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Chez Nous, une marque franco-tunisienne qui se veut éthique et inclusive

À travers sa marque de prêt-à-porter, Camélia Barbachi souhaite promouvoir une mode responsable et susceptible de créer des ponts entre ses deux pays, la France et la Tunisie
« Quand on est jeune, on a besoin de modèles pour s’identifier. Quand tu es Maghrébin, c’est très difficile de trouver des visages qui te ressemblent, que ce soit sur les podiums ou dans les publicités », explique la fondatrice de Chez Nous (avec l’aimable autorisation de Camélia Barbachi)
Par Fatma Torkhani à LILLE, France

« Autobiographique », c’est ainsi que Camélia Barbachi définit sa marque de prêt-à-porter. Lancée officiellement en octobre 2021, Chez Nous, qui dispose d’une boutique en ligne, vient de lancer une collection printemps-été 2022 nommée « Bleu Méditerranée ». Célébrant le denim du XXS au XXXL, cette nouvelle arrivée sur le marché semble susciter un intérêt croissant.

Un projet qui a germé dans l’esprit de sa fondatrice lors du premier confinement : « Je travaillais comme merchandiser pour une marque de sport et, comme beaucoup, la crise sanitaire m’a fait réaliser énormément de choses, dont le fait que je devais concrétiser ce projet que j’avais en tête depuis longtemps », explique-t-elle à Middle East Eye au moment des présentations de sa première collection.

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Née dans le nord de la France, à Roubaix, Camélia a depuis toujours développé un attrait pour la mode. Durant ses études, elle rédige une thèse sur l’impact et les alternatives à la fast fashion, cette mouvance de marques qui produisent des vêtements de manière répétée, très vite, à bas cout, souvent au détriment des travailleurs et de la planète.

« Il y avait déjà eu quelques prises de conscience au sein de l’opinion publique sur le côté néfaste de cette mode, avec notamment l’effondrement du Rana Plaza », se souvient-elle.

Un drame qui hante les mémoires : le 24 avril 2013, un bâtiment abritant plusieurs ateliers de confection pour de grandes marques internationales s’effondrait dans la banlieue ouest de la capitale bangladaise, Dacca, pour un effroyable bilan : 1 135 morts et 2 500 blessés.

Puiser l’inspiration dans ses origines tunisiennes

Ses recherches et ses multiples expériences dans un milieu qu’elle juge volontiers « méprisant » finissent par dessiner les contours de son projet. « Quand j’ai réellement pris la décision de me lancer, je me suis rendu compte que j’avais certes les compétences business, mais pas les techniques mode », souligne Camélia Barbachi.

En parallèle de la création de son entreprise, la jeune femme s’inscrit à une formation pour apprendre à dessiner les vêtements. Développement de l’univers de la marque, création d’une identité, tout s’enchaîne naturellement pour elle : « Je ne me voyais nulle part dans le paysage de la mode, donc c’était évident que ma marque allait me ressembler. »

« Je voulais célébrer l’entre-deux, le fait d’être de deux endroits sans vraiment se sentir appartenir à l’un d’entre eux. [En Tunisie], on nous appelle les “chez nous”, parce que c’est le terme qu’on utilise pour parler de la France quand on est en Tunisie »

- Camélia Barbachi, fondatrice de la marque Chez Nous

Pour cela, Camélia regarde de l’autre côté de la Méditerranée, et puise dans ses origines tunisiennes.

D’ailleurs, c’est avec une pointe d’ironie qu’elle nomme sa marque Chez Nous : « Je voulais célébrer l’entre-deux, le fait d’être de deux endroits sans vraiment se sentir appartenir à l’un d’entre eux. Il y a cette expression qu’on utilise beaucoup en Tunisie pour parler des binationaux, on nous appelle les “chez nous”, parce que c’est le terme qu’on utilise pour parler de la France quand on est en Tunisie. »

À travers ses nombreuses créations, Camélia Barbachi rend hommage à l’île dont sont originaires ses parents, Djerba.

« Une des pièces principales de ma première collection est inspirée d’un habit que tout le monde porte sur l’île, qui est la blouza. C’est une sorte de djellaba très longue, évasée avec un col de chemise et un grand décolleté aéré. Ce que j’ai aimé avec ce vêtement, c’est qu’il est à la fois élégant, confortable, mais aussi très fédérateur. »

Une réappropriation de l’héritage

C’est aussi au sein de l’île que Camélia développe l’idée de faire une marque non genrée. « C’est quelque chose qui m’a sauté aux yeux lors des mariages, il arrive souvent que les femmes se travestissent en portant une blouza et un chapeau de paille. C’est apparu comme une évidence, les vêtements peuvent être portés par tout le monde, peu importe le sexe », affirme la jeune franco-tunisienne.  

Avec sa marque, Camélia Barbachi revendique une réappropriation de son héritage : « Quand tu es issue de l’immigration, il y a ce truc de s’assimiler, de ne pas trop dire, pas trop clamer, et ma collection a été une façon de me libérer de ça », assure-t-elle. 

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Une direction que Camélia Barbachi ne semble pas être la seule à prendre, selon Isaure Bouyssonie, co-créatrice de la boutique SuperSouk.  

