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Les nouveaux permis de construire palestiniens ouvrent-ils la voie à l’annexion ?

La décision israélienne d’approuver, fin juillet, 715 logements dans des villes palestiniennes pourrait être un geste symbolique ou la préparation d’une plus grande prise de contrôle des terres de Cisjordanie occupée
Les forces israéliennes détruisent un bâtiment palestinien en construction dans le village de Dar Salah, en Cisjordanie occupée, le 22 juillet (AFP)

La décision du cabinet de sécurité israélien d’approuver les permis de construire pour des habitations palestiniennes en zone C de la Cisjordanie occupée, annoncée fin juillet, fait figure d’exception puisqu’il s’agit de « la première décision de ce type depuis 2016 ».

Bien que le chiffre avancé de 715 logements dans les villes palestiniennes semble positif, aucune autre information n’a été révélée à ce jour, notamment, par exemple, si les plans concernent de nouvelles constructions ou la légalisation rétroactive d’habitations construites sans permis délivrés par Israël.

Au-delà de ce manque de clarté, ces logements sont une goutte d’eau dans l’océan : selon Peace Now, « on estime qu’il y a au moins un millier de jeunes couples palestiniens ayant besoin d’un logement dans la zone C chaque année ».

Selon Peace Now, un millier de jeunes couples palestiniens ont besoin d’un logement dans la zone C chaque année

De 2009 à 2016, les autorités d’occupation israéliennes n’ont approuvé que 66 permis de construire pour des Palestiniens dans la zone C, soit à peine 2 % du nombre total de demandes. Au cours de la même période, la construction de 12 763 logements a débuté dans les colonies israéliennes de la zone C.

Cependant, bien que ces nouveaux permis de construire effleurent à peine les besoins résultant d’un système intentionnellement discriminatoire, cela demeure une décision inhabituelle. Pourquoi un gouvernement d’extrême droite – à l’approche des élections – prendrait-il une telle mesure ? 

Une initiative due « à la pression américaine » ?

Le « plan de paix » de la Maison-Blanche constitue un élément essentiel du contexte : Haaretz cite des « sources politiques » anonymes qui estiment que cette initiative « pourrait être due à la pression américaine ».

Ces approbations sont survenues juste avant la visite d’une délégation américaine conduite par le conseiller de la Maison-Blanche Jared Kushner, dans le cadre d’une tournée régionale de promotion du plan.

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Cette possibilité préoccupait certains membres du mouvement des colons : deux hauts responsables ont qualifié les permis de construire palestiniens de « particulièrement inquiétants », compte tenu de ce qu’ils décrivent comme « l’objectif clair de l’Autorité palestinienne d’établir un État terroriste au cœur du pays ».

Ils n’ont pas à s’inquiéter. Des informations ont rapidement révélé que la décision du cabinet israélien relevait en réalité « d’un changement de politique destiné à évincer l’Autorité palestinienne de la planification territoriale et la construction dans les territoires [occupés] », Haaretz citant des « sources informées des détails ».

Empêcher un État palestinien

De plus, le ministre des Transports et député de l’Union des partis de droite, Bezalel Smotrich, a publié sur Facebook une explication détaillée justifiant ces permis.

Affirmant que l’un des principaux objectifs de sa carrière politique est « d’empêcher l’instauration d’un État terroriste arabe au cœur d’Israël » (en référence à la Cisjordanie), Smotrich écrit : « Aujourd’hui, enfin… Israël forme un plan stratégique pour arrêter la création d’un État palestinien ».

Selon Smotrich, la décision du cabinet marque « la première fois » qu’Israël « veille à ce que dans la zone C, il n’y ait de construction que pour les Arabes qui soient des résidents originaux de la région depuis 1994 et non les Arabes venus plus tard des zones A et B ».

Le ministre israélien des Transports Bezalel Smotrich photographié à Jérusalem, le 24 juin (AFP)

La construction palestinienne ne sera alors autorisée « que dans des endroits qui ne nuisent pas à la colonisation et à la sécurité des colonies et ne créent pas une contiguïté territoriale ni un État palestinien de fait ».

