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En suspendant le financement de l’UNRWA, l’Occident se rend possiblement coupable de complicité dans le génocide à Gaza

Contraindre l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens à cesser ses activités à ce moment crucial est d’autant plus choquant que la Cour internationale de justice vient d’ordonner l’amélioration de la situation humanitaire à Gaza afin d’y empêcher un génocide
Des Palestiniens qui ont fui leurs habitations en raison des bombardements israéliens et se sont réfugiés dans une école gérée par l’UNRWA à Khan Younès, dans la bande de Gaza, regardent une frappe israélienne à proximité, le 27 octobre 2023 (Reuters)

Vendredi, la Cour internationale de justice (CIJ) s’est prononcée en faveur de mesures provisoires dans l’affaire de génocide opposant l’Afrique du Sud à Israël.

Considérant le risque de génocide plausible, la Cour a ordonné à Israël de s’abstenir de toute activité génocidaire, d’en empêcher la perpétration et de punir toute incitation au génocide.

Essentiellement, la Cour a également ordonné à Israël de prendre des mesures immédiates et concrètes pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire dont les Palestiniens de la bande de Gaza ont un besoin urgent, afin de remédier à leurs conditions de vie difficiles.

Deux jours plus tard, alors que tout le monde s’interrogeait encore sur les effets de cette décision, neuf des principaux pays donateurs de l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée de fournir une assistance et des services essentiels aux réfugiés palestiniens, ont annoncé la suspension de leur financement à l’agence.

Les pays concernés sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, la Finlande, l’Australie et le Canada.

Si les mesures provisoires énoncées par la CIJ ont suscité une certaine confusion, notamment car la Cour n’a pas ordonné la suspension immédiate des opérations militaires d’Israël à Gaza, la mesure la plus claire de la Cour consistant à garantir l’accès à une aide humanitaire adéquate a été rendue vaine par la décision de ces pays, qui se justifient par les allégations selon lesquelles 12 des 13 000 membres du personnel de l’UNRWA auraient été impliqués dans les attaques du 7 octobre contre Israël.

Tandis que le monde s’attendait à ce que les gouvernements occidentaux réévaluent leur soutien inconditionnel à Israël à la suite de l’arrêt de la CIJ, il semble qu’ils aient décidé au contraire de faire passer à un niveau supérieur leur position contraire aux intérêts du peuple palestinien, menacé de génocide.

Cette décision indécente, qui met en danger des centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, est d’autant plus choquante que la CIJ a ordonné d’améliorer la situation humanitaire sur le terrain.

Risque de famine

L’UNRWA est la planche de salut de Gaza, une minuscule bande de terre densément peuplée de réfugiés et de leurs descendants. Des 2,3 millions d’habitants de l’enclave côtière, 1,7 million sont des réfugiés ou des déplacés internes. Ces personnes dépendent fortement de l’assistance et des services fournis par l’UNRWA.

La quasi-totalité de la population de Gaza est aujourd’hui menacée par la famine et les maladies, dans la mesure où les systèmes d’approvisionnement en nourriture et de soins de santé ont été en grande partie détruits par Israël.

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La réponse israélienne aux attaques du 7 octobre avait déjà provoqué un déplacement forcé à grande échelle dans la bande de Gaza, surchargeant encore davantage les activités de l’UNRWA. À cela s’ajoute le fait qu’au moins 152 employés de l’UNRWA ont été tués par Israël, sans parler des blessés.

En décembre, dans une lettre adressée au président de l’Assemblée générale des Nations unies, le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, avertissait déjà que l’agence était au bord de l’effondrement.

« En 35 ans d’activité en situations d’urgence complexes, je n’aurais jamais pensé écrire une telle lettre, prédisant que mon équipe allait être tuée et l’effondrement du mandat que je suis censé remplir », déclarait-il.

La convention sur le génocide de 1948 ne se contente pas d’interdire le génocide, elle oblige également tous les États parties à prévenir le génocide dans la mesure de leurs moyens.

Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, a mis en garde cette fin de semaine: « Le lendemain de la décision de la CIJ statuant qu’Israël commet plausiblement un génocide à Gaza, certains États ont décidé de suspendre les financements de l’UNRWA, punissant collectivement des millions de Palestiniens à un moment des plus critiques, et violant ainsi très probablement les obligations qui leur incombent en vertu de la convention sur le génocide ».

