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Algérie : comment se profile le prochain Parlement ?

Entre refus catégorique du hirak d’adhérer au processus politique, boycott des prochaines législatives par les « démocrates » et poussée des indépendants et des islamistes, le futur Parlement algérien s’esquisse peu à peu
Séance plénière du Parlement algérien en février 2016 (AFP)
Séance plénière du Parlement algérien en février 2016 (AFP)

Les législatives anticipées du 12 juin imposeront une nouvelle cartographie politique en Algérie, alors que se poursuivent les manifestations d’un hirak qui se cherche encore entre « dégagisme » et « noyautage » des mouvements politiques islamistes.

Sur l’échiquier, la mouvance dite « démocrate » ou « progressiste » a choisi de sortir du jeu électoral, estimant que les conditions idoines pour des élections transparentes n’étaient pas garanties.

Mais plus que cet argument, c’est plutôt l’impossibilité de sortir du paradigme dégagiste des manifestations du hirak, qui ont repris depuis mi-février, qui conditionne la position de ces partis.

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Le Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d’opposition, a annoncé qu’il boycotterait les législatives. Ses arguments : « les conditions de la tenue du prochain scrutin législatif du 12 juin ne sont pas réunies et les élections ne constituent pas la solution à la crise multidimensionnelle que vit le pays ».

Le FFS, qui a pourtant participé en février à une rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune, contrairement aux autres partis « progressistes », plaide pour « l’ouverture d’un dialogue sans exclusive pour convenir d’un programme politique, économique et social consensuel, avec un calendrier et un contrôle d’exécution, répondant aux revendications populaires ».

L’autre parti de cette même mouvance, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), a également décidé de ne pas participer aux législatives : « La place du RCD est aux côtés du peuple mobilisé pour le changement du système et l’avènement de l’alternative démocratique et non dans le camp de ceux qui répriment, sèment la peur et la promotion des extrêmes pour asseoir, une fois de plus, le chantage du pire », lit-on dans la résolution de son conseil national.

Du rififi au Parti des travailleurs

Avant lui, le Parti des travailleurs (PT, trotskyste) a pris la même décision. « Ces législatives ne sont pas et n’ont jamais été une revendication populaire. Le peuple milite pour faire partir le système et non pour le rafistoler », a déclaré la leader du PT, Louisa Hanoune, dont le parti connaît, depuis peu, des dissensions qu’elle impute à une tentative des autorités de l’évincer de son poste.

« Ces législatives programment la liquidation du multipartisme et c’est une tentative malheureuse et misérable de sauver un système obsolète et non réformable », a poursuivi Louisa Hanoune, en référence à l’émergence des listes dites « indépendantes » et celles de la « société civile ».

Ces dernières semblent s’organiser autour de trois entités récemment créées : Nida El Watan (l’appel de la patrie), El Masar El Jadid (le nouveau chemin), et El Hisn El Matine (la forteresse inexpugnable).

Nida El Watan est soupçonné par l’opposition de former une nébuleuse électorale à l’assaut du prochain Parlement au profit des autorités

Nida El Watan, mouvement regroupant des associations et des ONG, créé début mars 2021, est soupçonné par l’opposition de former une nébuleuse électorale à l’assaut du prochain Parlement au profit des autorités, lesquelles ne bénéficient pas d’un parti présidentiel comme ce fut le cas avec le Front de libération nationale (FLN) sous le régime d’Abdelaziz Bouteflika.

« Nous n’avons pas l’intention de faire de la politique. Mais Nida El Watan soutiendra toutes les listes électorales qui le méritent à l’occasion de la prochaine élection législative », s’est défendu l’un des membres de cette coalition, Mustapha Zebdi, également président de l’Association algérienne de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement.

« La cérémonie de création de Nida El Watan, sous la présidence du conseiller auprès du président de la République chargé du mouvement associatif et de la communauté nationale à l’étranger, Nazih Berramdane », jette le doute sur l’indépendance de ce mouvement de la « société civile », commente le quotidien El Watan.

El Hisn El Matine se rapproche de la composante de Nida El Watan, mais El Masar El Jadid a une particularité, puisqu’il dit représenter des militants du hirak qui ont accepté de participer au processus politique initié par le président Tebboune. Son « coordinateur national », Mondher Bouden, semble toutefois issu de l’ancienne clientèle du système Bouteflika.

El Watan rappelle qu’il était militant du RND (parti soutenant Bouteflika) et a même « fait partie, au mois de février 2019, du staff de campagne pour le cinquième mandat, ‘‘chargé des relations avec les organisations estudiantines’’ ». Ce cinquième mandat qui avait poussé des milliers d’Algériens dans les rues, donnant lieu au hirak et à la chute consécutive du président.

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Cette nouvelle donne, l’émergence de la « société civile » dans la course électorale, fait écho au discours présidentiel qui, depuis la campagne pour la présidence de décembre 2019, affirme s’appuyer sur la jeunesse et la société civile.

Ce n’est pas un hasard donc si les amendements de la loi électorale donnent un coup de pouce aux jeunes et aux indépendants en matière financière et logistique, comme l’accès gratuit aux salles pour la campagne électorale.

Les médias rapportent d’ailleurs un véritable engouement pour ces listes. « [Les indépendants], selon les échos rapportés par la presse nationale, sont très nombreux », souligne Le Quotidien d’Oran, qui évoque une « fièvre électorale ».

