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L’accord irano-turc de lutte contre le PKK risque de déstabiliser la région kurde d’Irak

Le PKK et sa branche iranienne, le PJAK, jurent de résister aux plans « expansionnistes » des pays voisins
Des Kurdes irakiens posent pendant une manifestation contre une opération militaire turque visant le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans les monts Qandil (AFP)
Par Dana Taib Menmy à SOULEIMANIYE, Irak

Une déclaration conjointe de l’Iran et de la Turquie annonçant la coordination des efforts visant à lutter contre les groupes kurdes armés en Irak inquiète, faisant craindre une escalade qui déstabiliserait davantage une région déjà sous tension.

L’annonce faite le 8 septembre par les deux pays pourrait également être source d’ennui pour le gouvernement régional autonome du Kurdistan irakien (KRG), au moment où celui-ci est engagé dans des négociations vitales avec le gouvernement central à Bagdad.

La Turquie a lancé des opérations aériennes et terrestres contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) mi-juin dans la région de Haftanin, dans le nord de la province de Duhok. Ont suivi des attaques d’artillerie et de drone par l’Iran sur des bases appartenant aux groupes d’opposition kurdo-iraniens dans les montagnes de la province d’Erbil, voisine de l’Iran.

« Les régimes turcs et iraniens mènent tous deux des politiques expansionnistes hors de leurs frontières et des politiques autoritaires au sein de leurs frontières »

- Un haut responsable du PKK

Le PKK, sa branche iranienne – le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) – et d’autres groupes d’opposition sans affiliation tels que le parti démocratique du Kurdistan d’Iran (KDPI) combattent la Turquie et l’Iran respectivement depuis des décennies, réclamant une plus grande autonomie pour les minorités kurdes dans chaque pays.

Selon un haut cadre du PKK qui s’est confié à Middle East Eye sous couvert d’anonymat, l’Iran et la Turquie convoitent des territoires dans les pays voisins.

« Les régimes turcs et iraniens mènent tous deux des politiques expansionnistes hors de leurs frontières et des politiques autoritaires au sein de leurs frontières », affirme-t-il.

« La dissidence, le PKK et le PJAK se démarquent comme des appels à la liberté et la démocratie. C’est pourquoi ces deux régimes élaborent des plans conjoints pour attaquer le PKK et le PJAK. » 

Il estime que les presque 40 ans de guerre du PKK avec l’État turc, qui ont engendré plus de 40 000 morts et des violations des droits de l’homme de chaque côté, constituent une « lutte légitime d’autodéfense ».

Il dit croire que l’objectif principal derrière les opérations militaires du président turc Recep Tayyip Erdoğan en Irak et en Syrie voisine est l’annexion des territoires à majorité kurde dans les deux pays.

Promesses de résistance

Le communiqué turco-iranien de septembre indiquait qu’il « incombait aux deux pays d’utiliser pleinement les mécanismes de coopération existants contre les activités des éléments du PKK/PJAK et d’autres organisations terroristes le long des frontières communes ».

Le PJAK a été fondé en 2004 selon les principes idéologiques du fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, qui appelle à une confédération décentralisée des peuples kurde et du Moyen-Orient à travers la région, ce qu’il présente comme une solution aux conflits sectaires et ethniques.

Bien que le groupe n’ait pas été aussi actif historiquement que le PKK en Turquie, le gouvernement iranien le considère de plus en plus comme une menace mutuelle et coopère sporadiquement avec la Turquie pour le combattre.

Un membre du Parti des travailleurs du Kurdistan porte une arme automatique sur une route des monts Qandil, siège du PKK dans le nord de l’Irak, le 22 juin 2018 (AFP)
Un membre du Parti des travailleurs du Kurdistan porte une arme automatique sur une route des monts Qandil, siège du PKK dans le nord de l’Irak, le 22 juin 2018 (AFP)

« Si l’Iran et la Turquie sont rivaux sur de nombreux sujets, ils sont d’accord en ce qui concerne la lutte contre le PKK et le PJAK, car ils nous considèrent comme des obstacles à leurs ambitions de politique expansionniste. Ce n’est pas leur première opération coordonnée », explique Ahwan Chiako, haut membre du PJAK, à MEE lors d’une interview par téléphone sécurisé.  

« Le nouvel accord entre Ankara et Téhéran intervient après que la Turquie a été vaincue par les guérillas du PKK à Haftanin », déclare Chiako.

