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« Allez à Téhéran » : la mise à l’écart des États-Unis en Irak vécue de l’intérieur

Pendant des années, Khamis al-Khanjar a été l’intermédiaire privilégié des États-Unis quand ils avaient besoin de rentrer en contact avec les tribus sunnites irakiennes. Désormais cible de sanctions américaines, il dit être puni à la demande de l’Arabie saoudite
(Photo fournie)

Khamis al-Khanjar s’effondre sur sa chaise, penche la tête en arrière et rit. Nous sommes dans son appartement à Istanbul et je viens de demander à l’homme d’affaires et politicien sunnite irakien pourquoi il a été inscrit par le Trésor américain, en décembre 2019, sur la liste des sanctions de Washington en compagnie de trois chefs de milices chiites soutenues par l’Iran. 

« C’est politique, à 100 % », déclare Khanjar à Middle East Eye.

« En fait, les Saoudiens m’ont menacé directement. Ils ont dit à Adel [Abdel-Mehdi, alors Premier ministre irakien] qu’ils allaient me mettre sur la liste des sanctions. »

Abdel-Mehdi les a prévenus que ce serait « une énorme erreur », ajoute Khanjar.

« Mais les Saoudiens ne comprennent pas. Pour eux, tout est une question d’argent. Or, ce n’est pas une question d’argent. Lorsque les candidats qu’ils avaient achetés ne sont pas parvenus à remporter des sièges au Parlement, ils ont pensé que j’avais payé plus qu’eux. Ils ne voient pas à quel point leur approche était stupide. »

Khanjar fait référence aux élections législatives de 2018 en Irak, au cours desquelles il a cherché à construire un bloc politique représentant les intérêts des sunnites irakiens qui, selon lui, avaient été marginalisés pendant des années par la classe dirigeante chiite du pays, mais aussi pris pour cibles et persécutés par les milices chiites qu’elle contrôlait.

D’après lui, l’Arabie saoudite a tenté également d’influencer l’élection dans le but de maintenir au pouvoir Haïder al-Abadi, le Premier ministre sortant, favori des États-Unis. Lorsque le plan a échoué, les Saoudiens ont pris leur revanche.

Khamis al-Khanjar, photographié à Amman en 2016 (Reuters)
Khamis al-Khanjar, photographié à Amman en 2016 (Reuters)

L’avis du Trésor américain accuse Khanjar de corruption parmi d’autres crimes non prouvés, alléguant qu’il « prévoyait de dépenser des millions de dollars en paiements à des personnalités politiques irakiennes afin d’obtenir leur soutien » et attribuant ces allégations à un « ancien responsable gouvernemental irakien de haut niveau », dont l’identité n’a pas été révélée.

Le document le décrit également comme « un homme d’affaires millionnaire qui jouit d’un pouvoir important aux niveaux régional et international ».

Sur ce point au moins, les responsables à Washington peuvent témoigner sur la base de leur propre expérience, car Khanjar n’est pas un inconnu à l’ambassade américaine de Bagdad.

Les photos sur son iPhone racontent l’histoire diplomatique des dix-sept années écoulées depuis l’invasion dirigée par les États-Unis et la chute de Saddam Hussein en 2003, plus précisément depuis qu’il a été mis dans le secret et impliqué dans presque toutes les discussions en coulisse sur l’Irak.

Khanjar connaît et a connu personnellement les principaux acteurs de la région : le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), le prince héritier émirati Mohammed ben Zayed, le général iranien assassiné Qasem Soleimani, ainsi que des diplomates occidentaux comme Brett McGurk, spécialiste de l’Irak et ancien envoyé spécial de la présidence américaine auprès de la coalition contre l’État islamique, et John Jenkins, ancien ambassadeur britannique à Bagdad. Il les a tous rencontrés, régulièrement.

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Si les diplomates se sont frayés un chemin jusqu’à sa porte, c’est pour une bonne raison. Pour savoir ce que pensaient les chefs de tribus ou dirigeants sunnites, il fallait taper sur l’épaule de Khanjar.

C’est vers des dirigeants sunnites comme lui que les Américains se sont tournés lorsqu’ils ont cherché à recruter et financer une armée de miliciens sunnites pour mener la campagne connue sous le nom de Sahwa (« réveil » en arabe) contre al-Qaïda au plus fort de l’insurrection du groupe contre les forces d’occupation américaines en 2006.

Khanjar a également été impliqué dans le projet de lancement d’al-Iraqiya, la première liste non sectaire d’Irak, qui s’est vu refuser la possibilité de former un gouvernement en dépit de sa victoire lors des élections de 2010, durant lesquelles elle a remporté le plus grand nombre de sièges au Parlement. Une manœuvre clivante.

Et c’est Khanjar que la CIA consultait quand elle voulait savoir pourquoi les dirigeants sunnites d’Irak s’éloignaient de l’influence américaine et saoudienne pour se tourner vers l’Iran.

Voici la version de Khanjar sur les événements qui, en l’espace de quelques mois, l’ont vu passer d’interlocuteur irakien historique des États-Unis à cible de sanctions punitives généralement réservées aux individus accusés de terrorisme et d’atrocités.