Plus de 3 200 imprimés de candidatures ont été retirés, dont 1 420 imprimés retirés par 55 partis agréés, et 1 863 autres dans le cadre des listes d’indépendants.

« Des bulles clientélistes »

Cette dynamique est très mal vue par l’opposition. Pour le Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frère musulmans), « l’exploitation des organisations de la société civile créera, encore une fois, des bulles clientélistes et des comportements parasitaires et opportunistes qui malmènent la pratique politique ».

De son côté, le quotidien El Khabar s’inquiète du fait que les indépendants ou les jeunes candidats « manquent de formation et d’une orientation politique, à l’inverse des partis expérimentés ».

« Il est à craindre que la majorité des nouveaux députés ne s’intéressent pas aux dossiers d’importance, ni n’aient le background nécessaire pour disséquer les projets de loi. Cela risque de plonger le Parlement dans des revendications parcellaires, qui font partie du travail du député, mais ne sont pas tout son travail », poursuit El Khabar.

Question expérience, on peut compter sur les partis islamistes qui ont décidé de participer aux élections du 12 juin.

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« Le vent est favorable au courant islamiste qui a opté pour une participation en force au prochain rendez-vous électoral, dont le MSP, El Bina, le PJD, les mouvements El Islah et Ennahdha », estime Le Quotidien d’Oran.

« Ils pourraient bien réaliser ce qu’ils n’ont jamais réussi à accomplir par le passé, à savoir dominer les pouvoirs législatif et exécutif, car s’ils arrivent à constituer une coalition majoritaire au sein de l’assemblée, la nouvelle Constitution leur donnera plein pouvoir pour nommer un chef de gouvernement et exécuter leur propre programme politique. Cela reste une ambition politique, pour le moment bien sûr. »

Le retrait des « progressistes » et l’affaiblissement des principaux partis de l’allégeance à Bouteflika, le FLN et le RND, peuvent profiter au vote islamiste.

La question est de savoir si la poussée des listes de la « société civile » peut faire barrage ou si, avec l’éparpillement des listes indépendantes, c’est un Parlement-patchwork qui se dessinerait, difficilement générateur de majorité stable et cohérente.    

La perspective d’un « Parlement islamiste » a relancé le débat sur la participation parmi l’élite politique et les militants, notamment ceux engagés dans le hirak.

« Que pensez-vous de jouer sur leur terrain en se saisissant des urnes mais en faisant des listes populaires, de voter à la majorité absolue pour les élus du peuple et tout de suite après, transformer cette assemblée en assemblée constituante et entamer le processus de transition », a, par exemple, posté une jeune militante du hirak.

« Bien sûr que ‘’participer’’ expose au hold-up des voix, aux détournements, à la ghettoïsation des progressistes ou à la rallonge de survie pour le ‘‘pouvoir’’. C’est une réalité. Mais elle est à considérer avec l’autre réalité : le boycott n’a jamais servi qu’aux victoires des populistes. Partout dans le monde. Il dispense de faire de la politique au nom d’une posture irréaliste », plaide l’écrivain et journaliste Kamel Daoud dans sa chronique dans Liberté.

Tensions autour du hirak

La journaliste Ghania Mouffouk estime : « Chaque fois que nous ne votons pas, nous donnons nos voix ‘‘aux candidats du pouvoir’’, si cela allait de soi au temps de la routine électorale contrôlée de bout en bout par la machine à nous faire taire, il est quand même curieux que ceux qui n’ont pour perspective de changement que ‘‘le hirak’’ n’aient pas intégré cette formidable variable dans le logiciel de combat contre ‘‘le système’’. »

« Alors qu’ils prétendent que le hirak a la capacité de changer le monde, ils ne le croient pas capable d’être en mesure de peser sur un scrutin électoral qui doit se dérouler sur un territoire national, de la taille d’un continent à contrôler, d’emblée ils ont accordé la victoire à ce qu’ils appellent tantôt le système, tantôt le pouvoir, et ont déclaré la défaite du hirak par forfait », poursuit cette journaliste qui suit de près le mouvement populaire.

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C’est apparemment dans ce sillage, rendu si étroit par le refus catégorique d’adhérer au processus politique exprimé par les manifestants et des porte-voix du hirak, que veut s’engager un des rares partis non islamistes qui participera aux législatives, Jil Jadid (nouvelle génération).

« Notre ambition est d’aider à faire passer le hirak de la rue aux institutions. Il faut passer de la parole contestatrice à la prise de responsabilité quotidienne dans la gestion de la cité », a expliqué son président, Soufiane Djilali.

Ambition difficile à atteindre alors que le hirak se trouve de plus en plus traversé par des débats idéologiques, souvent tendus, relatifs à la place du Rachad – créé au début des années 2000 à l’étranger et regroupant, notamment, des éléments de l’ex-FIS (Front islamique du salut, dissous en 1992) – au sein du mouvement populaire.

Rachad, accusé par certains militants et journalistes de pousser vers al-tassîd, (l’escalade ; en appelant, par exemple, à manifester tous les jours), est taxé par les autorités de « mouvement illégal aux références proche du terrorisme ».

Des termes utilisés, ce mardi 6 avril, par le Haut conseil de sécurité algérien, regroupant les plus hauts responsables civil et sécuritaires et présidé par le chef de l’État, qui a appelé à sévir contre tout mouvement qui « profite des marches hebdomadaires » pour opérer des « activités et des dérives inédites ».   

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