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Après la guerre à Gaza, le « monsieur CPI » rassemble ses preuves contre Israël

L’avocat Raji Sourani, récipiendaire du prix Nobel alternatif en 2013, œuvre chaque jour depuis des années pour obtenir justice pour les Palestiniens
Par AFP à GAZA

Au dixième étage d’une tour de Gaza, les dossiers de Raji Sourani n’ont pas le temps de prendre la poussière. L’avocat palestinien s’active pour représenter les victimes de la dernière guerre avec Israël auprès de la Cour pénale internationale (CPI).

Pour Raji Sourani, le jour où la CPI a annoncé qu’elle ouvrait une enquête sur les crimes commis dans les territoires palestiniens était un jour « lumineux », quand l’ex-Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou fustigeait, lui, « une décision qui est l’essence même de l’antisémitisme ».

Crâne dégarni et paupières lourdes, l’avocat de 66 ans a déposé des dizaines de dossiers auprès de la cour depuis 2015, afin de représenter des Palestiniens victimes selon lui de crimes de guerre commis par Israël.

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Une enquête à La Haye « peut permettre aux victimes de retrouver leur dignité », estime le « monsieur CPI » des Palestiniens, qui dit croire « en l’idée de justice » malgré tous les obstacles.

« Nous sommes des rêveurs, si vous regardez autour de nous, les faits sont si tristes, tout est déséquilibré [en faveur d’Israël] », regrette l’avocat qui a fondé le Centre palestinien pour les droits humains en 1995 et a étudié en Égypte et au Liban.

Avec son équipe d’une soixantaine de personnes, il documente tout ce qui peut prouver selon lui qu’Israël cible délibérément des civils sous couvert de lutte contre le mouvement islamiste Hamas, au pouvoir dans l’enclave – une accusation vigoureusement démentie par les autorités israéliennes.

Les dossiers portent sur la guerre entre Israël et le Hamas en 2014, les manifestations réprimées lors de la Grande Marche du retour de 2018, le « blocus illégal et inhumain » imposé depuis 2007 par Israël sur Gaza... et désormais aussi sur la confrontation armée mi-mai entre le Hamas et Israël.

Photos d’immeubles détruits, listes détaillées des victimes, rapports sur les missiles utilisés par l’armée israélienne, cartographie des endroits bombardés : son travail de fourmi est soigneusement classé dans des dizaines de dossiers.

Une situation « kafkaïenne »

Du 10 au 21 mai, 260 Palestiniens ont été tués par des frappes israéliennes sur Gaza, parmi lesquels des combattants mais aussi de nombreux civils, dont 66 enfants, selon les autorités locales. En Israël, les tirs de roquettes depuis le micro-territoire ont fait 13 morts, dont un soldat, d’après la police et l’armée.

L’armée israélienne se défend de viser des positions civiles et affirme tout faire pour éviter les victimes civiles, tout en reconnaissant des dommages collatéraux.

« Nous ne voulons rien d’autre que l’application du droit international. Nous n’avons aucun désir personnel de revanche mais je pense que les Palestiniens ont droit à la justice et à la dignité »

- Raji Sourani, avocat

Insuffisant, martèle Raji Sourani.

« Les guerres ont lieu entre des armées, les civils doivent être épargnés », assène-t-il. « Les familles al-Kolak, Abou al-Awf, al-Hadidi, les tours Shorouk, Hanadi, Jalaa, les réseaux hydrauliques et d’électricité : qu’est-ce que cela a à voir avec le Hamas ?! »

D’après Israël, les tours détruites abritaient des locaux du Hamas, organisation qu’il considère comme terroriste. Le Hamas, lui, a accusé Israël de frapper des habitations civiles.

À ceux qui revendiquent le droit d’Israël à l’autodéfense face au Hamas, l’avocat leur oppose une situation « kafkaïenne » : un belligérant dispose d’avions de chasse ultra-modernes pour affronter une population sous occupation, en Cisjordanie, ou sous blocus, à Gaza.

« Gaza est la plus grande prison à l’air libre, ils nous ont transformés en mendiants », lance Raji Sourani, dont le ton calme s’est soudain envolé.

Prix Kennedy

Emprisonné à plusieurs reprises par Israël pour ses activités politiques, car membre du Front populaire de libération de la Palestinien (FPLP) considéré comme « terroriste » par Israël, Raji Sourani a « utilisé chaque minute » de sa peine pour étudier l’hébreu et les conventions de Genève sur le droit international humanitaire.

« J’ai vécu toute ma vie sous occupation, personne ne peut dire que l’occupation israélienne est juste », affirme celui qui travaille avec des organisations israéliennes de défense des droits humains.

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Dans son bureau où s’entassent des dizaines d’ouvrages juridiques, en arabe et en anglais, trône sur une commode le buste de Robert Kennedy, ex-sénateur et procureur américain.

Raji Sourani a reçu en 1991, avec l’avocat israélien Avigdor Feldman, le prix Kennedy, au titre de son engagement pour les droits humains. Un prix également décerné en 2016 à sa grande déception à Joe Biden, alors vice-président américain.

« Nous voulons que ce prix défende ce que Robert Kennedy a dit : justice pour tous, qu’importe la couleur, la race, ou quoi que ce soit », dit l’avocat, qui reproche à l’actuel président américain son soutien à l’autodéfense d’Israël.

« Nous ne voulons rien d’autre que l’application du droit international », assure Raji Sourani. « Nous n’avons aucun désir personnel de revanche mais je pense que les Palestiniens ont droit à la justice et à la dignité. »

Réalisé par Claire Gounon (et mis à jour).

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