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Les Tunisiens veulent un président à la hauteur de leur passion pour leur pays

Plus d’un mois après le décès du chef de l’État Béji Caïd Essebsi, la campagne présidentielle vient de démarrer. Les candidats à l’élection du 15 septembre sont le sujet de conversation numéro un des Tunisiens
Du haut d’un réverbère, un Tunisien scrute l’horizon pendant un rassemblement électoral, en décembre 2014, du président Béji Caïd Essebsi, décédé le 25 juillet 2019 (AFP)

Après le décès, le 25 juillet, de Béji Caïd Essebsi, 92 ans, premier président tunisien élu démocratiquement au suffrage universel, l’élection présidentielle, initialement prévue en novembre, a été avancée au 15 septembre.

Sur 97 personnalités qui ont déposé leurs dossiers de candidature, 26 candidats ont été retenus par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Parmi eux, deux femmes. La plupart sont des candidats indépendants.

Le Premier ministre tunisien (qui a délégué fin août ses pouvoirs), Youssef Chahed, 43 ans, leader du parti Tahya Tounes, fait partie de ceux dont la candidature a été a retenue.

Ces conversations très animées à propos des différents candidats à l’élection présidentielle n’auraient pas été possibles il y a dix ans

Il devrait faire face à une forte concurrence de la part de l’ancien président Moncef Marzouki mais aussi du ministre de la Défense Abdelkrim Zbidi (le candidat a démissionné de son poste de ministre mais sa démission n’a pas encore été acceptée par la présidence), de l’ex-Premier ministre Mehdi Jomaa et du richissime homme d’affaires Nabil Karoui, propriétaire de la chaîne de télévision privée Nessma, arrêté vendredi 23 août pour « blanchiment d’argent ». On surnomme ce dernier le « Berlusconi tunisien ».

Abdelfattah Mourou, vice-président d’Ennahdha, parti islamiste et plus grande formation politique du pays, est également candidat.

Je suis allé à Tunis pour assister aux obsèques nationales du président Béji Caïd Essebsi et au démarrage de de la campagne présidentielle.

Chaque soir, lors de dîners chez des amis, fenêtres grandes ouvertes, les discussions s’orientent immédiatement vers la politique.

L’ex-président tunisien Moncef Marzouki est un des 26 candidats à l’élection présidentielle du 15 septembre 2019 (AFP)

Je me suis retrouvé entouré de trois générations de Tunisiens qui ont vu leur pays se transformer de Bourguiba jusqu’à l’élection démocratique d’Essebsi en passant par la longue dictature de Ben Ali.

Ces conversations très animées à propos des différents candidats à l’élection présidentielle n’auraient pas été possibles il y a dix ans. Mes amis se sentent libres de critiquer à haute voix la corruption qui règne – affirment-ils – au sein de la famille Essebsi ou la hausse du chômage et la crise économique.

Montée du populisme

Tous ont des points de vue politiques différents. Le beau-fils vote Ennahdha, la belle-mère et la mère préfèrent voter pour Abdelkrim Zbidi : « C’est un politicien honnête ! », m’a confié la belle-mère. « Quand Essebsi lui a demandé d’être son ministre de la Défense, il a accepté à condition de n’avoir ni salaire ministériel ni voiture officielle… ni chauffeur. »

Un autre membre de la famille estime que le « Berlusconi tunisien » remportera à coup sûr l’élection. À ce moment-là, il n’avait pas encore été arrêté.

Plusieurs personnes disent leurs inquiétudes quant à la montée du populisme en Tunisie. Un jeune médecin m’a expliqué que « les Tunisiens ne veulent pas élire ‘’un homme de raison efficace’’, car ils ont trop eu l’habitude d’être gouvernés par des bandits ou des corrompus ».

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La candidature de l’homme d’affaires Nabil Karoui est controversée. 

« Il n’a même pas payé son propre loyer depuis quelques mois ! », s’est exclamé la belle-mère, qui soutient le ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi.

Ennahdha et Nidaa Tounes n’ont plus la cote.

Malgré avec l’incursion dans la campagne électorale d’hommes d’affaires sous enquête judiciaire, la tendance pourrait bien être au rejet des partis traditionnels. Le populiste Nabil Karoui pourrait bien finir président élu de la Tunisie. Il est l’un des préférés dans les sondages, selon lesquels il pourrait être en tête dès le premier tour.

