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L’Égypte va droit dans le mur. Il nous faut agir maintenant pour limiter les dégâts

L’Égypte a besoin de toute urgence d’un plan de sauvetage qui rompe radicalement avec les stratégies destructrices du régime et de ses bailleurs de fonds internationaux
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi participe à une réunion au deuxième jour d’un sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles, le 18 février 2022 (AFP)
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi participe à une réunion au deuxième jour d’un sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles, le 18 février 2022 (AFP)

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février, d’innombrables articles ont été publiés sur les effets dévastateurs de cette guerre sur les pays importateurs de blé de la région MENA, en particulier l’Égypte.

Mais en raison de l’incompétence du régime du président Abdel Fattah al-Sissi et de l’absence de vision à long terme de ses soutiens internationaux, la grave détérioration de l’économie a en fait commencé il y a des années.

La guerre en Ukraine n’a fait que la révéler et faire la lumière sur la dure réalité : l’Égypte n’est qu’à quelques mois de la faillite et le taux de pauvreté de 30 % se transformera bientôt en un taux de famine insupportable. 

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Beaucoup dans l’opposition égyptienne pensent que nous avons enfin atteint un tournant, celui où le régime de Sissi a été gravement affaibli. Pourtant, je suis totalement déprimé, parce qu’il semble trop tard maintenant pour sauver l’Égypte du chaos et de l’instabilité. 

Combien de lettres ont été envoyées au conseil d’administration du FMI pour l’avertir de l’endettement croissant et de l’utilisation abusive des fonds pour des projets grandioses et la corruption ?

Combien de fois les dirigeants européens et américains ont-ils reçu des informations alarmantes sur l’état réel de l’économie et les risques associés en termes de troubles sociaux, de terrorisme et de migration illégale ?

Chaque avertissement a été accueilli par le silence ou le mépris. Il y a trois ans, j’ai prévenu dans Foreign Policy que l’économie égyptienne n’était pas en plein essor, mais en train de s’effondrer. Dans des articles de réfutation, on m’a accusé d’être aveuglé par ma haine du régime.

Ainsi, malgré tous les avertissements et les symptômes évidents, le cancer de la mauvaise gestion de l’argent public a pu librement se développer et métastaser dans l’ensemble du corps national. Il a maintenant atteint le stade terminal. Un pays de 105 millions d’habitants va s’effondrer. 

Discours d’autosatisfaction

C’est le résultat de neuf années d’incompétence du régime de Sissi et ses acolytes. Malgré – ou probablement à cause de – son contrôle total sur le pouvoir judiciaire, le budget et l’armée, et malgré la répression généralisée et systématique contre toutes les voix dissidentes, conduisant à la détention arbitraire de plus de 60 000 prisonniers politiques, Sissi a – avec l’aide de ses soutiens internationaux – littéralement ruiné le pays.

Paradoxalement, malgré les indicateurs alarmants augurant la crise imminente qui ébranlera l’Égypte, le régime maintient son discours d’autosatisfaction sur les prétendues réalisations de l’Égypte.

Sissi sait que la situation est désastreuse et il a en fait soif de l’argent international qui pourrait sauver son trône pendant quelques mois de plus

Après neuf ans de répression, de propagande et d’autoritarisme, admettre ne serait-ce qu’une ou deux erreurs qui pourraient nécessiter une correction n’est pas à l’ordre du jour.

Et pourtant, la situation économique de l’Égypte est désespérée. Le ratio de la dette par rapport au PIB est passé à 93,8 % cette année et une part hallucinante du budget de l’État, 54 %, disparaît à elle seule dans les remboursements de prêts et d’intérêts, ce qui ne laisse pas grand-chose pour financer l’essentiel du pays.

Les « capitaux flottants » se sont évanouis, malgré la décision de la Banque centrale d’Égypte de relever ses taux d’intérêt.

Sissi sait que la situation est désastreuse et il a en fait soif de l’argent international qui pourrait sauver son trône pendant quelques mois de plus. Dernièrement, il a multiplié les coups de relations publiques envers les donateurs potentiels. Certains prisonniers politiques ont été libérés ici et là de manière tout aussi arbitraire que leurs arrestations.

