Syrie : les États-Unis assurent qu'ils « ne renoncent pas »
NEW YORK, États-Unis – Alors que l’avance des forces syriennes soutenues par la Russie fait craindre une aggravation du bilan humain à Alep, dernier bastion urbain des rebelles « modérés » en Syrie, le responsable américain Mark Toner a assuré à Middle East Eye que Washington n’a pas « renoncé » à jouer son rôle dans le conflit.
Le porte-parole adjoint au Département d'État américain, a tenté de dissiper certaines inquiétudes : on craint en effet que Washington – frustrée par les échecs répétés de ses négociations en faveur d’une trêve en Syrie – n’abandonne son rôle dans la guerre, d’autant plus que le mandat du président américain Barack Obama touche à sa fin.
Toner a précisé que Washington venait cette semaine de concéder une aide supplémentaire de 364 millions de dollars à la Syrie, démontrant ainsi son engagement. Et d’ajouter, « cette décision prouve que la Syrie reste pour nous un grave sujet de préoccupation et que nous sommes loin d’abandonner ou de nous éloigner de notre engagement ».
Il a cependant exprimé des inquiétudes sur le fait que la Russie sape les efforts de paix à Alep. Il a même fait allusion à de « possibles prochaines démarches » que les responsables américains envisageraient actuellement. « Nous n’avons cependant guère d’illusions sur la poursuite d’un processus qui ne porte pas ses fruits », a-t-il confié à MEE.
On négocie et, pendant ce temps, la guerre fait rage
Ses propos surviennent à un moment où l’on peut redouter qu’empire la détresse des populations civiles : mercredi, deux hôpitaux ont été détruits lors de la poussée par le nord-ouest des forces gouvernementales qui ont donné l’assaut contre les zones tenues par les rebelles à l’est de la ville syrienne ; ce succès militaire pourrait bien marquer un tournant dans cette guerre civile et le chaos qu’elle provoque.
Des avions militaires russes ou syriens ont anéanti un hôpital clé d’Alep, a déploré le personnel. D’autres bombardements en ont endommagé un second au cours d’une nouvelle semaine de siège qui a définitivement enterré l’accord de cessez-le-feu que les États-Unis et la Russie avaient mis des mois à élaborer.
« Nous n’avons guère d’illusions sur la poursuite d’un processus qui ne porte pas ses fruits » – a regretté Mark Toner, porte-parole adjoint du département d'État américain
Le secrétaire d'État américain John Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, se sont certes entretenus au téléphone, mais il est peu probable que les États-Unis aillent au-delà de leur approche diplomatique habituelle, de plus en plus critiquée à cause de son incapacité à aider les Syriens.
Kerry a exhorté le haut diplomate russe à cesser d’utiliser des « bombes incendiaires et des bombes anti-bunker » contre les zones habitées et à ne plus cibler les hôpitaux et les points d’approvisionnements en eau, ressources vitales pour les quelques 250 000 habitants pris dans la nasse, a indiqué le Département d’État.
Le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad, soutenu par les forces aériennes russes, les forces terrestres iraniennes et les combattants chiites d’Iran, d’Irak et du Liban, a lancé une offensive de grande envergure pour écraser la dernière position urbaine importante des rebelles. On déplore déjà des centaines de victimes.
Carlos Francisco, membre de l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF), qui aidait les deux hôpitaux visés, a décrit l’attaque comme « le bombardement aveugle le plus sanglant depuis le début de la guerre ». Il ne reste plus dans la région que sept chirurgiens au travail, a-t-il ajouté.
L’ambassadeur britannique Peter Wilson a pris la parole à l’ONU pour accuser la Russie et le gouvernement syrien d’être les responsables de cette « horrible situation », ajoutant : « Il est impossible d’imaginer comment retourner à des négociations tant qu’une campagne d’une telle violence fait rage ».
L’agence des Nations unies en faveur de l’enfance, l’UNICEF, a averti qu’au moins 96 enfants ont été tués et 223 autres blessés depuis vendredi. Le directeur adjoint de cet organisme, Justin Forsyth, a déclaré que les plus jeunes « sont pris au piège dans un cauchemar éveillé ».
Le Parti républicain appelle des mesures plus énergiques
Les législateurs républicains ont à plusieurs reprises appelé l’administration Obama à prendre des mesures plus fermes contre Assad, soutenant des projets pour détruire des avions et mettre en place une zone d’exclusion aérienne pour empêcher l’aviation d’Assad de bombes-barils sur les populations civiles.
Obama est à la tête d’une campagne de bombardements menée par la coalition internationale contre le groupe État islamique (EI), mais il hésite à accroître l’intervention des États-Unis en Syrie, se contentant d’armer quelques rebelles triés sur le volet et de déployer des conseillers militaires en petit nombre.
