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La France peut-elle sauver l’accord sur le nucléaire iranien ?

Au moment où le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, arrive à Paris, des questions se posent sur l’avenir de l’accord sur le nucléaire et le rôle que peut y jouer la diplomatie française
Le président français Emmanuel Macron (à droite) attend avec l’ex-Premier ministre britannique, Theresa May, et le Premier ministre belge, Charles Michel, l’arrivée du président Donald Trump, qui doit présider la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, le 26 septembre 2018 à New York (AFP)

L’arrivée de Javad Zarif en France pour une série de rencontres autour de la survie de l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 permet de montrer le rôle actif que mène la diplomatie française pour sauvegarder le deal.

De plus en plus malmené, menacé dans sa survie depuis le retrait américain et les récentes actions iraniennes, l’accord n’est cependant pas encore en bout de course pour Paris.

Il n’en a pas toujours été ainsi du côté des Français. Alors qu’en 2015, la France était le partenaire le plus critique quant à la signature du plan d’action conjoint (JCPOA), quatre ans plus tard, le pays en est devenu un fervent défenseur.

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L’accord international sur le nucléaire iranien, fragilisé depuis le retrait unilatéral des États-Unis en mai 2018, sera au centre des discussions vendredi entre le président français Emmanuel Macron et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

8 mai 2018

Donald Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire et le rétablissement de sanctions économiques contre l’Iran.

Conclu en 2015 entre l’Iran, les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, l’accord a permis la levée d’une partie des sanctions contre Téhéran en échange de l’engagement iranien de ne pas se doter de l’arme nucléaire.

Le président iranien Hassan Rohani se dit prêt à discuter avec Européens, Russes et Chinois pour voir comment les intérêts de l’Iran peuvent être préservés. Mais il menace de reprendre l’enrichissement d’uranium si ces négociations n’aboutissent pas.

Fin mai 2018

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo énumère douze conditions pour conclure un « nouvel accord », avec des demandes beaucoup plus draconiennes concernant le nucléaire, les programmes balistiques de Téhéran et son rôle dans les conflits au Moyen-Orient.

Washington rétablit en août puis en novembre de sévères sanctions notamment contre les secteurs pétrolier et financier. De grandes entreprises internationales mettent fin à leurs activités ou projets en Iran.

Fin janvier 2019

Paris, Berlin et Londres annoncent la création d’un mécanisme de troc, INSTEX, pour permettre aux entreprises de l’Union européenne (UE) de commercer avec l’Iran malgré les sanctions américaines.

Avril 2019

Donald Trump décide de mettre fin aux exemptions permettant à huit pays l’achat de pétrole iranien, afin de « porter à zéro les exportations » de brut iranien.

8 mai 2019

L’Iran annonce le 8 mai qu’il cessera de respecter à partir de fin juin deux mesures auxquelles il s’était engagé dans le cadre du pacte nucléaire. Asphyxié économiquement par le rétablissement des sanctions, Téhéran veut mettre la pression sur les pays européens toujours engagés dans l’accord.

Jusqu’ici, Téhéran avait respecté ses engagements, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Nouvelles sanctions américaines contre « les secteurs iraniens du fer, de l’acier, de l’aluminium et du cuivre ».

1er juillet 2019

Téhéran annonce le 1er juillet le dépassement de « la limite des 300 kilogrammes » d’uranium faiblement enrichi imposée par l’accord.

7 juillet 2019

L’Iran confirme avoir commencé à enrichir l’uranium à un degré supérieur à la limite de 3,67 % imposée par l’accord. Il menace de s’affranchir d’autres obligations dans « 60 jours » à moins qu’une « solution » soit trouvée avec ses partenaires au sein de l’accord.

8 juillet 2019

L’Iran annonce produire de l’uranium enrichi à au moins 4,5 %. 

Depuis mai 2019

Depuis mai, la pression est montée entre Washington et Téhéran après des sabotages et attaques de navires dans le Golfe, imputées à l’Iran, qui dément.

