Aller au contenu principal

Malgré la crise et les pressions, le Premier ministre libanais ne baisse pas les bras

Confronté à une contestation populaire qui ne tarit pas, dénigré de toutes parts, chargé de relever un pays au bord de la faillite alors que s’approche l’échéance du paiement d’une dette de plus de deux milliards de dollars, Hassan Diab reste déterminé
Hassan Diab, Premier ministre désigné du Liban, prononce un discours devant le Parlement dans la capitale Beyrouth, le 11 février (AFP)

La situation du Premier ministre libanais Hassan Diab est peu enviable. Cet académicien de 61 ans est arrivé au pouvoir à un moment charnière de l’histoire du Liban. Le pays est au bord de la faillite économique et financière.

Secoué depuis le 17 octobre par un mouvement de contestation sans précédent, il est soumis à de fortes pressions de Washington, dont la priorité est de combattre le Hezbollah, considéré comme le principal vecteur de l’influence iranienne au Levant, et ce même si les dommages collatéraux seraient insupportables pour le Liban.

Un Premier ministre outsider

Hassan Diab ne vient pas du club fermé des hommes politiques sunnites, où sont habituellement choisis les Premiers ministres au Liban.

Cet outsider, détenteur d’un doctorat en génie informatique du Royaume-Uni, a passé 35 ans de sa vie à l’Université américaine de Beyrouth, où il occupait, depuis 2006, le poste de vice-président pour les programmes extérieurs régionaux, avant d’être chargé de former le nouveau gouvernement, le 19 décembre dernier.

Sa seule expérience politique est un passage au gouvernement de Najib Mikati (2011-2014) en tant que ministre de l’Éducation nationale. Il cessera de son propre chef d’encaisser ses émoluments de ministre pendant la période d’expédition des affaires courantes et finira par démissionner en raison de désaccords avec le Premier ministre.   

Depuis la formation de son gouvernement en un temps record le 21 janvier (en moins de six semaines comme il s’était engagé à le faire, alors que son prédécesseur Saad Hariri avait pris dix mois pour former son équipe), Hassan Diab est la cible de rumeurs et de campagnes de dénigrement.

Tantôt il est soupçonné de diriger un gouvernement contrôlé en sous-main par le Hezbollah, tantôt il est accusé d’avoir assuré aux États-Unis un tiers de blocage au sein de son Cabinet, comme l’écrit le journaliste Hussein Ayoub.

Une Libanaise brûle une photo du nouveau Premier ministre Hassan Diab lors d’une manifestation près du siège du Parlement dans le centre-ville de Beyrouth, le 22 janvier (AFP)
Une Libanaise brûle une photo du nouveau Premier ministre Hassan Diab lors d’une manifestation près du siège du Parlement dans le centre-ville de Beyrouth, le 22 janvier (AFP)

La rue non plus ne lui donne aucun répit. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des protestataires ont encore bloqué des routes dans différentes régions du pays, alors que la crise économique s’aggrave et que le malaise social s’amplifie.

Pourtant, dans son discours d’investiture, le Premier ministre avait clairement adhéré aux revendications du mouvement de contestation, à qui il a attribué sa nomination à son poste.

« Entre quatre et six ministres représentent le mouvement de protestation au sein du gouvernement, mais l’ensemble du gouvernement, avec son approche, représente le mouvement », a-t-il dit dans l’une de ses rares déclarations à la presse, le 23 janvier.

Le souci de la dette

Mais le plus gros souci de Hassan Diab est la situation financière catastrophique du pays. Dans les heures qui viennent, il devra annoncer sa décision concernant le paiement ou non d’Eurobonds arrivant à échéance le 9 mars.

Le Liban doit honorer 1,2 milliard de dollars, auxquels s’ajoutent 400 millions en avril et 600 millions en juin. En 2020, le pays doit débourser au profit de ses créanciers locaux et internationaux 4,2 milliards de dollars, à un moment où les réserves en devises de la Banque centrale fondent à vue d’œil, menaçant la capacité du Liban à financer les importations de produits de première nécessité pour sa population.

« J’aurais pu donner des instructions pour le paiement des Eurobonds. J’aurais gagné un an et le prochain gouvernement aurait hérité de ce problème. Mais la dette publique grimperait dans ce cas à 150 milliards de dollars »

- Hassan Diab

« J’aurais pu donner des instructions pour le paiement des Eurobonds », nous a dit Hassan Diab lors d’une rencontre, lundi 2 mars au Grand sérail, siège du Premier ministre. « J’aurais gagné un an et le prochain gouvernement aurait hérité de ce problème. Mais la dette publique grimperait dans ce cas à 150 milliards de dollars. » La dette atteint actuellement 90 milliards de dollars, soit 150 % du PIB.

