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Procès des attentats de 2015 à Paris : « Ils doivent être condamnés pour avoir fait de ce 9 janvier le pire jour de ma vie »

Un palais de justice de Paris placé sous haute surveillance, 200 parties civiles, 114 témoins, 14 accusés dont 3 absents. MEE suit le procès hors norme de l’attentat de Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper-Cacher, qui a débuté mercredi dernier
Un croquis de salle d'audience réalisé le 2 septembre 2020, au palais de justice de Paris, montre les quatorze accusés et leurs avocats, le premier jour du procès des attentats de Charlie Hebdo (AFP)
Par Céline Martelet à PARIS, France et Édith Bouvier

Depuis cinq jours, chaque matin, une routine s’est désormais installée en salle 2.02 de l’immense palais de justice de Paris. Aux alentours de 9 heures, les onze accusés sont escortés, menottés, par des policiers encagoulés jusqu’à leurs places dans deux box vitrés qui se font face.

Ils s’installent toujours à la même place. Et ce qui frappe, c’est le profil de ces onze hommes : on est bien loin des personnalités que l’on croise habituellement dans les procès à Paris pour des faits en lien avec le terrorisme.

Le plus âgé a 68 ans, aucun n’est présenté comme « radicalisé », tous sont poursuivis pour avoir apporté aux auteurs des attentats de janvier 2015 à Paris, qui ont fait dix-sept victimes, un soutien logistique, notamment en leur fournissant des armes.

Marie Dosé, avocate de l’un des accusés, l’assure à Middle East Eye : « Ceux qui sont dans le box ne savaient rien du dessein criminel précis des frères Kouachi ou d’Amédy Coulibaly [les auteurs des attaques, tués par les forces de l’ordre]. Aucun d’eux n’a participé directement aux attentats. »

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Et, effectivement lorsque ces onze accusés expliquent leurs parcours à la cour d’assises spécialement composée, l’audience prend des airs de procès pour grand banditisme.

« Ma passion, c’est l’argent ! Je veux mourir riche. Le travail, ce n’est pas pour moi, moi je fais des magouilles », lance à la barre Ali Riza Polat. Le Franco-Turc est seul à être poursuivi pour complicité d’assassinat. Il risque la perpétuité.

Michel Catino, l’un des deux Belges poursuivis, se définit lui comme « catholique, non violent et pacifiste » – bien loin donc de l’image associée aux auteurs d’attaques se revendiquant de l’islam. Son seul défaut selon lui : le jeu. Il explique au tribunal : « Je me défendais très bien au poker, j’ai gagné beaucoup d’argent comme ça. »

Les trois accusés qui auraient pu apporter des réponses sur la préparation des attentats, sur les donneurs d’ordres, ne sont pas là.

Les deux frères Belhoucine, originaires d’Île-de-France et membres du groupe État islamique, qui a revendiqué les attaques contre la policière de Montrouge et l’Hyper Cacher commises par Amedy Coulibaly (celle contre Charlie Hebdo a été revendiquée par al-Qaïda dans la péninsule arabique), sont présumés morts en Syrie.

Hayat Boumeddiene, la veuve d’Amedy Coulibaly, est en fuite et se cache très probablement dans la province d’Idleb en Syrie, où elle avait rejoint le groupe État islamique peu avant la tuerie. L’enquête a permis d’établir qu’elle a eu un rôle dans la préparation des attaques.

La mort et l’horreur en salle d’audience

Le silence. Lundi matin, la salle d’audience, parfois un peu agitée, a été plongée dans un silence glaçant. L’un de ces moments qui accompagnent l’effroi.

Pour examiner les faits, le tribunal a diffusé les images de l’attaque contre Charlie Hebdo. Plusieurs vidéos. Une scène de crime effroyable. Avant de les diffuser, l’enquêteur de la section antiterroriste chargé de les expliquer prévient : « Les victimes sont très clairement visibles. »

« Ces images sont d’une rare violence, on y voit des machines de guerre déterminées. Je dois l’avouer, pendant quelques minutes, j’ai eu du mal à rester dans mon rôle d’avocat »

- Cathy Richard, avocate du fils de Bernard Maris

Sur les bancs des parties civiles, plusieurs survivants de l’attentat et des proches des journalistes assassinés se lèvent et sortent. D’autres font le choix de rester.

Sur l’écran, derrière les juges, défile ensuite l’horreur. Du sang, des meubles renversés, des corps enchevêtrés dans une première vidéo. Puis, dans une autre, les deux assaillants, Saïd et Chérif Kouachi, armes à la main, gilets tactiques sur les épaules, entièrement vêtus de noir.

Sur les images de vidéo surveillance de Charlie Hebdo, on les voit marcher, presque calmement. Leurs crimes sont méthodiques. À l’extérieur, ils prennent le temps de recharger leurs armes, hurlent dans la rue « On a vengé le prophète ! » et repartent.

Dans leur fuite, Chérif Kouachi abat d’une balle dans la tête Ahmed Merabet, un policier arrivé sur les lieux. Il ne lui laisse aucune chance de survivre.

À la barre, l’enquêteur de la section anti-terroriste décrit chaque scène et répète plusieurs fois : « Alors, pour que tout le monde comprenne bien… on voit bien… » Il tourne le dos à la salle d’audience et ne voit pas les avocats des parties civiles, ceux de la défense, les journalistes et les accusés… tous ont le souffle coupé par autant de violence.

Cette capture d'image montre les assaillants pointant des fusils Kalachnikov, après avoir quitté le bureau de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, à Paris, 10 novembre 2020 (AFP)
Capture d'image montrant les assaillants pointant des fusils Kalachnikov après avoir quitté le bureau de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, à Paris, le 7 janvier 2015 (AFP)

Lorsque le président suspend la séance, à l’extérieur, Cathy Richard a les larmes aux yeux. Elle est l’avocate du fils de Bernard Maris, tué dans la salle de rédaction du magazine satirique.