La destruction d’un drone américain, entré dans l’espace aérien iranien selon Téhéran, fait même craindre un embrasement général. Donald Trump, qui a envoyé des soldats supplémentaires dans la région, affirme avoir annulé à la dernière minute des frappes de représailles.

18 juillet 2019

Donald Trump annonce qu’un navire américain a détruit au-dessus du détroit d’Ormuz un drone iranien s’approchant dangereusement d’un navire américain. Allégations « sans fondement », selon Téhéran.

La saisie par l’Iran de trois pétroliers étrangers, dont un battant pavillon britannique, après l’arraisonnement d’un tanker iranien par les Britanniques au large de Gibraltar exacerbe les tensions. Le navire iranien a pu depuis lever l’ancre mais sa destination finale n’est pas connue.

1er août 2019

Washington impose des sanctions au chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif, moins de deux mois après celles visant le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.

22 août 2019

La présidence française indique qu’Emmanuel Macron recevra vendredi Mohammad Javad Zarif pour discuter du nucléaire iranien.

Le chef de la diplomatie iranienne fait état de « points d’accord » avec Emmanuel Macron. « C’est l’occasion d’examiner la proposition du président Macron et de présenter le point de vue du président Rohani, et de voir si nous pouvons trouver un terrain d’entente », dit-il à Oslo.

Après cette rencontre, le dossier iranien devrait encore être abordé au sommet du G7 qui se tiendra à Biarritz de samedi à lundi.

La position française est claire. Encore récemment, le président Macron affirmait que « dans ces conditions difficiles, nous allons poursuivre notre travail, qui est un travail de médiateur, de négociateur. »

Dans quelle mesure, cependant, ces actions diplomatiques peuvent-elles porter leurs fruits ? Les obstacles restent nombreux.

Un retour sur les événements récents s’impose tout d’abord. Au cours des derniers mois, la France a multiplié les initiatives pour ramener tant les États-Unis que l’Iran vers une position pragmatique. Différents projets ont aussi été lancés pour limiter les effets du retrait et des sanctions américaines et maintenir l’Iran dans le cadre de l’accord.

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En janvier 2019, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni annonçaient ainsi la création d’INSTEX (Instrument in Support Of Trade Exchanges), mécanisme d’échanges commerciaux destiné à aider l’Iran à contourner les sanctions bancaires américaines.

Par la suite, au fur et à mesure que l’Iran reprenait ses activités nucléaires, Paris a pris la tête des pays européens négociant avec Téhéran. Multipliant les échanges, Emmanuel Macron comme Hassan Rohani ont exprimé leur volonté de rechercher une solution à travers l’Europe.

Une ligne de crédit de quinze milliards de dollars

Les deux hommes ont ensuite exploré les possibilités pour l’Europe d’acheter le pétrole iranien, principale revendication européenne de Téhéran depuis le retrait des États-Unis de l’accord et le rétablissement des sanctions.

Dans les propositions posées sur la table en juillet, le président français aurait notamment évoqué la création d’une ligne de crédit de quinze milliards de dollars pour Téhéran afin de contourner les sanctions imposées par les États-Unis.

Différents émissaires iraniens et français se sont également rendus dans les deux capitales afin de maintenir ouverts les canaux d’échanges, comme Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, afin « d’essayer d’ouvrir l’espace de discussion pour éviter une escalade non contrôlée, voire même un accident ».

Le conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne, à Téhéran pour rencontrer le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, le 10 juillet 2019 (AFP)

Les différentes tentatives françaises sont cependant régulièrement bousculées par des prises de positions d’acteurs aussi bien iraniens qu’américains.

Le jour même de la deuxième visite d’Emmanuel Bonne en Iran, le président Trump annonçait l’activation de nouvelles sanctions américaines.

Du côté iranien, l’arrestation de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah mettait en difficulté les échanges lancés. Les initiatives de médiation sont perçues négativement par différents acteurs.

