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À Bagdad, chrétiens et musulmans se réunissent pour fêter Noël

Alors que la sécurité dans la capitale irakienne a récemment atteint son plus haut niveau, les Bagdadiens de toutes confessions sont enchantés par l’esprit de Noël et les décorations qui embellissent les rues
Une Irakienne passe devant un magasin vendant des décorations de Noël dans la capitale Bagdad (Reuters)

BAGDAD – Les Bagdadiens se préparent à célébrer Noël avec un enthousiasme qui défie les perceptions internationales de plus en plus dépassées selon lesquelles l’Irak est un pays déchiré par la guerre, souvent à la merci de groupes armés.

Tandis que les étals des marchés se remplissent de pères Noël en peluche et d’une impressionnante variété d’arbres de Noël en plastique multicolores, des allées entières de magasins sont dédiées à la vente d’articles de Noël : boules colorées, pommes de pin scintillantes, bonhommes de neige en plastique et costumes rouge et blanc pour enfants.

Dans toute la capitale, de nombreux hôtels, cafés et restaurants arborent des arbres de Noël et des décorations représentant pour la plupart des images du père Noël. Les scènes de la Nativité sont moins présentes, ce symbole chrétien étant pour la plupart réservé aux églises.

« Cette année est spéciale et nous célébrons cette fête plus largement et de manière plus visible, en faisant notamment sonner les cloches de l’église et en entonnant des chants »

- Nonne irakienne

« Nous n’avons eu aucune menace ou problème cette année et la situation pour nous est stable et agréable », a déclaré une religieuse du couvent dominicain du quartier de Karrada, qui a préféré ne pas communiquer son nom.

Se tenant à côté d’une crèche illuminée et d’un arbre de Noël richement décoré dans l’église du Christ-Roi à Bagdad, la sœur a confié à Middle East Eye que les chrétiens d’Irak avaient par le passé modéré leurs célébrations de Noël, la fête coïncidant parfois avec le mois islamique de Muharram, durant lequel de nombreux musulmans pleurent l’assassinat du petit-fils du prophète Mohammed, l’imam Hussein.

« Nous respectons la tristesse des musulmans à ce moment-là », a-t-elle expliqué.

Cependant, cette année, les deux dates ne se chevauchent pas et la sécurité dans la capitale irakienne a récemment atteint son plus haut niveau. « Cette année est donc spéciale et nous célébrons cette fête plus largement et de manière plus visible, en faisant notamment sonner les cloches de l’église et en entonnant des chants. »

Crèche dans l’église du Christ-Roi à Bagdad (MEE/AbdelHakam Ziyad)

Les religieuses jouent un rôle important dans la communauté locale de ce quartier, gérant une école et travaillant dans un hôpital.

« Il n’y a pas de problème entre chrétiens et musulmans à Bagdad. Nous les aimons, nous travaillons avec eux et nous vivons avec eux de manière solidaire »

- Une nonne irakienne

« Il n’y a pas de problème entre chrétiens et musulmans à Bagdad. Nous les aimons, nous travaillons avec eux et nous vivons avec eux de manière solidaire », a affirmé la sœur. « Et tous les enfants ici sont très enthousiastes au sujet de Noël. »

La religieuse a toutefois admis que la fréquentation de l’église avait diminué de 90 % au cours des quinze dernières années, conséquence des années d’instabilité et de déclin économique qu’a connues le pays. Selon elle, la communauté chrétienne de Bagdad continue de diminuer d’année en année.

« Ma famille élargie en Irak comptait près de cent personnes, or nous ne sommes plus que dix aujourd’hui. Je suis attristée de constater que la plupart de mes proches ne vivent plus ici », a-t-elle confié.

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Selon le dernier recensement officiel irakien, l’Irak comptait 1,5 million de chrétiens en 2003 (environ 6 % de la population du pays), mais les années de violence alimentées par des différends sectaires suite à l’intervention militaire menée par les États-Unis en 2003 ont vu leur nombre diminuer à environ 250 000.

À Bagdad, un haut responsable de l’Église a déclaré à MEE sous le couvert de l’anonymat que ce chiffre était une estimation « généreuse ». Il estime que le nombre actuel est considérablement plus bas, en particulier suite à l’essor en 2014 du groupe État islamique (EI) dans le nord de l’Irak, région qui abritait autrefois la majorité des chrétiens d’Irak. Les violences ont poussé nombre d’entre eux à demander l’asile en Europe, au Canada ou en Australie.

Un Noël non chrétien

Alors que la minorité chrétienne d’Irak représente aujourd’hui moins de 1 % de la population, à Bagdad, ce sont en fait beaucoup plus les musulmans que les chrétiens qui célèbrent Noël, bien que modestement ou sans connotation religieuse.

« En tant que musulmans, nous croyons en Jésus, et le Coran contient un chapitre entier sur lui et sa mère. Nous aimons Jésus et sa mère Marie », a déclaré à MEE Suad Hussein, professeure d’université âgée de 46 ans.

« En tant que musulmans, nous croyons en Jésus, et le Coran contient un chapitre entier sur lui et sa mère. Nous aimons Jésus et sa mère Marie »

- Suad Hussein, professeure d’université

« Les musulmans doivent respecter tous les prophètes, mais nous devrions célébrer Noël de manière modeste et modérée, sans faire beaucoup de bruit et de chahut en klaxonnant dans les rues ou en mettant de la musique à plein volume. »

Pendant les fêtes de Noël et du Nouvel An, Suad Hussein a coutume de préparer des déserts populaires irakiens, en particulier des kletchas (pâtisseries fourrées avec de la date), pour les distribuer à des amis et voisins. « Une famille chrétienne vit à proximité et nous les voyons aller très tôt à l’église le jour de Noël. Quand ils reviennent, nous allons leur souhaiter un joyeux Noël et leur offrir des kletchas », a-t-elle raconté.

