été fait prisonnier sans cérémonie et enfermé pendant dix heures par les forces putschistes.

En outre, la raison pour laquelle un groupe d’officiers était suffisamment mécontent pour tenter de renverser le gouvernement à ce moment-là n’est pas claire, bien que les ministres d’Erdoğan aient leur propre réponse.

Ils pensent que les conspirateurs appartiennent à la confrérie de Fethullah Gülen, un groupe soufi américain qui, fin 2013, a tenté de traduire le gouvernement en justice pour corruption à l’aide de ses membres au sein du système judiciaire, de la magistrature et de la police.

Ces efforts ont été rapidement réduits à néant et les partisans du mouvement Gülen ont été réaffectés, licenciés ou, dans certains cas, poursuivis.

Depuis lors, le gouvernement les considère comme un ennemi au moins aussi sérieux que ses deux ennemis armés les plus meurtriers, l’État islamique, qui a perpétré des attentats à travers le pays, et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le mouvement kurde militant qui a tué plus de 600 policiers et soldats cette année.

Les présumés partisans de Gülen ont régulièrement été arrêtés par groupes cette année : 865 ont été arrêtés au cours du mois de mai avec 278 arrestations le 10 mai ; ces dernières semaines, les arrestations se sont concentrées sur les membres des forces armées.

Selon le gouvernement, 700 membres des forces armées de grades subalternes se sont rendus. Toujours selon le gouvernement, le général Öztürk, le chef présumé de la conspiration, serait en lien avec le mouvement Gülen et aurait déclenché la tentative de coup d’État de vendredi.

La raison pour laquelle le coup de force a débuté avant minuit, à un moment où la plupart des Turcs ne sont pas encore couchés, est l’un des mystères inexpliqués des derniers jours. Si le coup a été dirigé par un général aguerri ayant des souvenirs personnels du professionnalisme du coup d’État de 1980, ce travail bâclé est étonnant.

En l’absence de black-out médiatique et de l’arrestation des hommes politiques, la balance du pouvoir a penché en faveur du président Erdoğan et du gouvernement de l’AKP au milieu de la nuit. Contrairement aux coups d’État turcs des précédentes décennies, celui-ci a rencontré l’opposition d’Ankara et d’Istanbul et il y a eu effusion de sang : le gouvernement indique que 265 personnes sont mortes, beaucoup d’entre elles appartenant à la police, lors d’affrontements à Ankara et à Istanbul, tandis que 1 440 autres ont été blessées.

Des attaques menées par des civils – qui sont descendus dans la rue pour défendre Erdoğan et son gouvernement – ont été signalées et il existe des rapports fiables selon lesquels un soldat de 20 ans a été décapité par un groupe de manifestants.

Malgré la résistance dans plusieurs bâtiments, y compris dans les bureaux du chef d’état-major, une grande partie de la matinée de samedi, à midi, Hakan Fidan, le chef des services de renseignement turcs, était en mesure de déclarer que les opérations étaient terminées.

Toutefois, le travail de nettoyage post-coup d’État continue et le cercle d’arrestations s’est maintenant élargi au pouvoir judiciaire, avec l’arrestation de dix membres du Conseil d’État de Turquie, l’organe juridique suprême, et de la Cour de cassation (Yargıtay), et la révocation de 2 745 autres hauts magistrats.

Cela fait suite à l’adoption récente d’une loi donnant au gouvernement un contrôle beaucoup plus direct sur les organes judiciaires majeurs, une décision qui, selon les partis d’opposition, les prive de leur indépendance et qui, à la lumière des procès qui vont suivre le putsch, prend beaucoup plus d’importance que quiconque aurait pu le prévoir il y a encore une semaine ou deux.

Une question à laquelle il est particulièrement urgent de répondre est la mesure dans laquelle le retrait des officiers et des soldats suspects pourrait réduire la capacité militaire des forces armées menant simultanément une bataille impitoyable contre les militants kurdes et l’EI, ce qui a également une implication potentielle dans la guerre contre Bachar al-Assad en Syrie.

Des signes indiquent que les tensions générées par ces conflits auraient pu avoir quelque chose à voir avec la conspiration militaire.

Dans la ville provinciale troublée de Sirnak, dans le sud-est, 309 officiers et soldats, dirigés par un général de brigade, auraient été arrêtés aux alentours de midi samedi et accusés d’être impliqués dans le coup d’État, 200 autres semblent avoir été arrêtés dans la capitale régionale de Diyarbakır.

L’explication la plus probable de ces événements, si cela se confirme, est que les troupes et les officiers se considéraient presque comme de la chair à canon dans une guerre impossible à remporter qui a déjà fait un grand nombre de victimes.

Dans cette situation confuse et dangereuse, Erdoğan peut se féliciter à la fois de la loyauté des forces de police et d’une grande partie de l’armée, et du fait que ses opposants politiques civils aient choisi de se tenir avec lui et l’AKP et d’affronter les putschistes pour défendre la démocratie, en dépit de leurs divergences politiques.

Toutefois, la récente vague d’attentats terroristes a déjà rendu la société Turquie tendue et craintive.

L’expérience d’un coup d’État militaire sanglant, malgré son côté amateur et son échec, accroîtra davantage les craintes des Turcs ordinaires et le sentiment que le pays s’éloigne encore un peu plus de la stabilité interne unique dont il jouissait autrefois au Moyen-Orient.

David Barchard a travaillé en Turquie en tant que journaliste, consultant et professeur d’université. Il écrit régulièrement sur la société, la politique et l’histoire de la Turquie et termine actuellement un livre sur l’Empire ottoman au XIXe siècle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un char roule dans les rues d’Ankara, en Turquie, alors que les gens protestent contre le putsch le 16 juillet (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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