La confiance reste aléatoire, marquée par la position dure de Laurent Fabius en 2015 au moment de la signature de l’accord sur le nucléaire

Si, du côté iranien, l’administration Rohani déclarait encore ce 22 août son intérêt de travailler sur les propositions françaises, le camp ultraconservateur ne cache pas, de son côté, son scepticisme voire son hostilité.

Le 1er juillet, le quotidien Resaalat fustigeait la médiation française et les objectifs cachés du président français : « Comment un président qui, dans son propre pays, souffre d’une crise de légitimité et d’un problème de sécurité intérieure, peut-il endosser le rôle de médiateur entre l’Iran et les États-Unis ? »

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Le journal Javan, de son côté, dénonçait les thèmes négociés comme étant « probablement incompatibles avec la logique des intérêts nationaux de l’Iran ».

Eghtesad, enfin, dévoilait ce qu’il décrivait comme le plan français du pays visant à apaiser les tensions entre l’Iran et les États-Unis. Le quotidien économique affirmait ainsi que la proposition française envisageait un changement de politique de l’Iran au Moyen-Orient, notamment en exhortant les groupes irakiens à cesser leurs provocations et à réduire la présence iranienne en Syrie. Autant de positions critiques à l’égard de Paris, traduisent à la fois des lignes rouges et un manque de confiance à l’égard de la France.

La confiance reste en effet aléatoire, marquée par la position dure de Laurent Fabius en 2015 au moment de la signature de l’accord sur le nucléaire. La fraction dure de Téhéran, enfin, refuse de transiger sur tout autre point que les termes de l’accord, alors que Washington veut intégrer la politique régionale de la République islamique à un nouveau texte.

Durcissement du régime iranien

Dans ce jeu à plusieurs entrées, la diplomatie française peut-elle peser ? Si la volonté européenne de sauver l’accord sur le nucléaire semble réelle, les obstacles dressés par l’administration Trump entravent les démarches.

Le flou régnant quant aux intentions réelles de l’administration américaine pèse fortement. Les revirements soudains des déclarations américaines créent un climat d’incertitude néfaste à la confiance nécessaire dans les démarches.

À cela s’ajoute un durcissement du régime iranien qui représente un autre élément s’intégrant dans la complexité des échanges. Les tensions autour du détroit d’Ormuz et des transits de pétroliers sont d’ailleurs un des exemples de ces actions indirectes entrant dans le jeu des rapports de force.

Les tensions autour du détroit d’Ormuz et des transits de pétroliers entrent dans le rapport de force entre Washington et Téhéran (AFP)

C’est cependant la question de la vente du pétrole iranien qui reste un des moteurs principaux des revendications. INSTEX, qui peine à se lancer, ne rejoint guère les attentes des Iraniens qui souhaitent avant tout pouvoir écouler des biens faisant tourner son économie, à savoir le pétrole.

Même si des échanges avec la Chine semblent se réaliser malgré les sanctions, l’économie iranienne reste contrainte par l’embargo américain. La réussite diplomatique française dépend donc, avant tout, du bon vouloir de l’administration Trump et notamment des exemptions sur l’achat du pétrole iranien.

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Début juillet, le premier vice-président iranien, Eshaq Djahanguiri, insistait à nouveau sur cette importance et sur l’implication des Européens et des Chinois pour dépasser l’embargo sur le pétrole.

La tâche semble donc ardue pour Paris, les éléments à prendre en compte étant nombreux, d’autant plus que la pression du timing s’accroît et pourrait amener la France à sortir de son rôle de médiation.

C’est en septembre que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) rendra son nouveau rapport, constatant probablement les violations iraniennes du JCPOA. La question qui se pose dès lors est celle de l’attitude de Paris et des Européens face à une « pression maximum » maintenant installée des deux côtés.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Jonathan Piron est historien et politologue. Conseiller au sein d’Etopia, centre de recherche basé à Bruxelles, il se spécialise sur les transformations sociales au Moyen-Orient, avec un focus sur les dynamiques de mobilisation en cours en Iran.
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