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France : le nouveau rapport sur le racisme de la CNCDH met en garde contre la « récupération politique des préjugés sur l’Autre »

Dans son état des lieux de l’année 2022, la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que la lutte contre le racisme et la xénophobie est plus que jamais d’actualité
Marche pour dénoncer « la violence d’État et le racisme systémique », à Paris, le 18 mars 2023. En 2022, 19 % des 18-49 ans estiment avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations, contre 14 % en 2008-2009 (AFP/Julien de Rosa)
Par MEE

Alors que la France est secouée par un nouvel épisode de violences policières avec le meurtre du jeune Nahel, Français d’origine algérienne et marocaine tué mardi dernier lors d’un contrôle routier, suscitant une vague d’émeutes ainsi que des accusations de racisme chez les forces de l’ordre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu mardi 4 juillet son rapport annuel sur l’état du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en France en 2022.

Selon l’enquête de ce rapporteur national indépendant, le nombre de faits recensés à caractère raciste, antisémites et xénophobes se maintient à un niveau élevé, même si le baromètre CNCDH témoigne cette année du maintien d’un haut niveau de tolérance parmi la population française.

L’indice de tolérance du baromètre CNCDH indique en effet que, depuis plusieurs années, les préjugés et les sentiments de haine à l’égard de l’Autre ont tendance à s’atténuer.

Cependant, prévient la commission, la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est plus que jamais d’actualité, car si les faits de racisme ont baissé de 23 % en 2022, « le sentiment de discrimination augmente » et les discours haineux se multiplient dans les médias et en politique.

En 2022, 19 % des 18-49 ans estiment avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations, contre 14 % en 2008-2009. L’origine, la nationalité et la couleur de peau demeurent les principales sources de discriminations ressenties pour les hommes, dans 58 % des cas (contre 65 % en 2008-2009).

Ceux qui rapportent le plus de traitements inégalitaires sur ces fondements sont les personnes ori­ginaires d’Afrique subsaharienne, avec un tiers des répondants, ainsi que les personnes originaires des outre-mer.

Instrumentalisation politique

Ce nouvel état des lieux propose deux focus, l’un sur l’instrumentalisation politique et l’autre sur les discours de haine sur YouTube.

Selon le CNCDH, « l’année 2022 a été marquée par le franchissement d’un seuil dans la façon dont les thématiques racistes, antisémites et xénophobes s’expriment dans le débat politique et médiatique ».

Année électorale, 2022 a vu un essor des discours xénophobes, racistes, islamophobes et anti-immigration portés notamment par des candidats d’extrême droite comme la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen ou le fondateur du parti Reconquête! Éric Zemmour, qui a par exemple joué sur la peur du « Grand remplacement » des Européens par des populations d’origine africaine.

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Pour des visées électorales, ces discours sont repris par d’autres partis politiques plus « centraux ». D’après Juliette Grange, professeure de philosophie moderne à l’université de Tours, « la vie politique en France est complètement influencée par l’argumentaire de l’extrême droite ».

« Le gouvernement essaie de rattraper en partie un électorat qui peut être tenté par l’extrême droite », expliquait-elle à Middle East Eye en amont de la présidentielle.

Dans un contexte de crise politique, sociale, économique et identitaire, explique les auteurs du rapport, diverses personnalités politiques ont activement participé à « la politisation du rejet de l’Autre », à travers des discours qui « cherchent à faire de l’Autre le responsable de tous les maux et dont l’instrumentalisation politique contribue à transformer des crispations identitaires en politiques d’exclusion ».

L’enquête se focalise par ailleurs sur les discours de haine sur YouTube. Confiée à une équipe interdisciplinaire de chercheurs, elle élargit le champ de l’étude sur l’empreinte antisémite dans les commentaires YouTube, publiée par la commission en 2020, en incluant d’autres registres de la haine en ligne : racisme, hostilité à l’égard des musulmans et de l’islam, complotisme et masculinisme.

Islamophobie

Le rapport se penche notamment sur la question des préjugés envers l’islam et les musulmans.

« L’essor de l’islamisme radical, la multiplication des attentats commis en son nom, les débats autour du voile et des signes religieux dans l’espace public ont progres­sivement mis l’islam au cœur du débat politique et contribué à la stigmatisation de ses fidèles », note le rapport.

Le baromètre de la CNCDH inclut une quinzaine de questions sur les perceptions de l’islam et des musulmans.

« Les arguments souvent avancés pour justifier la condamnation de certaines pratiques de l’islam ne résistent pas à l’analyse, le ressort premier de l’islamophobie n’est ni un attachement plus marqué aux valeurs républicaines ni une défense de l’émancipation des femmes ou des minorités sexuelles »

- Commission nationale consultative des droits de l’homme

Il en ressort que l’aversion à l’islam s’accompagne le plus souvent de méfiance envers les immigrés, la proportion de scores élevés sur l’échelle qui mesure le sentiment anti-immigrés passant de 18 % chez les plus ouverts aux pratiques de l’islam à 94 % chez les moins tolérants.

