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« Avec toi, quoi qu’il arrive » : le mémo secret révélant le soutien de Blair à la guerre

Ce mémo de juillet 2002 semble avoir engagé le Royaume-Uni à se joindre à l’invasion de l’Irak, mais Blair s’inquiétait également du soulèvement des Arabes
L’un des mémos déclassifiés publiés dans le rapport Chilcot mercredi (AFP)

Si vous commenciez à lire l’intégralité du rapport Chilcot aujourd’hui, à temps plein, vous en émergeriez, la vision floue et pas forcément plus avancé, vers la fin août.

Cependant, parmi les milliers de pages (ce qui équivaut à lire cinq fois Guerre et Paix) publiées mardi, un mémo en particulier a déjà suscité une attention considérable : le mémo déclassifié de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair au président américain George W. Bush en date du 28 juillet 2002.

Ce mémo, envoyé huit mois avant l’invasion de l’Irak en 2003, soulève des questions sur le moment exact où Blair a engagé le Royaume-Uni dans la guerre en Irak – et aussi à quel point sa relation avec Bush a influencé cette décision.

Ces mémos comptaient parmi les nombreux facteurs qui retardaient la publication du rapport, commandé en 2009 et qui devait initialement être rendu un an plus tard.

Selon Chilcot, cette note, marquée « Secret personnel », n’a été vue à l’origine que par les membres du personnel de Blair à Downing Street.

Une copie a été transmise au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Jack Straw, après son envoi, mais pas au secrétaire à la Défense Geoff Hoon, qui auraient tous deux « dû avoir l’occasion de formuler des observations sur le projet à l’avance », conclut le rapport Chilcot.

Le mémo de six pages, intitulé « Note sur l’Irak », commençait par « Je serai avec vous, quoi qu’il arrive ».

Blair y écrit que « se débarrasser de Saddam est la bonne chose à faire ». Mais ensuite, après avoir demandé si les États-Unis voulaient ou avaient besoin d’une coalition, il a rapidement exposé ce qu’il décrivait comme des « conséquences non intentionnelles » si les États-Unis renversaient Saddam Hussein avec le seul soutien du Royaume-Uni – et sans coalition internationale.

« Supposons que cela devienne délicat sur le plan militaire. Supposons que l’Irak subisse des pertes civiles inattendues. Supposons que les Arabes se soulèvent finalement », écrivait-il. Supposons, ajoutait-il, que Saddam utilise des armes de destruction massive ou que les Irakiens, partagés sur le fait d’être envahis, ripostent. »

« Si nous gagnons rapidement », affirmait-il, « tout le monde sera avec nous. Si ce n’est pas le cas et qu’ils [les autres pays] n’ont pas été liés à l’avance, des récriminations s’élèveront rapidement. »

« Il se peut qu’aucune de ces choses ne se produise. Mais c’est une éventualité… je suis donc pour une coalition, pas nécessairement militaire, mais politique. »

Dans le reste de la note, Blair exposait la façon dont les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient « persuader l’opinion » dans les pays arabes et européens et rassembler une coalition.

Blair suggérait que le Royaume-Uni et les États-Unis devraient faire pression pour le retour des inspecteurs de l’ONU afin de « résumer notre casus belli de manière décisive ».

Il dépeignait ensuite le président irakien Saddam Hussein coincé dans une situation inextricable : « S’il accepte, nous continuons notre approche, nous envoyons des équipes et, au moment où il fait de l’obstruction, nous disons : il recommence ses manipulations. Voilà. En tout état de cause, il va probablement merder et ne pas respecter la date limite, et s’il se manifeste après la date limite, nous n’aurions qu’à refuser de traiter avec lui. »

Blair a également écrit :

·         qu’il croyait que les Américains étaient trop optimistes par rapport au fait que les pays arabes et européens se rallieraient à leurs côtés pour soutenir l’action militaire : « Le problème est que tout le monde dit qu’ils vont soutenir une action, mais ils ajoutent une clause et cette clause n’est pas toujours assez entendue ou exprimée. »

·         que les dirigeants arabes pourraient se laisser convaincre de rejoindre une coalition si cela signifiait que le processus de paix israélo-palestinien devenait une priorité : « Il m’est d’avis que [le processus de paix] est essentiel et qu’importe ce que les Arabes disent à un niveau, à un autre c’est dans l’âme même de leurs comportements. »

·         à propos des dirigeants arabes : « Nous devons faire un effort particulier pour séduire le monde arabe, pour proposer aux radicaux un partenariat pragmatique ou les mettre sur la liste de ‘’l’axe du mal’’. Mais nous ne devons pas laisser cela au hasard ou à leur (mauvaise) prise de décision. »

·         que l’opinion publique outre-Atlantique, y compris au Royaume-Uni, pourrait être un problème : « L’opinion américaine est tout simplement sur une autre planète comparée à l’opinion publique ici, en Europe ou dans le monde arabe… en ce moment, curieusement, notre meilleur allié pourrait être la Russie ! »

·         Il a exposé deux options militaires – le concept de « running start » et celui de « generated start » – en faisant valoir que la seconde option, qui verrait une accumulation des forces de la coalition dans la région, serait le signe « d’intention sérieuse vis-à-vis de la région et contribuerait à attirer les gens vers nous ; et démoraliserait les Irakiens ».

« Mais la question cruciale, écrivait-il, n’est pas quand, mais comment. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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