« Noël est une fête de nos frères chrétiens et nous le célébrons avec eux parce que c’est l’anniversaire d’un prophète », a déclaré pour sa part Ammar Riad, 47 ans, directeur du centre commercial Sama al-Bait à Bagdad. Il a insisté sur le fait que les musulmans et les chrétiens irakiens étaient unis, partageant à la fois leur bonheur et leur tristesse, et n’étaient pas divisés par la religion.

Piles de père Noël en peluche dans l’un des nombreux centres commerciaux de Bagdad (MEE/AbdelHakam Ziyad)

« La situation à Bagdad est satisfaisante à présent et nous essayons de rétablir la confiance mutuelle et d’oublier toutes nos souffrances », a-t-il ajouté. « Nous espérons vraiment que nos frères chrétiens qui ont fui le pays retourneront en Irak et y vivront à nouveau comme par le passé. »

« Nous espérons vraiment que nos frères chrétiens qui ont fui le pays retourneront en Irak et y vivront à nouveau comme par le passé. »

- Ammar Riad, directeur de centre commercial

Il pourrait s’agir cependant d’un vœu pieux. De nombreux Irakiens manifestent le désir de quitter le pays, en particulier les minorités chrétiennes et yézidies, dont les foyers et communautés dans le nord de l’Irak ont été dévastés par l’EI et qui vivent dans la crainte d’une nouvelle vague de persécution.

L’esprit de fête

« J’aime chaque aspect de Noël. C’est plus amusant que nos célébrations de l’Aïd, et nous l’apprécions beaucoup ici en Irak », s’enthousiasme Zeineb Mohammed, étudiante en anglais âgée de 19 ans. « La seule chose que nous n’avons pas ici à Bagdad, c’est la neige. »

Même de nombreux musulmans issus d’un milieu conservateur, qui préfèrent observer les festivités de loin, apprécient l’atmosphère.

« J’aime les couleurs de Noël et je pense que les décorations et l’esprit de Noël agissent sur l’état d’esprit des gens », a déclaré Wassan Arif, un employé de l’ambassade des États-Unis âgé de 42 ans.

« Si je vivais seul, j’aurais un sapin à la maison, mais je ne peux pas parce que je vis avec ma famille et qu’ils ont leurs propres croyances religieuses. Toutefois, mon frère laisse sa femme décorer un sapin parce qu’elle aime vraiment Noël. »

Une mosquée se reflète dans la vitrine d’un magasin de cosmétiques, à l’extérieur duquel se trouve un sapin de Noël décoré (MEE/AbdelHakam Ziyad)

Plusieurs jeunes qui ne fêtent pas Noël chez eux ont déclaré qu’ils appréciaient quand même le sentiment de participer à une célébration mondiale en partageant des images festives sur les réseaux sociaux.

Un malentendu courant sur le fait que Noël est synonyme de réveillon du Nouvel An alimente encore davantage l’esprit de fête, car beaucoup de gens ne se rendent pas compte qu’une grande partie des images de Noël ont une signification chrétienne.

« L’esprit de Noël est agréable, et ces deux dernières années, c’était formidable de pouvoir passer du temps en famille, sans violence ni malheurs à Bagdad »

- Abdullah Saffa, habitant de Bagdad

« Noël est une double célébration. Pour les chrétiens, il s’agit de la naissance de Jésus et pour nous, c’est le début d’une nouvelle année », a déclaré Mariam Abdul Mohsen, 27 ans, vendeuse de confession musulmane dans l’un des nombreux magasins de cosmétiques de Bagdad.

Abdullah Saffa, qui travaille dans un magasin de vêtements à proximité, a admis que de nombreux Irakiens ne comprenaient pas bien Noël.

« C’est juste un jour comme un autre en réalité, et les Irakiens ne savent pas comment le célébrer correctement », a estimé le jeune homme de 27 ans. « Mais l’esprit de Noël est agréable, et ces deux dernières années, c’était formidable de pouvoir passer du temps en famille, sans violence ni malheurs à Bagdad. »

En effet, Bagdad en 2018 est bien loin de la ville dangereuse que l’on a vue ces dernières années, en particulier dans les années qui ont suivi l’invasion de 2003 et qui ont inspiré au groupe de garage rock américain Black Lips la chanson « Christmas in Baghdad » en 2007.

Écrite selon le point de vue d’un soldat américain combattant en Irak, les premières lignes sont les suivantes : « Christmas in Baghdad can be such a drag, I don’t want to come home in a body bag. » (« Noël à Bagdad peut être si démoralisant, je ne veux pas rentrer à la maison dans un sac mortuaire. »)

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À Bagdad, comme dans une grande partie de l’Irak, la sécurité générale est meilleure qu’elle ne l’a été depuis plus de dix ans.

Certaines des bornes en béton conçues pour prévenir les attentats-suicides et les nombreux points de contrôle de la ville sont progressivement démantelés. En outre, en décembre, le Premier ministre Adel Abdel-Mahdi a partiellement rouvert au public la zone verte fortifiée et ultra-sécurisée de Bagdad.

De nombreux Bagdadiens attribuent en grande partie les rues décorées pour Noël à ces améliorations générales de la sécurité suite à la défaite de l’EI par les forces de sécurité irakiennes, et plusieurs ont noté qu’il y avait cette année plus de décorations que jamais.

« Je viens d’une famille musulmane très traditionnelle, donc Noël ne faisait pas partie des moment importants de ma vie », a déclaré Zeineb al-Adhami, 29 ans, assistante du directeur d’une école primaire. « Mais maintenant que je vois Bagdad en fête, mon cœur déborde de joie. »

Traduit de l’anglais (original).

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