Car la candidature de Nabil Karoui reste valable malgré son arrestation, précise l’ISIE,  tant qu’une décision de justice ne la compromet pas.

Abdelkrim Zbidi, le ministre de la Défense, est lui aussi un des favoris des sondages. Il bénéficie du soutien des partis laïcs traditionnels, comme Nidaa Tounes.

Moncef Marzouki, ancien président de la République, candidat à la présidentielle, a déclaré sur TV5 Monde que « la pléthore de candidats est une bonne chose ». Il a ajouté qu’il s’opposait catégoriquement « au retour sournois de la dictature ».

Deux candidats me semblent favoris : l’ancien médecin militaire, Abdelkrim Zbidi, et Youssef Chahed

Deux candidats me semblent favoris parmi ce grand nombre de personnes. L’ancien médecin militaire, Abdelkrim Zbidi, et Youssef Chahed, qui est également ingénieur agronome. 

À 43 ans, Chahed est le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire moderne de la Tunisie. Il est le Premier ministre qui a pu durer le plus longtemps à la tête du gouvernement depuis la révolution de 2011. 

Maintenant, il participe à sa première élection en se présentant comme le candidat de la jeunesse. Après avoir été en tête des sondages, Chahed a vu sa popularité chuter à cause des difficultés économiques aiguës que traverse le pays.

Quant à Abdelkrim Zbidi, il a annoncé sa candidature le 7 août et a présenté sa démission le même jour de son poste de ministre de la Défense. Candidat indépendant, il bénéficie du soutien des partis laïcs Nidaa Tounes et Afek Tounes. 

Technocrate et médecin de formation, il est considéré par beaucoup comme étant au-dessus de la politique des partis et des querelles internes qui ont tant freiné les réformes économiques, tellement nécessaires en Tunisie ces dernières années. 

Créer la surprise

Avec les difficultés que traverse le pays, le sentiment de colère a ouvert la porte au populisme, qui fait écho aux tendances dramatiques qu’on voit partout dans le monde.

Après l’ère de Ben Ali, personne n’a forcément envie de voir un populiste bardé d’argent arriver au sommet 

Nabil Karoui, magnat des médias, dont la chaîne de télévision Nessma est populaire parmi les téléspectateurs de tout le Maghreb, déploie une vaste flotte de camions contenant des cliniques médicales, sous l’égide d’une fondation privée qu’il a baptisée au nom de son fils, décédé dans un accident de voiture en 2016. 

Karoui a déjà réussi à mobiliser de nombreux Tunisiens vivant dans la pauvreté et dans les villes rurales. Fin mai 2019, il a déclaré son intention de se présenter aux élections présidentielles et de fonder son propre parti politique. 

Sa stratégie est de viser les plus démunis. S’il est capable de créer la surprise, il faut se souvenir qu’en Tunisie, après l’ère de Ben Ali, personne n’a forcément envie de voir un populiste bardé d’argent arriver au sommet.   

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La campagne officielle a commencé le 2 septembre. Selon les journaux tunisiens, Abdelkrim Zbidi serait favori, mais tout va dépendre du programme de chaque candidat.

Les Tunisiens ont besoin d’un président qui sache rassembler et qui puisse fonder un meilleur avenir éducatif et économique pour ce pays dont la population est très majoritairement jeune.

Beaucoup de réformes économiques seront nécessaires, l’industrie du tourisme a besoin d’être améliorée, l’éducation a aussi besoin d’une réforme et la Constitution du pays a besoin d’être amendée.

Avec un régime parlementaire, le président n’a pas beaucoup de pouvoir, mais il peut donner un cap pour les décisions futures.

Essebsi a ouvert une voie démocratique. C’est au futur président de stabiliser la situation politique pour que ce beau et généreux pays ne tombe pas une fois de plus dans la tyrannie de la dictature et de la corruption.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Alexander Seale est journaliste pour la presse écrite, la radio et la télévision basé à Londres. Il est spécialisé dans la politique française et européenne, le Brexit, l’Afrique et le monde arabe. Il a travaillé à la BBC et collabore avec le service anglophone de RFI. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AlexSeale
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