« Ces images sont d’une rare violence, on y voit des machines de guerre déterminées. Je dois l’avouer, pendant quelques minutes, j’ai eu du mal à rester dans mon rôle d’avocat », confie-t-elle à MEE, la voix tremblante.

« Ces vidéos, il fallait les montrer, il fallait que les accusés les voient pour qu’ils comprennent qu’une arme, ça peut servir à ça. Et oui, il fallait mettre de l’émotion dans la terreur. »

Tout au long du procès, des psychologues de l’association Paris Aide aux Victimes (PAV75) sont présents à l’extérieur de la salle d’audience. Gilet bleu sur le dos, ces médecins vont discuter avec les familles des victimes, les survivants, les témoins… quelques minutes d’écoute pour leur permettre d’exprimer leurs émotions mais aussi, très souvent, leurs angoisses.

Raconter le sang et la poudre

Ce mardi, ce sont les témoins directs de la tuerie de Charlie Hebdo qui sont venus témoigner à la barre. Des membres de l’époque du journal qui ont vu leurs amis tomber les uns après les autres sous les balles.

« Ils voulaient effacer le journal, nous faire disparaître. En sortant, je me souviens qu’ils ont hurlé : ‘’On les a tous eus’’ »

- Laurent Léger, journaliste rescapé de la tuerie

Cet instant à la barre, face à la cour d’assises spécialement composée, ils l’attendaient depuis cinq ans. Ils l’ont préparé. Et, ils ont raconté.

Les tirs, le sang, l’odeur de la poudre... À la barre, Laurent Léger a essayé de décrire. Décrire cette violence, l’effroi, cette impression que la mort est proche.

Le journaliste était dans la salle de rédaction où Chérif Kouachi a abattu d’une ou plusieurs balles dans la tête Charb, Tignous, Wolinski, Cabu, Honoré, Bernard Maris, Elsa Cayat, un invité de la rédaction ce jour-là, Michel Renaud, et Franck Brinsolaro, chargé de la sécurité de Charb. Il a réussi à échapper aux balles en se jetant sous la table.

Au tribunal, il a raconté hier : « Quand les terroristes sont arrivés, tout le monde s’est levé d’un coup pour essayer de leur échapper. Je me suis recroquevillé sous la table, j’ai vu les corps tomber à côté de moi. Ils voulaient effacer le journal, nous faire disparaître. En sortant, je me souviens qu’ils ont hurlé : ‘’On les a tous eus’’. »

Pochoirs de l’artiste français Rob.Ink représentant (de g. à d.) Honoré, Wolinski, Cabu, Charb et Tignous sur un mur près du siège de Charlie Hebdo à Paris un an après l’attaque (AFP)
Pochoirs de l’artiste français Rob.Ink représentant (de g. à d.) Honoré, Wolinski, Cabu, Charb et Tignous sur un mur près du siège de Charlie Hebdo à Paris un an après l’attaque (AFP)

Sigolène Vinson, la chroniqueuse judiciaire de Charlie Hebdo, était elle aussi au siège de l’hebdomadaire, mais en dehors de la salle de rédaction. Elle a été épargnée ce 7 janvier 2015. Elle n’oubliera jamais le regard de Chérif Kaouchi et cette phrase : « On ne tue pas les femmes ».

Cet attentat a laissé chez elle des blessures psychologiques. Sur le bras, cette amoureuse de la mer s’est fait tatouer la baleine de Moby Dick et douze personnes sur une barque.

« Je voulais que ce tatouage me permette de sortir la douleur de mon cerveau pour aller sur mon bras. Maintenant, les douze victimes sont là. Ça fait partie de moi comme la couleur de mes yeux ou de mes cheveux », a confié la journaliste à la salle d’audience.

« Savoir comment cela a été possible »

Jusqu’à la fin de la semaine, la cour d’assises spéciale va entendre encore les victimes de Charlie Hebdo et leurs familles. Certains ont annoncé déjà qu’ils ne viendraient pas à la barre. Trop difficile.

« Je sais que face à eux, je vais avoir peur, je vais être en colère aussi. Ce moment va être très difficile mais je n’ai pas le choix. »

- Zarie Sibony, caissière de l’Hyper Cacher

Dans les prochaines semaines, le tribunal va se pencher sur les autres attaques de ce mois de janvier 2015. Celle contre une policière à Montrouge, en banlieue parisienne, et celle contre l’Hyper Cacher, une épicerie de la communauté juive.

Témoignage très attendu : celui de Zarie Sibony. L’une des deux caissières de l’Hyper Cacher. Elle a passé quatre heures en face à face avec Amedy Coulibaly le 9 janvier 2015. L’assaillant l’a obligée à rester avec lui pendant toute la prise d’otage. C’est elle qui a fermé le rideau de l’épicerie, elle qui a donné à manger aux autres otages également.

Malgré l’angoisse, elle sera là : « Je veux savoir pourquoi cela est arrivé, comment cela a été possible. S’il y a des complices, peu importe s’ils étaient là ou pas au moment de l’attaque, je veux qu’ils répondent de leurs actes », confie la jeune femme de 28 ans à MEE.

« Si les quatorze accusés ont fait quelque chose pour aider à la réalisation de cet attentat, ils doivent être condamnés pour avoir fait de ce 9 janvier le pire jour de ma vie. Je sais que face à eux, je vais avoir peur, je vais être en colère aussi. Ce moment va être très difficile mais je n’ai pas le choix. »

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