Bob Corker, un républicain qui préside le Comité des relations étrangères du Sénat, a déclaré que l’insuffisante détermination des États-Unis est responsable du chaos qui a suivi le cessez-le-feu. « La Russie sait depuis toujours que les États-Unis ne feront rien pour étayer leurs belles promesses », a accusé Corker.
Le député républicain Ed Royce, président de la commission des Affaires étrangères à la Chambre, a exhorté Obama à ne plus s’opposer à un projet de loi visant à imposer de nouvelles sanctions contre les bailleurs de fonds d’Assad et à lancer les enquêtes prévues contre les criminels de guerre en Syrie.
Antony Blinken, secrétaire d’État adjoint, a été désigné pour informer jeudi le comité de Corker. Mercredi, Blinken a présenté ses plans de soutien aux forces kurdes, conçus pour contribuer à déloger les militants EI de leurs bastions à Raqqa et Dabiq en Syrie ainsi qu’à Mossoul en Irak.
Parallèlement, le Conseil de sécurité des Nations unies se réunira pour évoquer la détresse des habitants d’Alep. Les envoyés occidentaux se sont à nouveau exprimés en faveur de l’ouverture d'enquêtes contre les crimes de guerre en Syrie, mais la Russie a souvent fait usage de son droit de véto et placé le Conseil dans l’impasse.
Royce et Corker ont décliné les demandes d’entretien de MEE, mais les analystes observent que l’administration américaine peine à promouvoir une politique syrienne convaincante et qu’au crépuscule de la présidence Obama, on ne pouvait guère espérer le moindre changement de cap.
« La passivité politique des États-Unis a réduit les options militaires »
Christopher Harmer, ancien officier de la Marine américaine, a déclaré que la Maison Blanche avait laissé passer sa chance de lancer une opération militaire « à faible risque » en Syrie, afin de détruire les forces aériennes d’Assad avant l’intervention de la Russie fin septembre 2015.
« Des personnels russes sont maintenant stationnés sur les bases aériennes syriennes, et toute tentative de détruire les forces aériennes d’Assad n’est plus envisageable. De même, l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne nécessiterait la coopération de la Russie (guère probable), ou risquer une escalade militaire (injustifiable) », a déclaré à MEE Harmer, analyste à l’Institute for the Study of War, think-tank spécialisé dans les guerres.
« L’inaction américaine a réduit nos options militaires : nous pouvions choisir des options d’un risque relativement faible, mais, désormais, toute intervention serait extrêmement risquée. En outre, cette passivité entraînera probablement encore plus de morts et de réfugiés, ainsi qu’une plus grande instabilité régionale ».
« Des personnels russes sont maintenant stationnés dans les bases aériennes syriennes, toute tentative de détruire l’aviation d’Assad n’est plus envisageable » (Christopher Harmer, ancien officier de la Marine américaine)
Faysal Itani, analyste du think-tank Atlantic Council, a déclaré que le refus catégorique d’Obama d’utiliser la force pour faire payer au régime ses nombreuses violations » a saboté les efforts de Kerry pour ramener la paix. Les « pourparlers du haut diplomate américain ne mèneront nulle part ».
Son approche repose donc « entièrement sur la bonne volonté russe » et « n’est appuyée par aucun réel moyen », a déclaré Itani à MEE. « Le régime va continuer à rompre les trêves chaque fois qu’il pourra en tirer un avantage militaire, et la Russie continuera à acquiescer ».
« Je n’attends aucun changement avant le départ d’[Obama] le 20 janvier, car le statu quo actuel se fonde sur l’un des piliers de la politique étrangère américaine : éviter toute implication inextricable dans les conflits du Moyen-Orient, surtout si cela risque de détourner des moyens de lutte antiterroriste et de compromettre la viabilité de l’accord nucléaire avec l’Iran », a ajouté Itani.
Evan Barrett, conseiller de la Coalition pour une Syrie démocratique, a fait pression sur la Maison Blanche pour qu’elle immobilise l’aviation syrienne au sol. Pourtant, il évite le plus souvent de solliciter une administration sur le déclin, puisque les Américains se préparent à élire un nouveau président le 8 novembre.
Il espère que la candidate démocrate, Hillary Clinton, sera plus proactive en Syrie, si elle gagne les élections. Il avoue avoir eu les plus grandes difficultés à engager le dialogue avec son rival républicain, Donald Trump, dont la politique étrangère s’avère « aussi amorphe que totalement imprévisible ».
« À ce stade, nous travaillons principalement main dans la main avec le Congrès, où nous bénéficions d’un large soutien à une intervention plus musclée en Syrie – mais les députés sont impuissants à prendre seuls ce genre d’initiative », a regretté Barrett à MEE. « On se demande seulement quel degré de chaos et d’horreur nous aurons atteint le jour où le prochain président prendra ses fonctions ».
Traduction de l'anglais (original) par dominique@macabies.fr.
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