Son récit est partiel. Il est également contesté par ceux dont il parle. Mais c’est le témoignage de première main de quelqu’un qui a été présent lors de réunions clés avec plusieurs Premiers ministres irakiens successifs.

Ce n’est pas seulement une histoire personnelle. C’est aussi l’histoire de la manière dont l’Amérique a perdu l’Irak. À l’homme de la CIA, Khanjar a répondu : « Vous l’ignorez, mais je peux vous dire que l’Amérique est en train de perdre du soutien en Irak. »

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Khanjar ne s’en cache pas. Il a salué l’invasion américaine en mars 2003 et la chute rapide de la dictature de Saddam Hussein. Lui-même avait fui l’Irak six ans plus tôt, en 1997.

« Si j’étais revenu à cette époque, j’aurais été exécuté. Ce que les gens oublient aujourd’hui, c’est que les Irakiens étaient tous égaux sous Saddam. Si vous étiez un opposant, vous étiez un opposant pour toujours. Des gens ont été tués pour tout et n’importe quoi », souligne-t-il.

« Il était évident que les Américains détruisaient les communautés sunnites. À Falloujah, ils ont utilisé des armes illégales. Graduellement, al-Qaïda s’est renforcé » 

- Khamis al-Khanjar

La plupart des Irakiens ont mis du temps à prendre conscience des dangers de l’occupation américaine, estime-t-il. Lorsque les États-Unis ont envahi le pays, ils ont rencontré peu de résistance. Les soldats américains étaient détendus. Ils marchaient dans les rues et allaient au restaurant. La majorité des Irakiens pensaient que les Américains étaient là pour développer l’économie, puis partir.

Mais la lune de miel s’est révélée de courte durée.

Elle a duré jusqu’à la résolution 1483 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en mai 2003, qui a reconnu officiellement les États-Unis comme puissance occupante dotée de responsabilités administratives. Puis vint la décision fatidique de Paul Bremer, premier vice-roi américain dans l’Irak post-invasion, de dissoudre l’armée irakienne.

Celui qui était officiellement connu sous le nom d’administrateur de l’Autorité provisoire de la coalition a créé un conseil de gouvernance sur une base sectaire, qui, affirmait-il, corrigeait une erreur commise lors de la création de l’Irak en 1921 sous contrôle britannique après l’effondrement du pouvoir ottoman.

Avec l’Autorité provisoire de la coalition, c’était la première fois que l’Irak avait un gouvernement nommé sur une base confessionnelle. Chacune de ces décisions devait semer les graines de la guerre civile qui s’est ensuivie.

Selon Khanjar, ces erreurs ont été exacerbées par le comportement des agents des sociétés privées de sécurité américaines, qui ont fouillé des maisons et harcelé des femmes. Il souligne également la colère suscitée par l’utilisation du phosphore blanc – interdit – par les troupes américaines lors d’un assaut en 2005 contre sa ville natale de Falloujah, qui était devenue un bastion de la résistance armée. Tout cela a conduit à renforcer la résistance.

« Falloujah cimetière des Américains ». En 2004, la ville était devenue un bastion de la résistance à l’occupation américaine (AFP)
« Falloujah cimetière des Américains ». En 2004, la ville était devenue un bastion de la résistance à l’occupation américaine (AFP)

« Nous savons maintenant qu’il y a eu des contacts entre les Américains et les Iraniens pendant cette période au sujet du nouvel Irak et de la manière de l’administrer. Des documents sont désormais disponibles sur la coopération entre les deux pays », observe Khanjar.

« Plus de la moitié de Bagdad était sous le contrôle des forces de résistance et al-Qaïda n’en faisait pas partie. La résistance contrôlait la plupart des zones à majorité sunnite.

« Les Américains ont commencé à attaquer région par région. Après en avoir pris le contrôle, ils les ont remises aux forces de sécurité dominées par les milices chiites, et ces unités se sont comportées de manière radicalement sectaire. Il était évident que les Américains détruisaient les communautés sunnites. À Falloujah, ils ont utilisé des armes illégales. Graduellement, al-Qaïda s’est renforcé », résume-t-il.

En 2007, une réunion avec des dirigeants chiites a été organisée à Amman. Khanjar faisait partie des représentants sunnites.

« Les chiites nous ont demandé ce que nous voulions pour calmer la situation. Nous leur avons dit : ‘’Nous voulons un État juste dans lequel tous les Irakiens sont égaux devant la loi.’’ Nous leur avons expliqué comment les sunnites étaient exclus des services de sécurité et des ministères de la Défense et du Pétrole. »

Les représentants du côté chiite (Khanjar renâcle à les nommer) ont répondu : « Nous avons un problème. Nous avons peur des vestiges du régime de Saddam et des éléments d’al-Qaïda. À moins que vous ne vous débarrassiez d’al-Qaïda, nous ne pourrons pas vous rendre vos droits, bien que nous sachions que ce sont vos droits. »

La trahison du Sahwa

Si Khanjar a soutenu le Sahwa, dit-il, c’est parce qu’il le considérait comme un moyen de se débarrasser d’al-Qaïda.

