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Le général libyen Haftar se tourne vers Moscou pour recueillir des milliards de dollars de soutien

Le soutien de la Russie pourrait encourager Haftar et marquer un revers majeur pour le gouvernement d’unité libyen déjà en difficulté
Le général libyen Khalifa Haftar à la sortie d’une rencontre avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, à Moscou, le 29 novembre 2016 (Reuters)

Le chef militaire libyen Khalifa Haftar aurait commencé à négocier avec la Russie des contrats d’armement et d’énergie s’élevant à plusieurs milliards de dollars afin d’obtenir un avantage politique et tactique sur les autres factions de la guerre civile qui sévit depuis six ans dans son pays.

Haftar, qui est une figure de proue des factions de l’est de la Libye, s’est rendu à Moscou pour faire pression sur les Russes afin de recueillir un soutien similaire à celui que le président Vladimir Poutine a accordé à Damas.

Son engagement renouvelé avec la Russie survient à un moment où le gouvernement promu par l’ONU à Tripoli, qu’Haftar ne soutient pas, est une fois de plus en crise.

Le soutien de la Russie pourrait encourager Haftar à tenter de gagner le pouvoir à Tripoli, une manœuvre susceptible d’alimenter le conflit et de représenter un revers majeur pour le gouvernement d’unité déjà en difficulté à Tripoli.

Les États occidentaux affirment que le Gouvernement d’entente nationale (GEN) soutenu par l’ONU représente la meilleure chance d’inverser le glissement de la Libye vers l’anarchie et la guerre.

Néanmoins, alors que les scissions et la résistance ont affaibli le GEN dans la capitale, Haftar a pris de l’ampleur à l’est avec l’appui d’alliés étrangers qui soutiennent sa lutte contre les groupes militants.

Le GEN soutenu par l’ONU a été paralysé par son incapacité à obtenir l’appui des alliés d’Haftar, tandis que ses dirigeants ont semblé de plus en plus isolés et de plus en plus dépendants du soutien occidental depuis leur arrivée à Tripoli en mars.

Haftar jouit de liens étroits avec l’Égypte et les Émirats arabes unis et a cultivé son amitié avec la Russie, se rendant deux fois à Moscou l’an dernier pour demander de l’aide dans sa campagne « anti-islamiste ».

La visite de l’Amiral Kouznetsov

Sa visite de l’Amiral Kouznetsov en Méditerranée, effectuée ce mercredi, a été la manifestation la plus ouverte du soutien de la Russie jusqu’à présent.

Dans une vidéoconférence diffusée depuis le porte-avions et reprise par les médias russes, Haftar et le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou ont discuté de la lutte contre les « groupes terroristes », qui constituent également une des cibles déclarées de Moscou dans sa campagne en Syrie.

Les conseillers d’Haftar ont refusé de commenter la visite du porte-avions et d’évoquer ce que celle-ci pourrait signifier pour les relations avec la Russie.

Toutefois, suite à son intervention en Syrie, la Russie voit la Libye comme un moyen d’ancrer son retour au Moyen-Orient, a déclaré Alexeï Malachenko, directeur de recherche au Dialogue of Civilizations Research Institute, un think tank étroitement lié au leadership russe.

« La Syrie seule ne suffit pas. C’est pourquoi nous avons besoin d’un autre État pour la présence russe non seulement en Syrie, mais dans le Moyen-Orient en général. La Libye est un territoire approprié à cet égard. C’est un chaos total et on peut toujours dire que la Russie aide à lutter contre le terrorisme. »

Le président Poutine peut également trouver un intérêt à l’idée de rétablir l’influence de son pays en Libye, selon des analystes. Avant d’être renversé, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi était un allié de longue date de la Russie et Poutine s’était opposé à la campagne de l’OTAN qui a contribué à son éviction.

Alors que la Russie n’avait pas utilisé son veto au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer la résolution autorisant une action militaire, Poutine, qui n’occupait pas le bureau présidentiel à l’époque, avait pris le risque d’exposer une division au sein du leadership russe en la critiquant publiquement.