Ce n’est pas tout. « Pour la première fois de son histoire », poursuit le ministre, « l’État d’Israël mettra en œuvre sa souveraineté sur l’ensemble du territoire et assumera la responsabilité de ce qui se passe à l’intérieur. » 

Les permis accordés aux Palestiniens en zone C sont une démonstration de la « souveraineté » israélienne – un autre précurseur de l’annexion formelle

Voilà, c’est écrit noir sur blanc. Les permis accordés aux Palestiniens en zone C sont une démonstration de la « souveraineté » israélienne – un autre précurseur de l’annexion formelle.

Dans cette optique, le lien entre les permis de construire et le plan de l’administration Trump prend une dimension plus troublante – bien que peu surprenante –, qui ne suggère pas une « concession » pour faciliter les négociations, mais une coordination entre Israël et les États-Unis en ce qui concerne l’annexion de la zone C.

Donner la priorité aux communautés juives

Fait révélateur, parallèlement à la délivrance de permis aux Palestiniens, le gouvernement israélien a approuvé environ 6 000 logements dans les colonies israéliennes. Le lendemain, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou déclarait lors d’une visite dans la colonie d’Efrat : « Aucune colonie ni aucun colon ne sera déraciné… Ce que vous faites ici est définitif ».

Toutefois, que les permis de construire palestiniens – si jamais ils se concrétisent – ne soient qu’un geste symbolique ou une préparation à l’annexion, ces développements mettent en évidence les limites d’une critique purement humanitaire de la politique israélienne de démolition et de déplacement.

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L’approche brutale « séparée et inégale » d’Israël à l’égard des communautés et du logement dans la zone C de Cisjordanie a suscité à juste titre de plus en plus de critiques internationales ces dernières années, Amnesty International condamnant le régime de planification discriminatoire d’Israël comme « unique au monde ».

Cependant, à mesure qu’Israël s’achemine vers une officialisation de l’annexion de la zone C, certains diront qu’un tel développement profite aux résidents palestiniens car il leur accordera la citoyenneté, légalisera leurs communautés, délivrera des permis, etc.

Bien entendu, un tel argument peut être contré selon ses propres termes, y compris en citant les arguments clairement avancés par des partisans de Smotrich, selon lesquels la politique de planification continuera à donner la priorité aux communautés juives (comme cela a toujours été le cas au sein des frontières de 1967).

Projet colonisateur

Cependant, une position bien plus forte consiste à comprendre la démolition et le déplacement d’Israël dans la zone C, y compris les permis qu’il délivre, dans le contexte d’un régime d’apartheid bien plus vaste dans lequel les Palestiniens sont expulsés, fragmentés et séparés pour servir le principal objectif de maintenir État juif » – et le contrôle de la terre et de la démographie nécessaire à un tel objectif.

Le régime de planification territoriale discriminatoire d’Israël constitue une crise humanitaire et des droits de l’homme, mais ce n’est pas seulement cela

Le régime de planification territoriale discriminatoire d’Israël constitue une crise humanitaire et des droits de l’homme, mais ce n’est pas seulement cela – et si l’opposition aux démolitions est exprimée en ces termes, les critiques se rendent vulnérables aux initiatives israéliennes telles qu’une augmentation symbolique des permis, voire l’annexion.

En fin de compte, comme ailleurs en Palestine, il est plus aisé de comprendre et d’attaquer les politiques israéliennes en les replaçant dans le cadre d’un projet de colonisation de plusieurs décennies – un cadre qui conserve toute sa pertinence, que nous assistions bientôt à une annexion officielle de la zone C ou à la perpétuation du statu quo.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy’. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada, The Guardian et d’autres encore.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ben White is a writer, journalist, and analyst specialising in Palestine/Israel. His articles have appeared widely in international media outlets, including Al Jazeera, The Guardian, The Independent, and others. He is the author of four books, the latest of which, 'Cracks in the Wall: Beyond Apartheid in Palestine/Israel' (Pluto Press), was published in 2018.
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