Plus les scores des personnes interrogées s’élèvent sur l’échelle d’aversion à l’islam, plus elles sont enclines à voir dans les musulmans « un groupe à part », dans une proportion qui monte de 9 % chez les plus tolérantes à 80 % chez les moins tolérantes.

Les résultats de l’enquête contredisent par ailleurs la thèse d’un rejet de l’islam au nom de valeurs de tolérance qu’il menacerait. Les personnes les plus hostiles à l’islam sont plutôt moins attachées au principe de laïcité, moins enclines à défendre les droits des femmes à s’habiller comme elles l’entendent, plus portées à réduire le rôle des femmes à faire des enfants et les élever, et à condamner l’homosexualité.

« Autrement dit les arguments souvent avancés pour justifier la condamnation de certaines pratiques de l’islam ne résistent pas à l’analyse, le ressort premier de l’islamophobie n’est ni un attachement plus marqué aux valeurs républicaines ni une défense de l’émancipation des femmes ou des minorités sexuelles », observent les enquêteurs.

Concernant les pratiques et interdits de l’islam, ceux-ci sont inégalement acceptés. Le port du voile intégral ou burqa reste massivement rejeté (75 % de l’échantillon y voit un problème pour vivre en société, dont près de la moitié « tout à fait d’accord », sans changement depuis la dernière enquête), suivi par le port du voile rejeté par 45 % de l’échantillon. Mais si on remplace le terme de voile par celui de foulard, plus anodin, la proportion de sondés y voyant un problème pour vivre en société baisse de 7 points.

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Quant à l’interdiction de montrer l’image de Mohammed, elle est vue comme un problème par une proportion croissante de sondés, passée de 42,5 % en 2019 à 48 % en avril 2022 et 51 % en novembre, « réaction compréhensible après le traumatisme de l’assassinat de Samuel Paty, décapité en octobre 2020 pour avoir montré en classe des caricatures du prophète », selon les enquêteurs.

En revanche, toutes les autres pratiques sont acceptées par une proportion majoritaire des sondés, le jeûne du Ramadan et l’interdiction de manger du porc ou de boire de l’alcool apparaissant comme les plus consensuelles, jugées problématiques par seulement 15 % et 19 % des sondés.

Au total, depuis 2019, malgré la polarisation des débats autour de l’islam et de la laïcité sur les réseaux sociaux, la tolérance à l’égard des pratiques de l’islam a augmenté, conclut le rapport.

« Des menaces directes pour toute société démocratique »

« Même si l’évolution de l’indice longitudinal de tolérance que mesure le rapport annuel de la CNCDH tend à montrer une lente progression de la tolérance, la lutte contre le racisme et toute forme de haine de l’Autre reste une priorité qui nécessite une attention permanente », prévient Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH.

« L’analyse des variations de l’indice longitudinal de tolérance a déjà montré par le passé que les idées racistes favorisant l’exclusion peuvent revenir rapidement dans le débat public quand elles sont endossées et légitimées par des responsables politiques et médiatiques. »

« Après une année électorale marquée par des discours prompts à faire de l’étranger, de l’immigré, ou de leurs descendants, la cause de tous les maux, le rapport 2022 de la CNCDH entend rappeler […] les risques de toute essentialisation et instrumentalisation de la haine de l’Autre »

- Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH

« Après une année électorale marquée par des discours prompts à faire de l’étranger, de l’immigré, ou de leurs descendants, la cause de tous les maux, le rapport 2022 de la CNCDH entend rappeler […] les risques de toute essentialisation et instrumentalisation de la haine de l’Autre. »

Le président de la CNCDH rappelle que « chaque atteinte aux droits dont tout individu doit pouvoir jouir à égalité avec les autres, chaque discrimination impunie atteignant la dignité des personnes constituent des menaces directes pour toute société démocratique ».

Pour la commission, le racisme en France reste encore largement sous-estimé et sous-déclaré. Il se manifeste fréquemment à travers des formes de rejet détournées, parfois difficiles à caractériser et à dénoncer par les victimes.

« 1,2 million de personnes seraient victimes chaque année d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe », détaille le rapport. Face à ce chiffre, la réponse judiciaire paraît dérisoire : en 2021, il n’y a eu condamnation que dans 1 382 infractions à caractère raciste.

Parmi ses recommandations, la CNCDH préconise à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d’émettre des rappels à la réglementation en cas d’injure, de diffamation ou d’incitation à la haine ou à la discrimination dans les médias et de renforcer les sanctions.

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