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Les projets de bases militaires russes en Libye inquiètent les États-Unis

Selon Bloomberg, la construction de cette base russe et la modernisation d’autres bases, actuellement occupées par les paramilitaires de Wagner, auraient été obtenues de Khalifa Haftar en échange d’une protection contre les forces rivales de Tripoli et la formation de ses forces aériennes
Khalifa Haftar (à gauche) et le vice-ministre russe de la Défense Iounus-bek Ievkourov (à droite) sur un aérodrome militaire de Moscou le 26 septembre 2023 (AFP)
L’homme fort de l’est libyen Khalifa Haftar (à gauche) et le vice-ministre russe de la Défense Iounus-bek Ievkourov (à droite) dans un aérodrome militaire de Moscou le 26 septembre 2023 (AFP)
Par MEE

Selon le média américain Bloomberg, la Russie prévoit de construire une base militaire en Libye, pour navires et avions, dans la région de Tobrouk (est), en accord avec le maréchal autoproclamé Khalifa Haftar.

Ce dernier est à la tête de l’Armée nationale libyenne (ANL, aujourd’hui Forces armées arabes libyennes) et d’environ un tiers du pays, le plus riche puisque c’est dans sa zone que se trouvent les ressources pétrolières, qui représentent 40 % des réserves africaines.

Bloomberg affirme que les négociations pour la construction de la base sont en cours de finalisation. Toujours selon le média, la construction de cette base mais aussi la modernisation d’autres bases, actuellement occupées par les paramilitaires russes de Wagner, auraient été obtenues en échange d’une protection contre les forces rivales de Tripoli, soutenues par la Turquie, et la formation de ses forces aériennes.

Vue générale du port de Tobrouk (AFP/Mahmud Turkia)
Vue générale du port de Tobrouk (AFP/Mahmud Turkia)

La Libye ne parvient pas à se remettre du chaos dans lequel elle est plongée depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, alors que prolifèrent factions et groupes armés aux allégeances mouvantes.

Minés par les divisions entre l’est et l’ouest et par les ingérences étrangères, deux gouvernements se disputent depuis un an le pouvoir : celui de l’ouest, d’Abdel Hamid Dbeibah, soutenu par la communauté internationale, et celui de l’est, soutenu par le maréchal Haftar.

En août, une délégation de responsables militaires russes, menée par un vice-ministre de la Défense, s’est rendue en Libye sur invitation de Haftar.

En septembre 2023, ce dernier a été reçu à Moscou par le président russe Vladimir Poutine et le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou.

« La situation en Libye et dans l’ensemble de la région a été discutée », avait indiqué le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, à l’agence publique russe TASS. À la suite de cette rencontre, un accord de défense a été élaboré, selon des personnes informées du sujet, qui ont demandé à ne pas être identifiées lors des discussions sur des questions sensibles.

Il s’agissait de la première rencontre entre Haftar et Poutine depuis 2019, selon des médias libyens. 

L’homme fort de l’est libyen a aussi  été reçu par le vice-ministre russe de la Défense, Iounus-bek Ievkourov, qui s’est rendu à plusieurs reprises dans l’est de la Libye pour y rencontrer le maréchal. 

Leur dernière rencontre remonte au 17 septembre, à Benghazi, quelques jours après les inondations qui ont fait des milliers de morts dans la ville de Derna, dans l’est de la Libye.

Un rôle « déstabilisateur »

La Russie mène depuis plusieurs années une offensive diplomatique en Afrique pour y supplanter les puissances occidentales traditionnelles. En Méditerranée, Moscou ne dispose jusqu’à présent que d’une seule base navale, à Tartous en Syrie.

L’approfondissement des liens entre Haftar et Moscou a suscité l’inquiétude de Washington, si bien que plusieurs visites de haut niveau se sont succédé cette année en Libye dans le but de persuader le maréchal de changer de cap.

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Le commandant des forces américaines en Afrique, le général Michael Langley, et l’actuel envoyé spécial américain en Libye, Richard Norland, ont notamment rencontré Haftar à Benghazi. Ils l’ont pressé de faire en sorte que les forces étrangères se retirent, selon le Commandement américain pour l’Afrique.

La Libye devrait être en mesure de « choisir parmi une gamme de partenaires de coopération en matière de sécurité », a déclaré Richard Norland aux journalistes lors d’une conférence téléphonique le mois dernier. Il a dénoncé le rôle militaire russe en Libye comme étant « déstabilisateur ».

Cette implantation russe au sud de l’Europe – Tobrouk est située à seulement quelques centaines de kilomètres de la Grèce et de l’Italie – est déjà perçue comme une menace par les États-Unis, une menace prise « très au sérieux », a déclaré Jonathan Winer, ancien envoyé spécial américain en Libye. « Maintenir la Russie hors de la Méditerranée a été un objectif stratégique clé : si la Russie y obtient des ports, cela lui donne la possibilité d’espionner l’ensemble de l’Union européenne. »

Quelques centaines de combattants

La Russie est en réalité déjà présente en Libye depuis quelques années à travers la présence de Wagner. Le maréchal Haftar avait eu recours à des mercenaires du groupe russe dans sa tentative ratée de s’emparer de la capitale Tripoli, d’avril 2019 à juin 2020.

En 2020, Middle East Eye avait recueilli les témoignages de Libyens victimes des mercenaires russes à Espiaa, au sud de Tripoli.

Selon des experts, quelques centaines de combattants de Wagner se trouvent toujours dans le pays pour assurer la sécurité de bases militaires et infrastructures pétrolières. 

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Moscou a beaucoup misé en Libye, désireux de garantir des contrats de construction et d’armement d’une valeur de quatre milliards de dollars passés avec l’ancien dictateur Mouammar Kadhafi et pour s’assurer un point d’appui en Méditerranée. En conséquence, le Kremlin a maintenu le contact avec Khalifa Haftar, le Gouvernement d’union nationale rival et même Saïf al-Islam, le fils de Kadhafi, ces dernières années.

Mais le soutien de la Russie à Haftar s’est accru au fil du temps. En 2016, la visite d’un navire de guerre russe par le maréchal a été suivie par une aide logistique et économique et finalement le déploiement de 300 combattants de Wagner en mars 2019, un mois avant l’offensive de l’ANL sur Tripoli.

Tandis que l’ANL luttait pour franchir les banlieues de la capitale, Haftar avait demandé plus d’aide. Il disposait déjà du soutien militaire de l’Égypte et des Émirats arabes unis (lesquels lui avaient fourni des armes, du matériel et une puissance aérienne) ainsi que de la couverture diplomatique de la France. Mais il avait besoin d’une expertise supplémentaire – et il s’est tourné vers la Russie.

Depuis la mort d’Evguéni Prigojine, le dirigeant de Wagner, et de ses principaux collaborateurs dans un accident d’avion en août dernier, le ministère russe de la Défense aurait pris le contrôle des activités de Wagner, souligne Bloomberg.

Le travail préparatoire effectué par Wagner pour promouvoir les intérêts du Kremlin en Afrique et au Moyen-Orient aurait permis à Moscou de renforcer rapidement ses moyens militaires étrangers.

La Russie chercherait également à établir une base navale en mer Rouge, au Soudan, ce qui lui donnerait un accès permanent au canal de Suez, à l’océan Indien et à la péninsule Arabique.

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