« Désormais, les deux pays prévoient de lancer des attaques coordonnées : l’armée turque depuis Haftanin et les forces iraniennes lançant des attaques contre nous depuis les monts Qandil, où nous résisterons de toutes nos capacités armées. »

Ahwan Chiako accuse également les principaux partis au pouvoir au KRG – le Parti démocratique du Kurdistan (KDP) et des éléments au sein de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) – d’« espionner » pour la Turquie et l’Iran contre leurs « frères » kurdes.

Il précise que le PKK et le PJAK se sont abstenus de viser les forces du KDP et de l’UPK afin de ne pas initier une querelle intestine kurde, persuadés que cela ferait le jeu d’Ankara et de Téhéran. Il appelle les deux partis et l’ensemble des Kurdes à s’unir. 

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Le KDP conservateur est un rival idéologique du PKK, ouvertement de gauche, et ces deux parties se détestent cordialement. L’UPK, qui a des tendances de gauche, entretient de manière générale de meilleures relations avec le PKK, mais s’inquiète également de l’impact de la présence de ce dernier dans le nord de l’Irak, qui a régulièrement provoqué des interventions turques au fil des ans.

Safin Dizayee, directeur du bureau des relations étrangères du KRG, accuse le PKK et le PJAK de provoquer de l’instabilité dans la région kurde.

« La population de la région du Kurdistan souffre depuis longtemps des guerres, des déplacements et de l’instabilité. Le temps de la paix et de la stabilité est venu », déclare-t-il à MEE via WhatsApp.

« C’est pourquoi nous rejetons l’existence de toute force ou de toute instabilité dans les régions frontalières.

« Le PKK, le PJAK ou tout autre force ne peut utiliser le territoire de la région du Kurdistan pour lancer des attaques contre les pays voisins – qui doivent également cesser d’infliger des dommages à la région et à sa population. »

Coopération irano-kurde

Les partis d’opposition irano-kurdes ont créé l’année dernière le « Centre de coopération des partis politiques iraniens du Kurdistan » en Suède pour collaborer plus étroitement en matière de lutte armée et diplomatique. 

Le KDPI, qui est lié au KDP, a repris les opérations armées début 2015 après plus de dix ans d’interruption. L’Iran a attaqué le siège du parti à Koya, à une centaine de kilomètres à l’est d’Erbil, à l’aide de plusieurs roquettes le 8 septembre, tuant au moins onze personnes et en blessant des dizaines. 

« L’objectif de l’Iran n’est pas seulement de viser notre lutte au Kurdistan iranien, le régime islamique coopère aussi avec la Turquie, la Syrie et l’Irak contre les Kurdes dès qu’il y a des conditions risquées aux alentours », déclare à MEE Kawa Bahrami, un commandant des forces peshmerga du KDPI.

Bahrami révèle que par l’entremise norvégienne, des négociations de paix ont eu lieu l’année dernière entre les quatre principaux partis d’opposition kurdes iraniens et la République islamique. Toutefois, celles-ci n’ont pas abouti.

« L’Iran ne faisait que gagner du temps pour esquiver les sanctions internationales et le régime iranien ne reconnaîtra jamais les droits nationaux des Kurdes », affirme Bahrami.

Des centaines de villages évacués

Les partis au pouvoir au sein du KRG prétendent avoir réalisé des progrès dans leurs négociations avec Bagdad et ont déclaré que les deux parties étaient proches d’un accord pour sécuriser les frontières et résoudre les problèmes financiers.

Mais l’accord entre la Turquie et l’Iran en vue d’entreprendre des opérations conjointes contre le PKK et le PJAK risque de saper ces progrès.

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Balanbo Mohammed, vice-directeur de la commission des conseils locaux, internes et de la sécurité au Parlement du KRG, déclare à MEE que les bombardements turcs et Iraniens ont amené l’insécurité dans la région frontalière et ont infligé de lourds dommages économiques. Les habitants de 500 villages kurdes ont dû évacuer leurs maisons et leurs fermes, selon lui. 

Il ajoute que ces problèmes doivent être discutés dans le cadre des négociations en cours avec le gouvernement de Bagdad pour préserver « la souveraineté de l’Irak ».  

Interrogé sur les accusations d’Ahwan Chiako du PJAK à l’encontre de l’UPK et du KDP, ainsi que les perspectives d’une querelle intestine entre les Kurdes, Balanbo Mohammed assure : « Je ne crois pas en un nouveau conflit interne kurde. 

« Si le PKK et le PJAK ont des preuves de leurs allégations, ils peuvent aborder le problème directement avec les partis kurdes au pouvoir, pas par l’intermédiaire des médias. »

MEE a contacté le porte-parole du ministère irakien des Affaires étrangères, Ahmed al-Sahaf, mais celui-ci a refusé de s’exprimer sur le sujet.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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