Basée à Tunis, dans le quartier de la banlieue nord de la Soukra, cette dernière explique que le but de son concept store « est de valoriser le made in Tunisie, le savoir-faire et la culture locale ».

Pour cette Franco-Italienne dont la famille est installée en Tunisie depuis six générations, les choses ont réellement commencé à bouger après la révolution de 2011, qui a provoqué la chute de Ben Ali.

« Il y a eu une vraie effervescence sur la scène créative, les gens se sont tournés vers l’artisanat, ils revisitent et revalorisent leur héritage, c’est quelque chose de très beau à voir quand on connaît la situation économique du pays », ajoute-t-elle, en référence aux difficultés que connaît l’économie tunisienne.

Un savoir-faire que Camélia Barbachi a également décidé d’aller chercher dans son pays d’origine. « Pour moi, c’était naturel de fabriquer des pièces inspirées de la Tunisie directement sur place. La blouza et le bob ‘’La Goulette’’ sont tous les deux confectionnés dans un atelier à Ksar Hellal, à côté de la ville de Monastir. » 

L’entrepreneuse souligne l’importance du lien qu’elle entretient avec la Tunisie, pays envers lequel elle dit nourrir « un devoir ». Soucieuse d’intégrer les résultats de son travail de recherche sur l’impact environnemental de la mode, Camélia parle Barbachi de sa première collection comme étant éclectique.

« Quand tu es issue de l’immigration, il y a ce truc de s’assimiler, de ne pas trop dire, pas trop clamer, et ma collection a été une façon de me libérer de ça »

- Camélia Barbachi

« J’utilise du coton biologique certifié GOTS [Global Organic Textile Standard], dont la plupart vient de Turquie. Pour les chaussettes, j’utilise du polyamide recyclé, le tote bag est fabriqué en matière upcyclé, ce sont des chutes de tissus de toile de store, des excédents que j’ai récupérés pour en faire des sacs imperméables. La blouza est fabriquée dans une matière artificielle faite à partir de pulpe de bois d’eucalyptus dans un circuit fermé », détaille-t-elle fièrement à MEE

Une démarche que Camélia Barbachi prend le temps d’expliquer à ses clients pour se distinguer de certaines marques de fast fashion qui, selon elle, surfent sur la conscientisation de nos sociétés.

 « On vit dans une aire du woke [éveil], les marques construisent des narrations de façon superficielle, voire hypocrite, face à une conscientisation des consommateurs », explique à MEE la journaliste mode franco-britannique Alice Pfeiffer.

Elle cite comme exemple la chaîne de magasins suédoise H&M, qui a été à de nombreuses reprises accusée de greenwashing, un procédé de marketing et de communication employé pour donner l’illusion d’un engagement écologique.

Inclusivité et respect des travailleurs

Camélia Barbachi souhaite également apporter de la visibilité aux personnes nord-africaines dans ce milieu. « Quand on est jeune, on a besoin de modèles pour s’identifier. Quand tu es Maghrébin, c’est très difficile de trouver des visages qui te ressemblent, que ce soit sur les podiums ou dans les publicités », explique la jeune femme.

Avec sa marque, la fondatrice de Chez Nous revendique une réappropriation de son héritage (avec l’aimable autorisation de Camélia Barbachi)
Avec sa marque, la fondatrice de Chez Nous revendique une réappropriation de son héritage tunisien (avec l’aimable autorisation de Camélia Barbachi)

Un constat que partage Alice Pfeiffer : « Même si ces dernières années, quelques visages commencent à émerger, les imaginaires sont limités par des représentations orientalistes et coloniales de la Shéhérazade ou de la “beurette”. On n’a pas réussi à créer un espace de liberté pour ces femmes », éclaire la spécialiste.

C’est dans cet espace qu’elle souhaite inclusif et respectueux des travailleurs et de l’environnement que Camélia Barbachi ambitionne également de lutter contre les clichés d’une mode éthique qui serait hors de prix et de fait inaccessible. 

« Même si ces dernières années, quelques visages commencent à émerger, les imaginaires sont limités par des représentations orientalistes et coloniales de la Shéhérazade ou de la “beurette”. On n’a pas réussi à créer un espace de liberté pour ces femmes »

- Alice Pfeiffer, journaliste de mode

« Avec mes études de marché, j’ai réalisé que l’argument du prix était en réalité subjectif. Il y a beaucoup de jeunes qui n’ont pas forcément un très grand pouvoir d’achat et qui vont investir dans une paire de baskets qui va coûter très cher », argumente-t-elle, prônant une slow consumption : consommer moins pour consommer mieux.

À ce sujet, Alice Pfeiffer explique que la surconsommation est un facteur majeur dans l’achat auprès de marques de fast fashion : « Socialement, nous avons besoin d’un certain nombre de vêtements pour évoluer, on sait très bien qu’on ne peut pas mettre le même jean deux jours de suite et encore moins [en s’affichant] sur les réseaux sociaux. »

C’est donc une responsabilisation des consommateurs et une démarche anticapitaliste que propose Camélia avec Chez Nous.

Cette dernière persiste et signe : « En passant par du contenu éducatif, en étant transparente sur les conditions de fabrication de mes articles, je crois profondément en un changement des mentalités de la part des acheteurs. »

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