L’implication russe

La Russie a soutenu en apparence la médiation de l’ONU en Libye et déclare qu’elle respectera un embargo sur les armes dans le pays. Elle pourrait néanmoins finir par récupérer des milliards de dollars en ventes d’armes et transactions énergétiques interrompues à la fin de l’ère Kadhafi en 2011.

Toute incursion en Libye ne fera qu’accroître davantage l’influence russe au Moyen-Orient après son intervention en Syrie.

Le parlement pro-Haftar et le gouvernement de l’est de la Libye n’exercent aucun contrôle direct sur les revenus du pétrole.

Ils ont cependant gardé le contrôle de branches rivales de la Banque centrale, qui a fait imprimer ses dinars libyens en Russie, et de la National Oil Corporation (NOC), qui a tenté sans succès de contourner les résolutions de l’ONU et de vendre du pétrole indépendamment de Tripoli.

« Nous espérons un retour de l’État russe à son rôle de soutien des forces armées de la Libye, qui ont été abandonnées par la plupart des pays dans leur guerre contre le terrorisme », a déclaré Abdallah Bilhaq, porte-parole du parlement de l’est pro-Haftar, qui a évoqué des contrats d’armement à hauteur d’environ 4 milliards de dollars signés avant 2011.

Naji al-Maghrabi, nommé à la tête du NOC par le gouvernement de l’est, a déclaré à Reuters que son bureau avait signé 29 contrats, dont des contrats récents avec des États majeurs tels que la Russie et la Chine. Il n’a pas donné de détails supplémentaires.

Jusqu’à présent, le soutien apporté par la Russie à Haftar semble pour l’essentiel symbolique, bien que cela puisse changer si Haftar tente de prendre Tripoli, ce qu’il se préparerait activement à faire selon ses adversaires de l’ouest de la Libye, a indiqué Karim Mezran, membre du Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient lié au think tank Atlantic Council.

« S’il reçoit des signes de la part de tribus, de groupes ou de milices indiquant qu’ils sont vraiment prêts à passer dans son camp, il pourrait suivre les encouragements russes et agir », a-t-il déclaré à Reuters.

Au début du mois de janvier, un de ses vice-Premiers ministres a démissionné, évoquant une incapacité à unir les factions rivales et à s’occuper de la dégradation du niveau de vie.

Le chef d’un gouvernement autoproclamé mis à l’écart par le GEN a affirmé avoir repris le contrôle de plusieurs bâtiments ministériels, a rapporté Reuters la semaine dernière.

Une panne générale d’électricité dans l’ouest et le sud de la Libye, à laquelle s’ajoutent des problèmes sécuritaires et économiques chroniques, a fait grimper la frustration populaire.

Haftar, ancien allié de Kadhafi qui est revenu de son exil pour rejoindre l’insurrection qui a renversé le dirigeant libyen, a repoussé les tentatives visant à soutenir l’accord négocié par l’ONU qui a créé le GEN il y a un peu plus d’un an, tout en accusant le gouvernement de s’aligner avec certaines des forces de la mouvance islamiste qui ont pris le contrôle de Tripoli en 2014.

À l’est, son Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée a resserré son emprise, chassant les opposants islamistes de la majeure partie de Benghazi, nommant des gouverneurs militaires et étendant son contrôle des installations pétrolières.

Alors que la position de l’ANL s’est renforcée, des représentants occidentaux ont commencé à reconnaître ses gains tout en insistant publiquement sur le fait que l’accord des Nations unies est le seul moyen d’apporter la stabilité à la Libye.

Haftar, qui espère obtenir plus de soutien pour sa position anti-islamiste de la part du président américain entrant Donald Trump, cherche à s’adresser à la nouvelle administration depuis une position de force, a indiqué Mezran.

« Il s’attend à ce que cet accord politique échoue et estime que la seule solution sera une prise de pouvoir militaire ; il pense qu’au final l’Occident se rangera de son côté », a-t-il affirmé.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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