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Plus récemment, Sissi a annoncé pompeusement le lancement d’un dialogue politique. Quel type de dialogue peut être noué quand, dans le même temps, le régime condamne l’ancien candidat à la présidentielle de 2012 Abdel Moneim Aboul-Fotouh à quinze ans de prison ? Enfin, pour tenter de rassurer le FMI, le régime a annoncé la vente d’actifs militaires et étatiques.

Quel est l’intérêt si le régime ne change pas fondamentalement ses habitudes de dépenses à part gagner du temps pendant lequel Sissi va s’accrocher au pouvoir ?

Malheureusement, le plus grand cauchemar de l’Égypte est encore à venir avec les conséquences du remplissage du Grand barrage de la Renaissance. En 2015, le régime a renoncé aux droits historiques de l’Égypte sur le Nil.

Cette décision catastrophique menace la planche de salut sur laquelle une civilisation vieille de 7 000 ans a été construite. La crise économique actuelle frappera durement des millions de personnes souffrant de pauvreté, de faim et d’instabilité. Mais la crise de l’eau de demain mettra en danger l’existence même de notre pays. 

Le chaos semble inévitable

Nous ne devons pas nous leurrer. L’instabilité arrive et le chaos semble inévitable. La question est de savoir comment limiter les dégâts avant que Sissi n’entraîne le pays avec lui dans sa chute.

Il s’agit d’un appel à l’action adressé à toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse du régime, de l’armée, des groupes d’opposition, des défenseurs des droits de l’homme, de l’Occident et, évidemment, des Égyptiens lambda.

L’Égypte a besoin de toute urgence d’un plan de sauvetage qui rompe radicalement avec les stratégies égoïstes et destructrices suivies par le régime et ses bailleurs de fonds internationaux ces dix dernières années.

Ce que je demande du fond du cœur, c’est un véritable processus de réconciliation nationale qui honore le sacrifice de dizaines de milliers d’Égyptiens depuis 2011

L’Occident a parié sur le soutien aux régimes autocratiques pour satisfaire ses intérêts. Son soutien antérieur à la Russie est un autre exemple de la faille fondamentale de cette stratégie. Et le récit de la « lutte contre les islamistes » que les partisans de Sissi promeuvent ne tient pas du tout quand même l’éminent militant égyptien laïc Alaa Abd el-Fattah est condamné à une mort lente en prison.

Depuis le début, il ne s’agit pas de combattre l’islamisme, mais de combattre la démocratie. Pourtant, j’espère encore qu’il verra que Sissi et ses compagnons du Golfe l’ont laissé tomber.

Maintenant que le régime est sur le point de s’effondrer, il est urgent que toutes les forces nationales se rassemblent autour d’un projet plus grand que nous, plus grand que nos opinions politiques, et plus grand même que nos griefs passés les uns contre les autres : sauver l’Égypte.

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Tous les prisonniers politiques doivent être libérés. Les plus pauvres doivent être protégés de la faim et la dette doit être restructurée et éventuellement partiellement annulée.

Les militaires doivent se retirer de tous les domaines sans rapport avec leur travail : la justice, l’économie et la politique.

Le barrage éthiopien doit faire l’objet de pourparlers d’urgence de haut niveau qui rassemblent toutes les forces politiques. Les ventes d’actifs publics doivent être suspendues jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé à ce sujet.

Mais, plus que tout, ce que je demande du fond du cœur, c’est un véritable processus de réconciliation nationale qui honore le sacrifice de dizaines de milliers d’Égyptiens depuis 2011.

Quels que soient leur âge, leur sexe ou leur origine politique, la tyrannie a mis tous les Égyptiens sur un pied d’égalité en violant leurs droits et en brisant leurs espoirs.

L’Égypte est confrontée à des menaces existentielles qui exigent l’union sacrée de toutes les forces politiques. Qui se soucie de nos querelles passées face à de tels enjeux ? 

« Sans elles, je n’aurais pas survécu », a déclaré Solafa Magdy à propos de l’amitié inattendue qu’elle a forgée en prison avec deux femmes qui avaient des opinions politiques et idéologiques très différentes.

Sans les uns et les autres, nous ne survivrons pas, et l’Égypte non plus.

Yehia Hamed est l’ancien ministre égyptien de l’Investissement. Il fut membre du gouvernement de Mohamed Morsi, élu démocratiquement, qui a été renversé par un putsch en 2013.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Yehia Hamed is Egypt's former investment minister. He served in the democratically elected government of Mohamed Morsi, who was overthrown in a coup in 2013.
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