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Le patrimoine de Notre-Dame, moins européen qu’on ne le pense

Rares sont ceux qui savent que l’architecture de la cathédrale parisienne doit beaucoup à ses prédécesseurs du Moyen-Orient
Des personnes se tiennent devant la cathédrale Notre-Dame de Paris le 16 avril, après l’incendie qui a ravagé une grande partie de ce joyau gothique (Reuters)

Lundi, alors que Notre-Dame brûlait sous nos yeux, il était frappant de constater que peu de personnes semblaient savoir que l’architecture de la cathédrale parisienne, ses tours jumelles flanquant une entrée élaborée, ses rosaces, ses voûtes en ogive et sa flèche doivent leurs origines à leurs prédécesseurs du Moyen-Orient.

Des hommages ont afflué du monde entier, saluant la cathédrale et son statut d’icône de notre patrimoine et identité européens communs. « Nous brûlons tous », a déclaré le président français Emmanuel Macron, s’adressant à la nation. 

« Cœur d’amande »

Commençons par les deux tours. Le plus ancien exemple se trouve sur une colline du nord-ouest de la Syrie, dans la province d’Idleb, dans une église construite en pierre calcaire locale au milieu du Ve siècle.

Elle se nomme Qalb Lozeh (« cœur d’amande » en arabe), et elle est, à juste titre, considérée comme l’un des exemples les mieux préservés de l’architecture des églises syriennes, une basilique aux larges nefs magnifiquement proportionnée, précurseur de ce que l’on a appelé par la suite l’époque romane.

La façade de Qalb Lozeh avec ses tours jumelles (WikiCommons)
La façade de Qalb Lozeh avec ses tours jumelles (WikiCommons)

Reconnaissance tardive de son importance, elle a été incluse en 2011 dans un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, classé « Villages antiques du nord de la Syrie ». Localement, ils sont connus sous le nom de « villes mortes », regroupements de près de 800 colonies de peuplement byzantines en pierre avec plus de 2 000 églises datant du IVe au VIe siècles.

Avant la guerre, le ministère syrien du Tourisme les avait renommées « Cités oubliées ».

Ce que nous appelons aujourd’hui l’arc gothique, très courant à Notre-Dame et dans toutes les grandes cathédrales d’Europe, a été vu pour la première fois dans la mosquée Ibn Touloun au Caire

À l’intérieur, l’église est divisée en trois, avec une nef centrale et des échos à la Trinité omniprésents : les trois vaisseaux, trois piliers de chaque côté de la nef, trois fenêtres en façade, trois fenêtres en abside et trois arches séparant la nef des collatéraux.

La nef aurait à l’origine eu un toit en bois, disparu depuis longtemps, mais le dôme voûté au-dessus de l’abside semi-circulaire demeure encore.

L’arc gothique

Lorsque les croisés francs ont vu ces formes architecturales au XIIe siècle, ils ont en ramené l’idée en Europe.

Ce que nous appelons aujourd’hui l’arc gothique, très courant à Notre-Dame et dans toutes les grandes cathédrales d’Europe, a évolué à partir de l’arc brisé et a été vu pour la première fois dans la mosquée Ibn Touloun au Caire et transmis en Sicile par des marchands d’Amalfi.

Avec leurs connaissances approfondies de la géométrie et des lois de la statique, les musulmans ont développé à la fois l’arc en fer à cheval (également connu sous le nom d’arc outrepassé, apparu dans la mosquée des Omeyyades de Damas puis développé par les Omeyyades en Andalousie dans la Grande Mosquée de Cordoue) et l’arc brisé pour donner plus de hauteur que l’arc classique.

La mosquée Ibn Touloun dans le vieux Caire, construite en 897, est l’une des plus anciennes et plus grandes mosquées au monde. Photographiée en juillet 2012 (Reuters)
La mosquée Ibn Touloun dans le vieux Caire, construite en 897, est l’une des plus anciennes et plus grandes mosquées au monde. Photographiée en juillet 2012 (Reuters)

Le premier bâtiment à les utiliser en Europe fut l’abbaye du Mont Cassin en Italie en 1071, financée par des marchands amalfitains. L’arc brisé s’est ensuite répandu vers le nord jusqu’à l’abbaye de Cluny en France, qui en comptait 150 dans ses collatéraux.

Conception musulmane

À partir de ces deux églises parmi les plus influentes d’Europe, cette tendance s’est rapidement étendue, l’arc brisé « gothique » étant plus solide que l’arc arrondi utilisé par les Romains et les Normands. Cela a permis la construction de bâtiments plus grands, plus hauts, plus majestueux et plus complexes tels que les grandes cathédrales d’Europe.

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Parmi les autres emprunts à la conception musulmane, qui se trouvent également à Notre-Dame, figurent les voûtes nervurées (du palais abbasside d’Ukhaider en Irak, datant du VIIIe siècle), les rosaces (du palais omeyyade de Khirbat al-Mafjar en Cisjordanie, près de Jéricho, découvertes pour la première fois au VIIIe siècle) et la flèche (qui s’est effondrée de manière spectaculaire sur Notre-Dame alors que la charpente en bois cédait en dessous).

La première flèche connue se trouve sur la mosquée des Omeyyades de Damas, construite au début du VIIIe siècle.

En Angleterre, la première flèche a été érigée au sommet de la cathédrale Saint-Paul en 1221. Elle a été détruite lors du grand incendie de Londres en 1666, puis reconstruite en 1710 par Christopher Wren, admirateur déclaré de l’architecture musulmane, qui a étudié et mené des recherches approfondies sur les mosquées maures et ottomanes.

« Les Goths », disait-il en parlant du style « gothique », « étaient des destructeurs plutôt que des bâtisseurs : je pense qu’il faudrait plutôt l’appeler le style sarrasin (arabo-musulman) ».

La combinaison du dôme et de la tour dans son chef-d’œuvre de Saint-Paul, ainsi que la structure des dômes dans les collatéraux, montrent cette forte influence musulmane, également visible à Notre-Dame.

- Diana Darke est une expert de la culture du Moyen-Orient, spécialisée dans la Syrie. Diplômée en langue arabe de l’Université d’Oxford, elle a passé plus de trente ans à se spécialiser dans le Moyen-Orient et la Turquie, travaillant à la fois pour les secteurs gouvernemental et commercial. Elle a rédigé plusieurs ouvrages sur la société du Moyen-Orient, notamment My House in Damascus: An Inside View of the Syrian Crisis (2016) et The Merchant of Syria (2018), un récit socio-économique.

Cet article a été publié initialement sur le blog de Diana Darke.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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