La suspension du financement de l’agence la plus vitale dans la bande de Gaza, où la CIJ a constaté un risque plausible de génocide non seulement en raison des opérations militaires d’Israël, mais aussi de la situation humanitaire catastrophique qu’il a créée, ne fait qu’aggraver la détérioration des conditions de vie de la population palestinienne. Cette décision, ainsi que le soutien continu apporté à Israël, notamment en matière d’assistance militaire, favorise le génocide à Gaza, sans rien faire pour l’empêcher.

Des conditions destructrices

Il faut rappeler à ces gouvernements occidentaux que le génocide, tel qu’il est défini par la convention, concerne non seulement le fait de tuer des membres d’un groupe particulier ou l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, mais aussi le fait d’imposer délibérément des conditions de vie de nature à entraîner la destruction physique de ce groupe, en tout ou en partie.

Les actions d’Israël créent vraisemblablement déjà ces conditions destructrices.

Il faut rappeler à ces gouvernements occidentaux que le génocide, tel qu’il est défini par la convention, concerne non seulement le fait de tuer des membres d’un groupe particulier [...], mais aussi le fait d’imposer délibérément des conditions de vie de nature à entraîner la destruction physique de ce groupe

En contribuant sciemment aux conditions génocidaires qui prévalent désormais à Gaza, ces États risquent d’être complices de génocide. Ces gouvernements ont désormais pris la voie de la complicité.

Nous avons, d’un côté, un risque plausible de génocide pour 2 millions de personnes – un fait établi par la CIJ – et, de l’autre, l’implication « présumée » de 12 des 13 000 employés de l’UNRWA dans les attaques du 7 octobre.

Si l’UNRWA a pris des mesures immédiates et sérieuses pour enquêter sur ces allégations, ces gouvernements n’ont cependant pas hésité à mettre en danger la vie de 2 millions de personnes, alors que c’est précisément le contraire qui s’impose : renforcer la coopération avec l’UNRWA.

De telles mesures pourraient faire l’objet d’un examen minutieux devant les tribunaux nationaux et internationaux dans les jours à venir.

La question des réfugiés

Israël a constamment pris pour cible l’UNRWA, soutenant l’argument infondé selon lequel l’agence constituerait le bras armé du Hamas au sein de l’ONU. L’UNRWA est essentielle non seulement pour la fourniture de l’aide humanitaire, mais aussi pour le soutien des revendications des réfugiés palestiniens en matière de droit au retour dans leur patrie, un droit qu’Israël entrave depuis des décennies.

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Le statut de réfugié étant transmis de génération en génération du fait de l’inscription initiale des familles auprès de l’UNRWA, Israël n’est toujours pas débarrassé du fardeau que représente la question des réfugiés.

Les gouvernements occidentaux ne semblent pas réaliser qu’en suspendant leurs financements à l’UNRWA et en laissant l’agence s’effondrer, ils rapprochent ironiquement la question des réfugiés palestiniens de chez eux.

L’article 1.D de la convention relative au statut des réfugiés stipule :

« Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention. »

Cet article a été spécialement rédigé à l’intention des réfugiés palestiniens. Si l’UNRWA n’est plus en mesure de remplir son mandat, les réfugiés palestiniens peuvent automatiquement demander la reconnaissance de leur statut de réfugié dans des États tiers, y compris ceux qui suspendent leur financement à l’agence.

Les gouvernements occidentaux ne semblent pas réaliser qu’en suspendant leurs financements à l’UNRWA et en laissant l’agence s’effondrer, ils rapprochent ironiquement la question des réfugiés palestiniens de chez eux

Toutefois, cette disposition ne semble pouvoir s’appliquer que s’ils parviennent à survivre à la guerre d’Israël à Gaza.

Les mesures provisoires prises par la CIJ pour empêcher le génocide à Gaza ne prendront effet que lorsque la lettre et l’esprit de l’arrêt seront respectés non seulement par les parties à la procédure, mais également par l’ensemble de la communauté internationale. Contraindre l’UNRWA à cesser ses activités à ce moment crucial n’a d’autre utilité que de contribuer à la poursuite de la destruction de la population palestinienne dans ce contexte.

Les gouvernements occidentaux doivent immédiatement cesser leur soutien génocidaire à Israël.

-  Hasan Basri Bulbul est professeur adjoint de droit international à la faculté de droit de l’Université du Bosphone (Boğaziçi Üniversitesi), à Istanbul, en Turquie. Il est également responsable des relations extérieures de l’International Refugee Rights Association, une ONG basée à Istanbul qui défend les droits des réfugiés et des migrants.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Hasan Basri Bulbul is an Assistant Professor of International Law at Bogazici University, Faculty of Law, Istanbul, Turkey. He also serves as the head of external relations at the International Refugee Rights Association, an Istanbul-based NGO advocating for the rights of refugees and migrants.
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