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Négociations Liban-Israël : les 25 mètres qui changent la donne

Les délégations libanaise et israélienne poursuivent ce jeudi leurs négociations techniques sur le tracé de la frontière maritime. Les enjeux sont cruciaux et le contentieux lourd
Un navire des Nations unies est photographié dans la zone la plus méridionale de Naqoura, à la frontière avec Israël, le 14 octobre 2020, lors des pourparlers entre le Liban et Israël visant à régler un différend frontalier maritime et ouvrir la voie à l’exploration pétrolière et gazière (AFP)
Par Paul Khalifeh à BEYROUTH, Liban

Le second round des pourparlers entre le Liban et Israël sur le tracé de leur frontière maritime s’est déroulé mercredi 28 octobre au siège de la Force intérimaire des Nations unies à Naqoura, en territoire libanais.

Ces négociations, placées sous l’égide de l’ONU, sont organisées avec la médiation de Washington. Elles sont indirectes, dans le sens où les membres des délégations libanaise et israélienne, bien qu’installés autour d’une même table, se parlent uniquement par le biais du médiateur américain ou du représentant de l’ONU.

Ces pourparlers ne déboucheront pas sur un traité de paix ou sur un accord de normalisation entre ces deux pays, techniquement en guerre depuis 1948. Leur objectif est de délimiter la frontière maritime commune pour tenter de régler un contentieux portant sur 862 km2 riches en hydrocarbures, convoités par Israël et revendiqués par le Liban comme partie intégrante de sa zone économique exclusive (ZEE).

La frontière terrestre n’a pas besoin d’être délimitée

Dans un second temps, les deux pays délimiteront leur frontière terrestre, comme l’a précisé le 1er octobre le président du Parlement libanais Nabih Berry, qui a négocié l’accord-cadre portant sur le mécanisme et les modalités des négociations avec la bénédiction du Hezbollah, ennemi juré d’Israël.    

Amine Hoteit, président de la Commission militaire libanaise chargée de vérifier le retrait de l’armée israélienne en mai 2000, déclare cependant à Middle East Eye que la frontière terrestre n’a nul besoin d’être tracée.

« La frontière méridionale du Liban avec la Palestine est déjà délimitée par l’accord Paulet-Newcombe de 1923 », soutient-il. « Il faut seulement la confirmer et éliminer les empiètements israéliens en territoire libanais. »

Une différence de quelques mètres à peine sur terre peut entraîner la perte ou le gain de dizaines de kilomètres carrés en mer

Ce général à la retraite regrette que l’accord-cadre n’ait pas mentionné le tracé franco-britannique de Paulet-Newcombe, l’armistice de 1949 entre le Liban et Israël et la résolution 425 du Conseil de sécurité, autant de documents susceptibles de préserver les droits du Liban, selon lui.

« Heureusement que la délégation libanaise, sous l’impulsion du président de la République Michel Aoun, a corrigé ce scandale lors du premier round [le 14 octobre] en considérant ces trois points comme des documents de référence pour les négociateurs libanais. »

Le général Hoteit se félicite également du fait que les membres de la délégation libanaise n’aient fait aucune allusion à la ligne bleue tracée par les Nations unies après le retrait israélien de l’an 2000, et qui pour le Liban ne saurait en aucun cas être retenue comme frontière.

Le pays du Cèdre dénonce au moins treize empiètements israéliens en territoire libanais, couvrant des dizaines de milliers de mètres carrés.

Les Israéliens modifient les points frontaliers

Les négociations portent donc essentiellement sur le tracé de la frontière maritime avec des enjeux importants pour le Liban, qui mise sur la prospection d’hydrocarbures dans les blocs 9 et 8, où se situe la zone disputée, dans l’espoir de freiner l’effondrement économique du pays et de renflouer les caisses vides du Trésor.

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La mission des négociateurs libanais sera sans doute difficile et longue, même si des sources libanaises et américaines parlent d’un délai de six mois. Mais rien n’est dit d’avance tant les enjeux sont cruciaux.

Les négociations « techniques », qui ont commencé mercredi, doivent se poursuivre lors d’une séance prévue ce jeudi 29 octobre. Des sources informées ont indiqué à MEE que les négociateurs libanais insistaient sur la nécessité de rectifier des modifications opérées par les Israéliens sur des points frontaliers susceptibles d’avoir un impact décisif sur le tracé maritime.

L’accord Paulet-Newcombe de 1923 stipule que « la frontière [avec la Palestine] part de la mer Méditerranée du point appelé Ras al-Naqoura et suit la ligne de crête de cet éperon jusqu’au signal numéro 1 ».   

Amine Hoteit affirme que lors de la vérification du retrait israélien, le 8 juin 2000, il avait constaté que le point en question (B1) avait été déplacé de 20 mètres vers le nord en territoire libanais par les Israéliens. La délégation libanaise avait alors dénoncé ce changement auprès de l’ONU et obtenu le retour de cette balise à son endroit d’origine.    

« En 2009, j’ai effectué une tournée au Liban-Sud en compagnie de l’ancien président Émile Lahoud [chef de l’État à l’époque de la libération du sud, en 2000) », se souvient le général à la retraite. « Nous avons constaté que les Israéliens, qui avaient pénétré en territoire libanais lors de la guerre de 2006, avaient de nouveau déplacé le point B1 de 25 mètres vers le nord. »

« La distance de 25 mètres permettra de connaître les véritables intentions des Israéliens et de vérifier l’intégrité et l’impartialité du médiateur américain »

- Amine Hoteit, général libanais

Cette distance peut paraître insignifiante. Mais selon la loi de la mer de 1982, le tracé d’une frontière maritime commence par le premier point de rencontre entre la terre et la mer suivant une ligne médiane qui s’enfonce dans les eaux. Une différence de quelques mètres à peine sur terre peut entraîner la perte ou le gain de dizaines de kilomètres carrés en mer.

Cette ligne médiane part donc du point B1 jusqu’à un point 23, à la jonction entre le Liban, Israël et Chypre. Cependant, Israël retient un point situé 17 kilomètres plus au nord que le point 23, en raison d’une erreur commise par une délégation envoyée par le Premier ministre libanais Fouad Siniora à Chypre en 2007, et découverte par les cartographes et les géomètres de l’armée libanaise.

La ligne tracée par Israël intégrerait la zone disputée dans ses eaux territoriales, alors que celle proposée par le Liban lui permettrait de récupérer toute sa ZEE.

La démarcation de la frontière maritime commence donc par le point B1 à Naqoura. « La distance de 25 mètres permettra de connaître les véritables intentions des Israéliens et de vérifier l’intégrité et l’impartialité du médiateur américain », souligne Amine Hoteit.

Si les Israéliens refusent de ramener le point B1 à son endroit initial, les négociations auront échoué avant même d’avoir commencé.

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