La question du paiement ou non de la dette constitue la principale préoccupation du gouvernement depuis le vote de confiance, le 11 février. Le Liban a sollicité une « aide technique » du Fonds monétaire international (FMI), qui a dépêché une délégation à Beyrouth la semaine dernière.

Le gouvernement a également loué les services de Lazard et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, deux cabinets spécialistes de la dette souveraine, pour étudier les conséquences financières et juridiques d’un défaut de paiement.

Les banques libanaises, qui sont un des principaux créanciers de l’État, plaident pour un paiement des Eurobonds, arguant de la nécessité de « préserver la réputation internationale du Liban, qui a toujours honoré ses engagements financiers ».

Mais de larges pans de la classe politique, dont le chef du Parlement, Nabih Berry, ainsi que le mouvement de contestation sont d’un avis contraire. Les manifestations placées sous le slogan « nous ne paierons pas » se multiplient, ainsi que les mises en garde de nombreux experts sur le danger de l’épuisement des réserves en devises de la Banque du Liban.

Dans son entourage, on affirme que le Premier ministre est partisan d’une restructuration et d’un rééchelonnement de la dette.

Une communication innovante

Malgré l’énormité de la tâche à laquelle il est confronté et les tracasseries qu’il subit, Hassan Diab présente l’image d’un homme déterminé, presque obstiné, prêt à assumer ses responsabilités et à relever les défis.

Peu loquace devant les médias traditionnels, le Premier ministre privilégie Twitter pour sa communication. Son compte personnel, qui comptabilisait moins de 5 000 followers avant sa nomination, en rassemble aujourd’hui plus de 64 000.

Manifestations au Liban : le peuple veut la chute des banques
Lire

Dans une démarche inédite, il a créé, la semaine dernière, un nouveau compte intitulé hassandiabteam. Il y invite les Libanais à exposer leurs vues et leurs problèmes, à proposer des initiatives et à imaginer des solutions à la crise multidimensionnelle qui frappe le Liban. Ses collaborateurs s’emploient à répondre à toutes les interventions. Cette page compte déjà plus de 10 000 abonnés.

Hassan Diab consacre toute son énergie et son temps à sa tâche. Il a fait installer ses appartements au Grand sérail, son lieu de travail. Selon son entourage, sa journée commence à 7 heures du matin et se termine peu avant minuit. Il a formé une équipe soudée, composée en majorité de spécialistes non partisans. Il a instauré une dynamique de collaboration interministérielle pour une plus grande complémentarité et un meilleur rendement.

« La situation de l’État est catastrophique », nous a-t-il dit. « Les ministres ont rassemblé plus de 1 400 dossiers [décrets, projets de loi, projets de développements, etc.] qu’ils sont en train de revoir et de réviser. Il faut tout remettre à plat. »

 Le Premier ministre accorde un rôle important à la femme. Son gouvernement en compte six sur vingt membres, un record au Liban. Le poste de vice-président du Conseil des ministres est occupé par une femme, Zeina Akar Adra, qui est également ministre de la Défense, une première au pays du Cèdre et au Moyen-Orient.

« Avec ma voix, les femmes ont le tiers de blocage, que j’appelle le tiers de garantie, au gouvernement », a-t-il commenté.

En plus de sa décision sur les Eurobonds, Hassan Diab annoncera dans les prochaines heures les grandes lignes d’un vaste programme de réformes économiques et financières.

« La situation de l’État est catastrophique. Les ministres ont rassemblé plus de 1 400 dossiers qu’ils sont en train de revoir et de réviser. Il faut tout remettre à plat »

- Hassan Diab

Pour le mettre en œuvre, deux conditions doivent être réunies : les partis politiques traditionnels, aussi bien ceux qui l’ont nommé que ceux qui se sont abstenus, doivent donner de larges marges au gouvernement pour qu’il puisse travailler ; les pays amis du Liban doivent apporter une aide sur tous les plans.

Dans ce cadre, l’ambassadeur de France à Beyrouth, Bruno Foucher, nous a assuré mercredi, lors d’une rencontre à sa résidence, que M. Diab était le bienvenu à Paris lorsqu’il le souhaitait. Il a ajouté que les projets prévus par la conférence CEDRE étaient toujours d’actualité et n’attendaient que l’établissement d’un calendrier de priorités par le gouvernement libanais pour être lancés.

Mais quelles que soient les mesures et les décisions qui seront prises par le gouvernement, les Libanais se préparent au pire. La thésaurisation s’est étendue à presque tous les foyers de même que le stockage de produits de première nécessité.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth. Vous pouvez le suivre sur Twitter @khalifehpaul Paul Khalifeh is a Lebanese journalist, correspondent of the foreign press and teacher in the universities of Beirut. You can follow him on his twitter account: @khalifehpaul
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].