« Ils attaquaient les sunnites et les chiites, tout le monde. La politique d’al-Qaïda était d’attaquer toute la communauté chiite. Nous avions un problème avec les politiciens chiites, pas avec les citoyens ordinaires. »

En échange, les Américains ont accepté de financer et armer les combattants sunnites et d’en recruter 70 000 dans l’armée irakienne après la défaite d’al-Qaïda.

« Ce qui s’est réellement passé, c’est que cette armée irakienne qui a été fondée par Bremer, l’armée chiite, a commencé à mal se comporter dans les zones à majorité sunnite, attaquant les femmes, empêchant les gens d’entrer dans les mosquées, humiliant les habitants aux postes de contrôle, parfois même tuant des gens à cause de leurs noms sunnites.

« Les sunnites ont commencé à se confier à nous. Ils nous ont dit : ‘’D’accord, nous avons réussi à éliminer un mal, mais nous avons laissé entrer un mal plus grand encore.’’ »

Le pire était à venir. La promesse américaine d’absorber 70 000 combattants n’a jamais été tenue. Les États-Unis ont déclaré que cette décision ne pouvait être prise que par le gouvernement souverain de l’Irak, qui était alors dirigé par Nouri al-Maliki, Premier ministre de 2006 à 2014.

Un milicien du Sahwa monte la garde dans un parc public de Bagdad en 2008 (AFP)
Un milicien du Sahwa monte la garde dans un parc public de Bagdad en 2008 (AFP)

« Du point de vue sunnite, c’était une trahison américaine. Les Américains ont cessé de nous parler et ont remis le dossier à al-Maliki, au moment où ce dernier commençait à montrer le pire de ses sentiments sectaires.

« Al-Maliki a cessé de payer les combattants – 80 % d’entre eux. Des dizaines de leurs dirigeants ont été tués. Il en a arrêté certains et d’autres se sont enfuis hors d’Irak. »

Les combattants sunnites du Sahwa se sont retrouvés coincés. L’opinion publique sunnite et le gouvernement de Nouri al-Maliki s’étaient retournés contre eux.

En 2008, deux ans après le début du premier mandat d’al-Maliki en tant que Premier ministre, un groupe d’une douzaine de commandants du Sahwa a rencontré l’ambassadeur américain en Jordanie et lui a dit sans ambages : « Vous nous avez trahis ».

L’ambassadeur a consulté le département d’État à Washington. Il est revenu vers eux cinq jours plus tard. Tout ce que l’Amérique pouvait offrir, a-t-il dit, c’était installer cinq d’entre eux dans l’État du Nevada, dans l’ouest des États-Unis – ce qui s’est produit.

« Il était évident que les Américains les snobaient et qu’al-Maliki était après eux. Certains d’entre eux sont allés se présenter du côté iranien. Ils se sont livrés à l’Iran », révèle Khanjar.

Comment al-Iraqiya a été formé

La communication avec les Américains a été interrompue, mais Khanjar et d’autres dirigeants sunnites ont continué à s’entretenir avec les dirigeants politiques chiites, même si ceux qui avaient contribué à mobiliser les combattants du Sahwa étaient désormais dénoncés comme terroristes.

Khanjar a continué à insister sur le fait que le problème ne pouvait pas être résolu en appliquant une solution d’ordre sécuritaire. Ce dont ils avaient besoin était un règlement politique. L’idée a alors germé de disputer les élections législatives qui devaient se tenir dix-huit mois plus tard avec une liste nationaliste pan-irakienne, dirigée par un responsable chiite connu pour son absence de tendances sectaires.

« Nous avons parlé à trois groupes, dont celui d’al-Maliki. Nous avons organisé une rencontre de toutes les forces sunnites chez moi à Amman avec l’accord du gouvernement jordanien. 

« Nous avons eu des réunions pendant deux jours environ. Nous avons décidé de participer massivement aux élections et, au travers des élections, de changer la situation en Irak.

« L’idée derrière cela était, plutôt que de laisser les jeunes sunnites reprendre les armes, de les convaincre que le changement dans le pays pouvait être provoqué par des élections et de leur donner de l’espoir. »

Pour tête de liste, ils avaient besoin d’une figure de premier plan. Ils ont approché Nouri al-Maliki, Iyad Allaoui, qui avait été Premier ministre par intérim après l’invasion de l’Irak en 2003, de 2004 à 2005, et Jawad al-Bulani, le populaire ministre de l’Intérieur de l’époque.

« Les Américains sont devenus fous. Ils voulaient qu’al-Maliki gagne à tout prix, mais c’est nous qui avons gagné »

- Khamis al-Khanjar

« Al-Maliki m’a téléphoné. Il m’a remercié pour la prise de contact et a dit que nous nous rencontrerions après les élections. Les deux autres étaient d’accord. Donc, fondamentalement, al-Maliki n’était pas intéressé par l’idée d’unité nationale. Quelques semaines plus tard, il y a eu un désaccord entre Bulani et lui, et c’est ainsi que la liste al-Iraqiya a vu le jour. Allaoui en est devenu le leader et la liste a représenté une avancée en raison de son inclusion de politiciens à la fois sunnites et chiites. »

Al-Iraqiya a remporté 91 sièges ; assez pour en faire le plus grand groupe au sein du Parlement. La Coalition de l’État de droit d’al-Maliki est arrivée deuxième avec 89 sièges. La Cour constitutionnelle a décidé que les coalitions gouvernementales pouvaient être formées après les élections plutôt qu’avant, comme c’était le cas à l’époque. Cela a donné lieu à neuf mois de manœuvres et de pressions, qui ont permis à Nouri al-Maliki de rester au pouvoir en tant que Premier ministre en exercice.

