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Présidentielle française : une course vers les bas-fonds de la politique d’extrême droite

De la normalisation de la théorie du « grand remplacement » à la lutte pour le titre de candidat le plus antimusulman, les personnalités politiques françaises emmènent le pays vers des profondeurs jamais atteintes
Éric Zemmour et Marine Le Pen, candidats à l’élection présidentielle, à Paris le 21 février 2022 (AFP)
Éric Zemmour et Marine Le Pen, candidats à l’élection présidentielle, à Paris le 21 février 2022 (AFP)

C’est devenu une sorte de mauvaise blague. La démocratie, le pluralisme, les valeurs, l’éthique : ce qu’ils pourraient être et ce que les commentateurs politiques et les experts médiatiques en font.

Alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie ramène la guerre en Europe, l’élite politique et journalistique française révèle ce qui façonne réellement sa conscience : la vision centrale de ce que signifie être français, européen ou tout simplement humain. Et ce n’est pas glorieux. 

Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, nous apprend que les réfugiés ukrainiens constitueront une « une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit ». Jamais le dernier à commenter l’actualité, l’ancien directeur de rédaction de L’Express Christophe Barbier livre sa définition d’une immigration souhaitable en parlant d’« Européens de culture » et d’une population « très proche, très voisine ». Le journaliste Philippe Corbe note pour sa part qu’« on ne parle pas de Syriens qui fuient les bombardements du régime syrien […] On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, qui prennent la route, et qui essaient juste de sauver leur vie, quoi. »

Les réfugiés noirs et arabes sont considérés comme une menace existentielle, tandis que les migrants « de grande qualité » blonds et aux yeux bleus […] reçoivent un soutien et une protection

Pas étonnant que son confrère Ulysse Gosset soit choqué : « On est au XXIe siècle, on est dans une ville européenne et on a des tirs de missiles de croisière comme si on était en Irak ou en Afghanistan, vous imaginez ? »

Oui, on imagine. Et il n’est hélas pas nécessaire d’avoir beaucoup d’imagination pour comprendre le message réel : les réfugiés ne sont pas tous les mêmes. Les migrants ne sont pas tous les mêmes. Les êtres humains ne sont pas tous les mêmes. Selon leur couleur de peau, leur religion et leur « proximité culturelle », certains méritent d’être soutenus, accueillis et protégés, tandis que d’autres représentent un danger. 

Les réfugiés noirs et arabes sont considérés comme une menace existentielle, tandis que les migrants « de grande qualité » blonds et aux yeux bleus avec lesquels on entretient une « proximité culturelle » reçoivent un soutien et une protection.

Un harcèlement des réfugiés non blancs

Les États membres de l’Union européenne (UE) sont instantanément en mesure de parvenir à un consensus (historiquement inaccessible) pour accueillir des réfugiés ukrainiens pendant une période pouvant aller jusqu’à trois ans sans leur demander de déposer une demande d’asile au préalable, tandis que la maire de Paris, Anne Hidalgo, a instantanément résolu la crise du logement (historiquement insoluble) afin de faire de la place pour les réfugiés ukrainiens.

À la lumière de ces excellentes nouvelles, Andrew Stroehlein, directeur des médias européens de Human Rights Watch, s’est exprimé avec justesse au sujet du consensus européen : « C’était rapide, pertinent et bien fait. Et cela prouve que toutes les excuses passées avancées par l’UE pour ne pas avoir fait preuve d’humanité envers les réfugiés d’autres guerres récentes n’étaient que du vent. Qu’ils ne disent plus jamais : “C’est impossible.” C’est clairement possible. » Surtout pour les réfugiés blonds aux yeux bleus, pourrait-on ajouter. 

