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Des armes au wasabi : un combattant russe en Syrie ouvre son bar à sushis à Idleb

À son lancement, le « Sushi Idlib » n’attirait pas les foules, les plats proposés étant inconnus de la population locale, avant qu’une clientèle ne se fidélise peu à peu
Islam Shakhbanov dans son bar à sushis qui attire désormais une dizaine de clients par jour (AFP/Omar Hajj Kaddour)
Islam Shakhbanov dans son bar à sushis qui attire désormais une dizaine de clients par jour (AFP/Omar Hajj Kaddour)
Par AFP à IDLEB, Syrie

À Idleb, dans l’unique restaurant de sushis de la dernière zone rebelle en Syrie, Islam Chakhbanov, un ancien combattant islamiste russe, surveille deux de ses ex-frères d’armes en train de préparer des makis aux clients.

Arrivé en Syrie en 2015, Islam Chakhbanov a rejoint les rangs des combattants rebelles sous le nom de guerre « Abou al-Fidaa » pour lutter contre le régime de Damas.

« J’étais venu faire le djihad en Syrie et aider le peuple syrien », raconte à l’AFP cet homme de 37 ans, au visage creusé.

Mais « les territoires [contrôlés par les rebelles] ont été perdus », déplore-t-il, se disant profondément troublé de ne pas avoir pu « atteindre cet objectif ».

L’armée du président Bachar al-Assad, appuyée par la Russie et l’Iran, a peu à peu repris les zones contrôlées par l’opposition, ne laissant aux rebelles et aux islamistes armés que le contrôle d’une partie du nord-ouest de la Syrie, où se situe la ville d’Idleb.

Islam Shakhbanov est assis avec ses enfants chez lui à Idleb, en Syrie, le 29 janvier 2023 (AFP/ Omar Hajj Kaddour)
Islam Shakhbanov est assis avec ses enfants chez lui à Idleb, en Syrie, le 29 janvier 2023 (AFP/Omar Hajj Kaddour)

Observant la baisse d’intensité des combats en 2019, Islam Chakhbanov décide de « revenir à la vie civile » et d’ouvrir « Sushi Idlib », le seul restaurant de sushis de la province d’Idleb. 

Le trentenaire, qui a découvert la cuisine japonaise au Pakistan, en Afghanistan, en Indonésie et en Arabie saoudite, souhaite la faire connaître aux habitants de cette zone rebelle où vivent près de trois millions de personnes, dont une majorité sont des déplacés ayant fui d’autres régions syriennes conquises par le régime.

Dans la cuisine de « Sushi Idlib », Islam Chakhbanov surveille ses deux cuisiniers barbus, eux aussi des islamistes armés russes reconvertis. Il a rencontré l’un d’eux sur le champ de bataille.

Subvenir aux besoins de la famille

Tandis que l’un roule soigneusement les feuilles de nori après y avoir placé le saumon et le riz, l’autre prépare les ingrédients.

Le restaurant importe de la Turquie voisine des produits introuvables à Idleb, comme le gingembre mariné, les feuilles de nori et les sauces asiatiques.

« Bientôt, si Dieu le veut, je participerais à un camp militaire pour un entraînement de sniper et si besoin, je rejoindrais les combats sur la ligne de front »

- Islam Chakhbanov, combattant et restaurateur à Idleb

À son lancement, son restaurant n’attirait pas les foules, les plats proposés étant inconnus de la population locale.

Mais peu à peu, Islam Chakhbanov est parvenu à fidéliser certains curieux et son bar à sushis attire désormais une dizaine de clients par jour.

De quoi couvrir les charges, dont le loyer, et subvenir aux besoins de sa femme, une Syrienne qu’il a épousée il y a sept ans, et avec qui il a eu deux filles.

Islam Chakhbanov est originaire du Caucase du Nord : la région du Daguestan, dans le sud de la Russie.

Cette région pauvre et musulmane a fourni un important contingent de recrues aux factions armés en Syrie, dont le groupe État islamique (EI) qui a fait régner la terreur en Irak et en Syrie avant sa défaite en 2019.

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Islam Chakhbanov, de son côté, affirme avoir combattu aux côtés de groupes composés de daguestanais, puis rejoint le groupe islamiste syrien proturc Faylaq al-Cham, jusqu’à ce que « les choses se calment » en 2019. 

Mais il n’a « pas abandonné le djihad », lance-t-il, avant de critiquer les profondes divisions ayant affaibli les factions rebelles et islamistes armés.

Il est l’un des nombreux combattants étrangers ayant décidé de s’installer dans la province d’Idleb, contrôlée en partie par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS), ex-branche syrienne d’al-Qaïda.

Plusieurs groupes composés de combattants étrangers y sont encore présents, certains originaires du Caucase ou d’Asie centrale, mis au pas par HTS.

« Bientôt, si Dieu le veut, je participerais à un camp militaire pour un entraînement de sniper et si besoin, je rejoindrais les combats sur la ligne de front », affirme Islam Chakhbanov, tandis que derrière lui, ses cuisiniers préparent de nouveaux rouleaux de maki.

Par Omar Hajj Kaddour.

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