Al-Maliki n’était pas seulement l’homme de Washington, il était aussi celui de Téhéran. Les deux parties se sont rencontrées fréquemment, affirme Khanjar.

« Les Américains sont devenus fous. Ils voulaient qu’al-Maliki gagne à tout prix, mais c’est nous qui avons gagné. »

Huit mois de conflit politique ont suivi. La Syrie, le Qatar et la Turquie ont tous été impliqués dans des tentatives de médiation. Mais à la fin, l’entente américaine avec l’Iran a prévalu pour maintenir Nouri al-Maliki au pouvoir.

Un autre problème subsistait cependant – al-Maliki n’était pas l’homme de Barack Obama. C’est alors que Brett McGurk est entré en scène. L’une des trois seules personnalités politiques nommées sous George W. Bush à avoir survécu à la transition vers la présidence Obama, McGurk a été rappelé pour résoudre l’impasse politique en Irak.

Le président américain Barack Obama serre la main du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki lors d’une réunion à la Maison-Blanche en 2013 (AFP)
Le président américain Barack Obama serre la main du Premier ministre irakien Nouri al-Maliki lors d’une réunion à la Maison-Blanche en 2013 (AFP)

McGurk a dirigé le groupe américain qui a convaincu Obama que la seule solution en Irak était un nouvel accord avec l’Iran, ce qui impliquait de ramener Nouri al-Maliki pour un second mandat.

Les Américains ont commencé à faire pression sur les groupes politiques sunnites afin qu’ils soutiennent al-Maliki.

« Allez en Iran », se sont entendu dire les sunnites

« Al-Maliki est revenu au pouvoir avec un très profond sentiment de vengeance », déclare Khanjar.

« Il voulait détruire les dirigeants sunnites et les zones sunnites qui avaient voté contre lui. Il s’en est pris à des dirigeants sunnites comme Tareq al-Hashemi, le vice-président, et Rafi al-Issawi, le ministre des Finances et vice-Premier ministre, qui étaient populaires, et il les a forcés à quitter le pays. »

Hashemi, qui a d’abord fui vers la région kurde semi-autonome d’Irak et vit maintenant en Turquie, a été accusé d’avoir orchestré des attentats à la bombe contre des politiciens chiites. Il a été condamné à mort par contumace.

« Les prisons irakiennes étaient remplies de centaines de sunnites, des jeunes. Des femmes étaient arrêtées sans inculpation, tout simplement parce que leurs frères étaient soupçonnés d’être d’al-Qaïda. Le viol a été utilisé », continue Khanjar.

Son récit est conforme aux préoccupations soulevées à l’époque par des observateurs internationaux des droits de l’homme, qui ont accusé les forces de sécurité sous le contrôle de Nouri al-Maliki de gérer des prisons secrètes et de pratiquer la torture.

En 2011, la situation en matière de sécurité se détériorait rapidement. La vague d’arrestations avait déclenché de grandes manifestations dans des villes à majorité sunnite comme Ramadi. À Hawija, près de Kirkouk, des dizaines de manifestants ont été tués lors d’affrontements avec les forces de sécurité.

Les dirigeants d’al-Iraqiya étaient désespérés. Ils ont appelé à l’aide les Américains et les Britanniques. John Jenkins, alors ambassadeur du Royaume-Uni en Irak, s’est rendu chez Khamis al-Khanjar à Amman.

« Al-Maliki cherchait […] à renverser ce résultat afin de rester au pouvoir. Cela ne pouvait que profiter à l’Iran […] Il était incompréhensible pour moi que personne dans les capitales occidentales ne semblât rien faire pour l’empêcher »

- John Jenkins, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Irak

Les sunnites présents lors de cette réunion ont demandé à Jenkins ce qu’ils devaient faire, car ils estimaient avoir remporté les élections.

Sa réponse a été directe, raconte Khanjar : « Allez en Iran, vous n’avez pas d’autre choix. »

Contacté par MEE, Jenkins dit se rappeler la rencontre avec Khanjar mais nie avoir jamais prononcé cette phrase. Il reconnaît néanmoins qu’il était « anti-Maliki et anti-Iran ».

« Je suis presque sûr de n’avoir rien dit de tel », affirme l’ancien ambassadeur. « Le contexte que vous décrivez est, bien sûr, correct. Mon opinion à l’époque – et rien n’a changé depuis – était que les élections de mars et tous les sondages d’opinion qui ont suivi montraient qu’une pluralité d’Irakiens souhaitaient un gouvernement non sectaire sous Iyad Allaoui.

« Nous avions vu les mêmes signes dans les schémas de vote lors des élections provinciales de début 2009. Ce n’était donc pas quelque chose de temporaire. Al-Iraqiya avait remporté les élections législatives de 2010 malgré de nombreux obstacles.