Le président français Emmanuel Macron prononce une allocution, le 2 mars 2022 (AFP)
Le président français Emmanuel Macron prononce une allocution, le 2 mars 2022 (AFP)

Pendant ce temps, en France, malgré cette manifestation de solidarité avec les réfugiés ukrainiens « civilisés », la police continue de criminaliser et de harceler les réfugiés noirs, afghans et arabes. Le gouvernement continue de prôner une discrimination de masse à l’encontre des femmes musulmanes qui pratiquent leur sport avec un foulard. Les responsables politiques continuent également de cibler la dissidence et les défenseurs des droits de l’homme, à l’instar d’Aurore Bergé et de son appel au « démantèlement » d’Amnesty International, coupable d’avoir critiqué l’apartheid israélien

L’élection présidentielle qui se profile reste fortement axée sur l’islam, la sécurité et l’immigration, avec deux candidats d’extrême droite (Marine Le Pen et Éric Zemmour) qui recueillent chacun environ 15 % des intentions de vote. Les politiques du président Emmanuel Macron à l’encontre des migrants, des minorités et des communautés musulmanes figurent parmi les plus oppressives depuis des décennies. Son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a ainsi dénoncé la « mollesse » des politiques anti-islam défendues par Marine Le Pen

Prête à tout pour exister dans cette course vers les bas-fonds de la politique d’extrême droite, la candidate des Républicains Valérie Pécresse a récemment normalisé la théorie du « grand remplacement » lors de son plus grand meeting de campagne. Cette théorie raciste, complotiste et antimusulmane prétend que les musulmans et les migrants « remplacent » les populations européennes avec le soutien de « l’élite mondiale ».

Un énorme fossé démocratique

Pendant ce temps, à « gauche », le candidat communiste Fabien Roussel est apparemment plus préoccupé par le véganisme que par cette campagne raciste : « Je ne suis pas un ayatollah qui veut tout interdire, du sapin de Noël au Tour de France en passant par la viande. La vie à base de quinoa et de tofu est fade. Ce n’est pas ma France. »

D’autres candidats ont tenté d’aborder des sujets tels que le changement climatique, la santé, l’éducation ou le démantèlement des services publics en France, mais des derniers ne parviennent guère à s’imposer dans la campagne actuelle. 

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Cela a créé un énorme fossé démocratique entre les priorités identifiées par les Français ordinaires, qui tournent autour des questions environnementales, sociales et économiques, et les priorités choisies par certains médias et les principales forces politiques, qui veulent se replier sur le racisme et les politiques clivantes. 

Tout cela est bien triste, mais ce n’est plus une mauvaise blague. La France se trouve dans une position où l’extrême droite n’est plus une menace. À ce stade, il s’agit d’un cadre politique déjà mis en œuvre par le gouvernement actuel, qui tente désespérément de sauver la face au niveau international en endossant un costume de champion de la liberté

Considérées comme mal informées ou sans rapport avec la complexité du « modèle universaliste français », les critiques internationales sont en réalité fondées. Ces valeurs ne tiennent que si elles se traduisent par des actes qui apportent un changement. Or, le seul changement opéré jusqu’à présent par le gouvernement français a été la création des conditions systémiques qui ont permis à l’extrême droite de devenir la première force politique du pays. 

Le scrutin à venir ne fera que refléter l’ampleur de cette réalité. 

- Marwan Muhammad est un auteur et statisticien français d’origine égyptienne. Après une carrière dans la finance, il se consacre depuis plus d’une décennie à la lutte contre l’islamophobie. Il fut le porte-parole puis le directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la plus importante ONG de défense des droits de l’homme en France dédiée aux musulmans, avant de devenir diplomate pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), où il a soutenu les communautés musulmanes à travers toute l’Europe, l’Asie centrale et l’Amérique du Nord. En 2018, il a mené le premier sondage auprès des musulmans de France (auquel ont participé 27 000 personnes), avant de fonder la plate-forme L.E.S Musulmans, organisation-cadre rassemblant des centaines de mosquées et d’organisations islamiques à travers la France, avec plus de 75 000 soutiens. Il travaille désormais en tant que consultant en matière de droits de l’homme pour des organisations internationales.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marwan Muhammad is a French-Egyptian author and statistician. After a career in finance, he dedicated the last 12 years to the fight against Islamophobia. He was the spokesman and then the director of the Collective Against Islamophobia in France (CCIF), the most prominent human rights NGO in France supporting Muslims, before becoming a diplomat for the Organization for Security and Cooperation in Europe (OSCE), where he supported Muslim communities all across Europe, Central Asia and North America. In 2018, he conducted the first survey of Muslims in France (in which 27,000 took part), before founding the Muslims’ Platform, an umbrella organisation comprising of hundreds of mosques and Islamic organizations across France, with more than 75,000 supporters. He now works as a Human Rights consultant for international organisations.
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