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Iran : quand une partie de la société ne souhaite plus se plier au port obligatoire du voile

Alors que le hijab était brandi comme le symbole du sang des martyrs de la révolution islamique en 1979, une part importante de la société iranienne remet aujourd’hui en cause son caractère obligatoire
Selon une étude de 2020, 72 % des Iraniens et Iraniennes sont opposés au port obligatoire du voile en public, contre 15 % favorables (AFP/Atta Kenare)

Le débat sur l’obligation du port du voile en Iran est un serpent de mer, qui, non content de refaire ponctuellement surface, n’en finit pas de se mordre la queue.

Cet été, la contestation a été ravivée par une vidéo filmée dans un bus en Iran, devenue virale. On y voit une femme sermonnant une autre Iranienne au motif qu’elle ne porte pas correctement son voile, puisque tombé sur ses épaules. Elle menace d’envoyer une vidéo aux Gardiens de la révolution islamique, organisation paramilitaire du régime, pour qu’ils l’arrêtent pour « port inapproprié du voile ».

Après cette querelle, mêlant coups et injures, la femme qui s’offusquait de ce hijab immodestement porté est poussée hors du bus par certains passagers.

Une définition légale floue

Face à cet événement particulier, Azadeh Kian, professeure de sociologie à l’Université Paris Cité, fait le constat d’une répression de plus grande ampleur contre les femmes et évoque une « talibanisation du pouvoir iranien ».

« Ce qui se passe aujourd’hui en Iran, c’est-à-dire la violence inouïe contre les femmes qui, soit portent mal le voile, soit refusent de le porter, est à ma connaissance inédite », indique à Middle East Eye la Franco-Iranienne.

Juste après la révolution et la proclamation du voile obligatoire, dès mars 1979, des manifestations ont été organisées pour protester contre cette mesure. Mais c’est plus récemment, sous l’influence notamment des réseaux sociaux, que cette opposition a pris de l’ampleur.

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De fait, ni la Constitution ni le Code civil ne mentionne l’obligation du port du voile. Seul le Code pénal iranien y fait référence dans son article 638 : « Les femmes qui apparaissent en public sans porter correctement le hijab doivent être emprisonnées pour une durée de dix jours à deux mois, ou payer une amende comprise entre 50 000 et 500 000 rials iraniens [de 1 à 10 euros]. »

Aucune définition précise d’un port « correct » du voile n’est avancée, laissant ce pouvoir à la discrétion des autorités.  

L’exemple du cinéma iranien d’après-révolution est l’illustration de ce que les autorités souhaitaient instaurer en la matière.

« Le cinéma iranien a été affecté par les lois sur la pudeur, c’était une façon de se prémunir contre les effets du cinéma hollywoodien sur le cinéma iranien, de sorte que la commercialisation et la fétichisation du corps féminin pouvaient être contrôlées », explique à MEE Negar Mottahedeh, professeure associée à la Duke University (États-Unis), et auteure de travaux sur le cinéma iranien postrévolutionnaire.

Il n’y a bien évidemment qu’au cinéma où l’on verra une femme s’endormir en portant son voile. Dans la réalité, alors que l’obligation du port du voile est une technique de domination du corps des femmes par les hommes, « il demeure un vaste champ de négociations, de conflits ou de jeux […] afin de gagner un terrain d’existence », explique dans un article Fariba Adelkhah, anthropologue franco-iranienne prisonnière scientifique en Iran depuis juin 2019.

Le voile contre l’émancipation

Selon la chercheuse, il existait en effet, dans les premières années suivant la révolution, une « confiance » qu’avaient les femmes en ce nouveau régime qui leur permettait d’accepter ce « contrat social », impliquant l’acceptation du port du voile sous réserve d’avoir la possibilité de s’émanciper.

La nouvelle société de la République islamique semblait en effet offrir des opportunités de réalisation personnelle, professionnelle ou militante pour les femmes.

« Le refus du port du voile n’est pas nécessairement un acte politique. Ces jeunes, souvent, disent ne pas vouloir porter le voile parce qu’elles n’aiment pas le porter. Elles sont souvent dépourvues de passé féministe, de passé militant […] »

- Azadeh Kian, sociologue

« De gré ou de force, le nouveau régime a entériné une partie des acquis sociaux et juridiques que la monarchie avait reconnus aux femmes ; il a renoncé à les assigner à un rôle traditionaliste, a toléré et parfois accompagné ou encouragé la participation sociale des femmes », explique Fariba Adelkhah.

Et cette mesure patriarcale a notamment pu profiter aux femmes représentant la base populaire du nouveau régime islamiste.

« Sous le shah, des familles traditionnelles n’autorisaient pas leurs filles à se rendre à l’université. Juste après la révolution, comme le port du voile était devenu obligatoire, ces familles pensaient que leurs filles seraient en sécurité. Donc beaucoup de filles issues de ces familles-là ont pu accéder à l’éducation, à l’enseignement supérieur et aux emplois », estime Azadeh Kian. 

Or, aujourd’hui, cette population éduquée n’a plus les mêmes valeurs que la génération précédente. « Ce sont ces mêmes filles et leurs enfants qui, aujourd’hui, refusent de se soumettre au diktat du port du voile », explique la sociologue.

Une jeunesse plus pragmatique qu’idéologique

Le contrat semble donc rompu pour une partie de la population iranienne, dont la moyenne d’âge est de 31 ans et n’a pas connu la période révolutionnaire.

Azadeh Kian nuance toutefois : ce phénomène concerne très peu « les femmes qui habitent dans les villages ou les petites villes ». Qu’en est-il alors du reste de la population ?

Deux chercheurs travaillant aux Pays-Bas se sont penchés sur cette question en 2020 dans une étude portant sur « l’attitude des Iraniens à l’égard de la religion ». Dans leur rapport, Ammar Maleki et Pooyan Tamimi Arab ont ainsi pu montrer que 78 % des Iraniennes et Iraniens déclaraient croire en Dieu et que 61 % décrivaient leur environnement familial comme « religieux ».

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Toutefois, 72 % des personnes interrogées se disaient opposées au port obligatoire du voile en public, contre 15 % favorables.

Comme l’analyse le géographe spécialiste de l’Iran Bernard Hourcade, « la vie politique iranienne dépend de plus en plus de cette nouvelle classe moyenne moins idéologique et plus pragmatique qui craint des bouleversements profonds dont elle ne profiterait pas, mais qui attend surtout des changements concrets dans sa vie quotidienne ».

La sociologue Azadeh Kian confirme : « Le refus du port du voile n’est pas nécessairement un acte politique. Ces jeunes, souvent, disent ne pas vouloir porter le voile parce qu’elles n’aiment pas le porter. Elles sont souvent dépourvues de passé féministe, de passé militant et n’ont pas milité pour les droits des femmes. »

Elle explique cette opposition comme « la montée en puissance des valeurs de bien-être en Iran comme dans toutes les autres sociétés ».

Des revendications féministes allant à l’encontre de préceptes religieux ont déjà pu être adoptées. Comme le rappelle Fariba Adelkhah, « l’avancée la plus substantielle est le livret de mariage, un document qui permet aux femmes de poser des conditions en cas de divorce. Et souvent, ces dispositions du livret de mariage vont jusqu’à contredire le code religieux. Car la polygamie, qui est envisageable dans le cadre religieux, peut devenir un motif de divorce pour les femmes, si son refus était stipulé dans le livret de mariage ».

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