« Al-Maliki cherchait alors, avec l’aide de l’Iran, la collusion du président de la Cour suprême Midhat Mahmoud et la complaisance apparente des États-Unis, à renverser ce résultat afin de rester au pouvoir. Cela ne pouvait que profiter à l’Iran – et bien sûr à al-Maliki. Il était incompréhensible pour moi que personne dans les capitales occidentales ne semblât rien faire pour l’empêcher. »

Jenkins se souvient d’avoir été accusé à l’époque d’être anti-chiite. « Ce n’était pas vrai. J’étais certainement anti-Maliki et anti-Iran. Ce n’était pas à cause d’une quelconque croyance essentialiste dans la vilenie iranienne. C’était strictement lié aux affaires : je pensais qu’al-Maliki nous était hostile... et que la capture iranienne de l’Irak constituerait une menace pour les intérêts britanniques et, plus généralement, occidentaux dans la région au sens large. Et que cela déstabiliserait gravement les États voisins. »

Tout en niant avoir sérieusement dit à Khanjar « d’aller en Iran », Jenkins admet qu’une partie de la discussion pouvait avoir concerné la manière dont l’Iran voyait Allaoui.

« Il est concevable qu’une partie de la discussion ait tourné autour de la question de savoir si l’Iran était ouvert à l’idée qu’Allaoui soit Premier ministre. Iyad s’est effectivement rendu à Téhéran une ou deux fois. Mais étant donné que [le guide suprême iranien] Khamenei et Soleimani étaient catégoriques quant à l’importance d’un bloc électoral chiite uni en tant que fondement essentiel pour une hégémonie chiite en Irak qui soit alignée sur l’Iran, consociationaliste et donc sectaire, c’était encore loin d’être gagné. » 

Selon Khanjar, un autre chef sunnite a contacté Obama à la Maison-Blanche. La réponse était la même. Les Américains ont décliné toute responsabilité vis-à-vis de la purge menée par al-Maliki.

Khanjar a sollicité directement les dirigeants chiites irakiens lors d’une réunion à Bruxelles.

« Nous leur avons dit : ‘’Vous poussez notre peuple vers le terrorisme. Lorsque les sunnites ont résisté à l’occupation, vous avez dit que c’étaient des terroristes. Lorsque le Sahwa a résisté à al-Qaïda, vous les avez traités de terroristes, et lorsque des politiciens sunnites ont remporté les élections, vous les avez qualifiés de terroristes. Comment allons-nous communiquer ? »

Pour les dirigeants sunnites, il était évident que les États-Unis et l’Iran couvraient les arrières des groupes chiites.

« Une guerre totale a été déclenchée »

Le point de non-retour est arrivé lorsque les forces de Nouri al-Maliki ont lancé une opération dans la province d’Anbar en février 2014 contre les milices tribales sunnites locales au milieu de nouvelles manifestations anti-gouvernementales. « Attaqué » est le terme utilisé par Khanjar.

Les chefs de tribus sunnites ont appelé leurs hommes à prendre les armes pour affronter une force de l’armée irakienne composée principalement d’unités de milices chiites.

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Lors des premiers affrontements entre l’armée et les combattants sunnites, le groupe naissant de l’État islamique d’Irak, qui se formait à partir des restes d’al-Qaïda dans le pays et était alors également opérationnel en Syrie, n’était pas présent. Il n’est apparu que dans le vide créé lorsque l’armée s’est enfuie, indique Khanjar.

« Cela a créé un vide favorable à la réémergence d’al-Qaïda, qui a rapidement évolué en Daech [le groupe État islamique]. Ils étaient plus organisés et c’est ainsi que Daech est entré dans une région à majorité sunnite dans laquelle al-Qaïda n’avait pas vraiment été présent. Depuis Anbar, ils se sont approchés de Bagdad. Ils ont pénétré dans la province de Salah ad-Din et même les dirigeants chiites ont commencé à fuir le pays. »

Le désespoir s’est emparé de Khanjar.

« Daech était des criminels. Ils considéraient les chefs de tribu comme des non-croyants. Ils tuaient des ulémas chiites. Ils considéraient les Frères musulmans, tous les nationalistes irakiens, comme des non-croyants. Quiconque était en désaccord avec eux, quiconque participait au processus politique, devait être exécuté. Beaucoup de sunnites ont fui en Turquie et en Jordanie. »

Les groupes tribaux sunnites ont décidé, tout comme ils l’avaient fait contre al-Qaïda, de tourner leurs armes contre cette nouvelle menace. La situation politique à Bagdad était également propice, car Nouri al-Maliki avait entre-temps été remplacé par Haïder al-Abadi.

« Abadi était un être humain décent », commente Khanjar. « Il a commencé par des mesures de réconciliation. Il a mis fin aux détentions et libéré de nombreuses personnes de prison, mais une guerre totale a été déclenchée, une guerre qui ne faisait aucune distinction entre Daech et la population locale et qui a entraîné la destruction de nombreuses villes sunnites. »

« Une guerre totale a été déclenchée, une guerre qui ne faisait aucune distinction entre Daech et la population locale »

- Khamis al-Khanjar

Pour la première fois depuis le Sahwa, les Américains ont manifesté de l’intérêt pour les sunnites. Khanjar a dirigé une délégation qui a rencontré McGurk, alors envoyé du président américain auprès de la coalition anti-EI, et un représentant du gouvernement irakien à Abou Dabi.

Parmi leurs principales préoccupations figuraient les Unités de mobilisation populaire (UMP), ou Hachd al-Chaabi, qui avaient été créées avec le soutien du gouvernement irakien après que le responsable chiite irakien Ali al-Sistani eut lancé un appel à volontaires pour aider les forces de sécurité irakiennes. Les milices chiites ont utilisé l’appel de Sistani pour former les UMP afin de défendre les villes irakiennes contre la menace de l’EI.

Cela faisait suite à un accord avec Abadi visant à établir une garde nationale dans tout l’Irak, ce qui aurait été l’occasion dont les sunnites avaient besoin pour participer à la protection de leurs provinces.

« [McGurk] nous a dit : ‘’Nous voulons que vous preniez part à la guerre contre Daech. Nous vous donnerons de l’argent’’ », se remémore Khanjar.

« Nous avons rappelé à la délégation américaine ce qui était arrivé au Sahwa. Nous avons dit que nous étions prêts à nous battre mais à une condition. Les Peshmergas [combattants kurdes] opéraient dans les zones kurdes et, maintenant, ces Hachd al-Chaabi opéraient dans les zones chiites. Nous lui avons dit que nous voulions une garde nationale dans les zones sunnites, composée de combattants sunnites et reliée directement au bureau du Premier ministre. »

Brett McGurk, envoyé spécial américain auprès de la coalition anti-État islamique, photographié en Syrie en 2017 (AFP)
Brett McGurk, envoyé spécial américain auprès de la coalition anti-État islamique, photographié en Syrie en 2017 (AFP)

Selon Khanjar, McGurk avait promis lors d’une réunion antérieure à Bagdad que les UMP n’avanceraient pas au-delà de Karma, à l’ouest de Bagdad, et Samarra au nord. L’accord indiquait que les UMP n’entreraient pas dans les zones à majorité sunnite. Salman al-Jumaili, un ancien ministre, était présent à la réunion. 

« Nous avons proposé, lors de cette réunion, une feuille de route qui comprenait deux approches parallèles, une politique et une militaire », explique Khanjar. 

« Cela implique non seulement de traiter Daech sur le plan militaire, mais aussi de traiter les raisons politiques et sociales qui ont conduit à la montée de Daech en Irak en premier lieu. McGurk n’était pas intéressé. Il voulait seulement vaincre Daech militairement. 

« Tout le monde savait que les UMP ne pouvaient pas avancer de 10 mètres sans la couverture aérienne des États-Unis. Les Américains sont revenus sur la promesse qu’ils nous avaient faite et les UMP ont avancé profondément dans les zones sunnites à l’ouest et au nord », poursuit Khanjar.

MEE a remis ce compte-rendu de la réunion à McGurk, mais ce dernier a refusé de commenter.

Toutefois, un ancien fonctionnaire américain au fait des discussions a nié avec véhémence le récit de Khanjar et a déclaré qu’aucune garantie ne lui avait été donnée. Il a également déclaré que Khanjar n’avait pas fourni un seul soldat pour l’entraînement à la lutte contre l’EI, alors qu’il l’avait souvent promis.

Cet ancien responsable a par ailleurs affirmé que Khanjar travaillait directement avec les partis soutenus par l’Iran et cherchait régulièrement à soudoyer des politiciens irakiens, ce qui a conduit à sa désignation sur la liste des sanctions de Washington l’année dernière.

MEE a transmis ces accusations à Khanjar. « C’est faux et inventé de toutes pièces », objecte-t-il. 

« McGurk était parfaitement au courant des efforts politiques que nous déployions pour former une coalition au pouvoir après les élections de 2018 et il y a même participé. L’ironie est que nous formions la faction la plus modérée », se défend-il

Les milices chiites n’ont pas su se faire apprécier dans les provinces qu’elles ont libérées de l’EI, d’après Khanjar. Il les accuse d’avoir volé et tué des sunnites aux check-points et d’avoir empêché le retour des réfugiés dans leurs villages. Il déclare que les zones sunnites ont été « décimées » en conséquence.

Les atrocités présumées des forces soutenues par le gouvernement irakien ont également été rapportées par des associations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch.

Leur expérience des Hachd al-Chaabi sur le terrain a de nouveau poussé les dirigeants sunnites dans la mêlée politique.

« Nous avons décidé en 2017 de participer avec force dans l’élection de 2018, en accord avec nos groupes, afin de mettre fin à l’oppression exercée dans les zones contrôlées par les UMP », explique Khanjar. 

Il est retourné à Bagdad pour la première fois en vingt ans pour orchestrer la campagne.

Les Saoudiens menacent Khanjar

C’est à ce stade que les Saoudiens sont intervenus. Selon Khanjar, Riyad ne lit l’Irak que dans l’optique de sa rivalité avec la Turquie et le Qatar. Mohammed ben Salmane a envoyé Thamer al-Sabhan, son bras droit dans le Golfe, chez Khanjar. La réunion a eu lieu chez lui à Amman.

Sabhan lui a demandé « doucement » de ne pas disputer les élections de 2018. « Certains dirigeants sunnites ne devraient pas participer aux élections », lui aurait dit l’envoyé de MBS.

« Je lui ai dit : nous ne vous demandons pas votre permission, vous n’êtes pas des soutiens de l’Irak. L’Arabie saoudite nous a laissés nous faire tuer pendant toutes ces années. Dans nos régions, les gens sont opprimés, privés de leurs droits, réfugiés. Quel est votre plan ? Quel est votre projet ?

Khanjar (à gauche) avec des dignitaires dont le prince héritier émirati Mohammed ben Zayed (à droite) et l’émir qatari Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani lors d’un déjeuner en 2014 (avec son aimable autorisation)
Khanjar (à gauche) avec des dignitaires dont le prince héritier émirati Mohammed ben Zayed (à droite) et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani lors d’un déjeuner en 2014 (avec son aimable autorisation)

« Ce que j’ai ressenti, c’est qu’il n’en avait rien à faire. Ce qu’il voulait, c’était une prise de position contre les Frères musulmans, le Qatar et la Turquie. Quand [les Saoudiens] ont perdu espoir dans les États-Unis, ils ont commencé à recruter des personnalités sunnites marginales, des gens qui n’avaient aucune autorité, juste des personnes qu’ils paieraient et qui les écouteraient. » 

L’objectif global des Saoudiens, également partagé par les États-Unis, était de maintenir Abadi au pouvoir.

Khanjar a lancé un bloc sunnite appelé la Coalition de l’axe national, avec 50 députés, un groupe de taille équivalente au Mouvement sadriste, l’influent bloc nationaliste chiite aligné sur Moqtada al-Sadr. Cela a permis un équilibre des pouvoirs et a suscité l’intérêt des États-Unis.

À cette époque, Abadi partageait la direction de son bloc avec Falih al-Fayyadh, le dirigeant politique et président des Hachd al-Chaabi, ancien chef et conseiller du Conseil de sécurité nationale, mais les deux hommes étaient sur le point de se disputer au sujet de l’insistance d’Abadi à diriger seul le bloc.

Avant que cela ne se produise, McGurk a cherché à persuader le bloc sunnite et à faire pression sur ses membres afin qu’ils soutiennent Abadi, soutient Khanjar. Il affirme que McGurk a tenté de le convaincre en lui faisant miroiter la possibilité d’une rencontre personnelle avec Mohammed ben Salmane.

« Il a essayé de nous persuader, nous promettant des choses pour soutenir Abadi. Une fois, il m’a dit : ‘’Nous ferons, vous et moi, des rencontres privées, nous rencontrerons MBS et je pousserai les Saoudiens à vous ouvrir leur porte.’’ »

« J’ai répondu : ‘’Monsieur Brett, j’ai rencontré MBS plus d’une fois. Ce n’est pas là ma préoccupation. Je n’ai pas disputé les élections pour devenir le pion de l’un de ces émirs. Nous avons des problèmes dans nos régions.’’ »

Quatre demandes

Khanjar a formulé quatre demandes : une libération des prisonniers et une enquête sur les disparus ; le retrait des UMP des zones à majorité sunnite ; la participation des sunnites aux institutions gouvernementales chargées de la sécurité ; la reconstruction des zones sunnites endommagées par des années de conflit.

« Nous soutiendrons quiconque accepte ces demandes. Ce n’est pas avec les Saoudiens que j’ai un problème. Vous écoutez les Saoudiens et le résultat est un échec total », a déclaré Khanjar à McGurk, selon ses dires.

« Abadi était inutile. Il n’a pas pris aucun engagement »

- Khamis al-Khanjar

Khanjar a également promis de débuter des négociations avec Abadi, mais il n’était pas optimiste.

« Mon expérience avec Abadi était la suivante : lorsqu’il a formé son gouvernement en 2013, il a promis de former une garde nationale et de dissoudre les UMP. Même l’Amérique a soutenu cette décision. Or, après avoir formé son gouvernement, il a légalisé les UMP. C’est l’expérience que j’avais en tête lorsque je l’ai rencontré. »

Trois réunions ont suivi, au cours desquelles Khanjar a présenté les revendications des sunnites à Haïder al-Abadi, mais le Premier ministre est resté vague sur chacune d’entre elles.

« Le type était inutile. Il n’a pas pris aucun engagement », juge-t-il.

Khanjar a quand même proposé une alliance de blocs, car il savait qu’il pouvait en revanche traiter avec Falih al-Fayyadh, alors toujours allié avec Abadi. Khanjar et lui avaient les mêmes origines tribales.

« Je pensais que Fayyadh était beaucoup plus facile à gérer. La question est sensible parce que ce que disent les Américains, c’est que l’Iran nous a réunis, moi et Falih. La vérité, c’est que ce sont les origines tribales que nous avions en commun, pas l’Iran. Abadi a refusé ma suggestion. Je lui ai dit : ‘’Votre bloc va se décomposer.’’ »

C’est exactement ce qui s’est passé. Les députés de Fayyadh se sont séparés d’Abadi. Le Parlement était divisé. Dans un camp chiite, il y avait Fayyadh, Maliki et Hadi al-Ameri, le chef de l’organisation paramilitaire Badr soutenue par l’Iran.

Haïder al-Abadi rencontre le guide suprême iranien Ali Khamenei à Téhéran en 2015 (AFP)
Haïder al-Abadi rencontre le guide suprême iranien Ali Khamenei à Téhéran en 2015 (AFP)

Dans l’autre camp chiite, il y avait Abadi et Sadr. Chaque camp comptait environ 100 députés. Cela a fait des sunnites et des Kurdes les maîtres du jeu.

Khanjar s’interroge encore sur la raison pour laquelle les Américains et les Saoudiens ont favorisé un bloc chiite plutôt qu’un autre. Si le degré d’influence exercé sur eux par Téhéran était un facteur, Khanjar souligne que des personnalités de tous bords avaient leurs propres liens, à des degrés divers, avec l’Iran, ainsi que leurs propres milices à travers lesquelles exercer une influence sur le terrain.

« J’ai demandé à McGurk : [quelle faction] répondra à nos demandes de base ? Brett a répondu : ‘’Les UMP.’’ »

« Je lui ai ensuite demandé : qui va prendre un engagement en lequel je pourrai avoir confiance ? Il a répondu : ‘’Les UMP.’’ »

Pour Khanjar, c’était là une autre indication du fait que les Américains se rendaient compte ou avaient accepté le fait que le pouvoir en Irak était dans les mains des UMP soutenues par l’Iran, la force même qui était responsable de l’oppression des zones à majorité sunnite.

Le signal était clair : les Américains abdiquaient toute responsabilité concernant le sort de l’Irak sunnite. « Alors il sait », a pensé Khanjar en écoutant avec consternation les conseils de McGurk.

Ce compte-rendu de la conversation est également contesté par l’ancien responsable américain qui dit avoir connaissance de ces discussions.

Pendant ce temps, les Saoudiens ont continué à exercer une pression sur Khanjar.

« Sabhan a commencé à proférer des menaces, disant que si Abadi ne revenait pas, [les Saoudiens] all[aient] arrêter leur soutien. ‘’Vous n’obtiendrez rien. Nous vous tournons le dos en tant que sunnites et en tant qu’Irakiens. »

Mais encore une fois, les Américains et les Saoudiens avaient raté leur coup de force. Abadi n’allait gagner que 45 sièges. Adel Abdel-Mehdi, personnalité neutre soutenue par une majorité de députés, est devenu Premier ministre et les réunions entre McGurk et Khanjar ont ​​pris fin.

Ce dernier pense que c’était le « tournant » qui l’a fait devenir une cible des attaques des Saoudiens et de leurs alliés émiratis.

« À ce moment-là, il était évident que les Saoudiens avaient tout perdu en Irak et c’est là qu’ils ont commencé leur attaque médiatique contre tous les sunnites ayant participé à la formation du gouvernement d’Adel Abdel-Mehdi. C’est le contexte exact du problème entre moi, les Saoudiens et les Américains. »

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Peu de temps après, Khanjar a rencontré une délégation américaine, dont une personne qui rendait des comptes à la CIA. Ils ont demandé à Khanjar pourquoi il était passé du « côté iranien ».

« Ma réponse a été sarcastique : ‘’Nous les écoutons et nous vous écoutons et nous suivons votre exemple. Pendant huit ans sous Obama, vous nous avez encouragés à nous ouvrir à l’Iran. Le président Trump, chaque jour, dit ‘’ce n’est pas ma guerre. Si vous voulez un dialogue avec l’Iran, prenez-le. ‘’ Nous avons 1 500 kilomètres de frontières avec l’Iran. Je vais vous poser une question.

« Nous n’avons pas disputé une élection avec l’Iran. Nous avons disputé une élection avec des dirigeants politiques irakiens qui ont des relations avec l’Iran. Pourquoi nous refusez-vous ce droit ? Vous avez des réunions avec tout le monde. Vous avez soutenu al-Maliki. Vous parlez à Fallih al-Fayyadh. Pourquoi faites-vous cela et nous refusez-vous le droit de parler aux gens qui sont dans ce pays ? »

Le soutien à Abdel-Mehdi a produit des résultats rapides. Au cours de son année au pouvoir, la plupart des check-points dans les zones dominées par les sunnites ont été démantelés. Plus de vingt milices chiites opérant dans des zones à majorité sunnite ont été supprimées. Des centaines de condamnés à mort ont vu leur peine annulée et des milliers de prisonniers sunnites ont été libérés.

Abdel-Mehdi a démissionné en novembre 2019 dans un contexte de manifestations de masse réprimées dans le sang par les forces de sécurité. Il a fallu au Parlement irakien jusqu’au mois de mai dernier pour accepter la nomination de l’ancien chef du renseignement Mustafa al-Kadhimi comme son successeur. 

Mais les États-Unis et l’Arabie saoudite ne pardonnent ni n’oublient. Khanjar a été placé sur la liste noire en décembre dernier. Riyad a tranché : « C’est nous ou eux. » Et « eux » inclut désormais des personnalités politiques irakiennes comme Khamis al-Khanjar.

Traduit de l’anglais (original).

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