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L’année 2020 s’annonce difficile pour l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane

Seul un changement de direction politique pourrait apporter un avenir meilleur à l’Arabie saoudite et restaurer son image au-delà des frontières du royaume
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane assiste au sommet du Conseil de coopération du Golfe à Riyad le 10 décembre 2019 (Bandar al-Jaloud/palais royal saoudien/AFP)

Si le succès est mesuré à l’aune des réalisations, l’Arabie saoudite sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salmane a sombré plus profondément dans les problèmes au cours de l’année écoulée, et ce sur de nombreux fronts.

La scène nationale a été ponctuée par un mélange contradictoire de réforme et de répression. Sur le plan régional, les champs pétroliers saoudiens ont subi deux attaques qui ont paralysé la production du royaume, et une réconciliation avortée avec le voisin qatari a trébuché avant même de commencer.

Sur la scène internationale, Mohammed ben Salmane n’a pas encore réussi à sauver sa réputation après sa mésaventure militaire au Yémen et le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi fin 2018, qui ont tous deux tempéré l’enthousiasme envers son projet d’attraction d’investissements internationaux et de lancement de la compagnie pétrolière nationale Aramco sur les marchés mondiaux.

Sur ces trois fronts, le seul succès du prince héritier a été de saper la crédibilité du royaume et de ternir sa réputation irrémédiablement.

Activistes emprisonnés

Malgré le battage médiatique qui a accompagné les plans dits de libéralisation sociale et économique de ben Salmane, qui ont rendu la sphère publique saoudienne moins restrictive pour les femmes et les jeunes hommes, les vagues successives de détention arbitraire sont restées un problème épineux. De plus en plus d’intellectuels et de professionnels ont été arrêtés et la plupart attendent toujours leur procès.

Des érudits religieux célèbres, tels que Salman al-Ouda et Awad al-Qarni, des militantes féministes telles que Loujain al-Hathloul ainsi que des chefs de tribus se sont retrouvés derrière les barreaux pendant de longues périodes. Sans pression effective de la société saoudienne ou de la communauté internationale, les militants emprisonnés risquent d’être oubliés, sauf dans les hashtags sur Twitter – presque tous générés par l’émergente diaspora saoudienne.

Sa politique de tolérance zéro envers les voix dissidentes et son désir implacable d’être au centre de toutes les décisions ont fait du royaume une prison géante pour ceux qui nourrissent des visions et des opinions alternatives

Le prince héritier saoudien est responsable de la migration forcée de centaines de Saoudiens partis chercher refuge à l’étranger. Sa politique de tolérance zéro envers les voix dissidentes et son désir implacable d’être au centre de toutes les décisions ont fait du royaume une prison géante pour ceux qui nourrissent des visions et des opinions alternatives.

Ses réformes sociales et économiques n’ont pas réussi à générer le consensus, laissant de nombreux Saoudiens sans autre alternative que de fuir leur pays et poursuivre à distance leur lutte pour la liberté d’expression. Leur nombre croissant les a incités à chercher une base institutionnelle à l’étranger pour se regrouper et créer une voix unifiée rejetant la propagande du régime. Les exilés – unis malgré leurs différences idéologiques, de genre et de croyances – organisent des conférences de la diaspora chaque année, la dernière en décembre.

Alors que les industries du divertissement et du tourisme en Arabie saoudite se sont renforcées en 2019, le régime n’a pas encore montré de réels signes d’ouverture, au-delà de la propagande des concerts, des festivals et des spectacles de cirque. Il est peu probable que ces deux secteurs génèrent suffisamment d’emplois pour apaiser la jeunesse saoudienne ; ces deux industries sont davantage axées sur l’étalage de fortune que sur la production.

Échec des rapprochements

Alors que les deux crises régionales que sont le Yémen et le Qatar semblent n’avoir donné aucune victoire au prince héritier cette année, une réconciliation peu réjouissante au Yémen doit encore s’avérer une solution durable qui pacifiera véritablement les factions en guerre et permettra au royaume de tourner la page de son intervention militaire, qui dure depuis plus de cinq ans.

Entre-temps, l’invitation adressée à l’émir du Qatar afin qu’il assiste au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Riyad en décembre a été snobée, et le blocus qui lui a été imposé n’a pas encore été déclaré une mauvaise décision. À l’heure actuelle, le Qatar ne semble pas pressé d’accepter une réconciliation permanente avec le royaume ou son allié, les Émirats arabes unis.

Des combattants se rassemblent dans le sud du Yémen le 30 août (AFP)
Des combattants se rassemblent dans le sud du Yémen le 30 août (AFP)

Ben Salmane a fracturé le Golfe d’une manière irréparable. Aucun dirigeant saoudien avant lui n’avait mené une politique aussi agressive envers un voisin. Alors que l’objectif était d’isoler le Qatar, seul le prince s’est retrouvé isolé par sa politique intransigeante, qui visait à humilier d’autres États plutôt qu’à coopérer et résoudre des conflits par la voie diplomatique.

Ben Salmane a fracturé le Golfe d’une manière irréparable. Aucun dirigeant saoudien avant lui n’avait mené une politique aussi agressive envers un voisin

L’approche agressive du prince héritier en matière de politique régionale a eu un effet contre-productif et de nombreux observateurs reprochent à l’Arabie saoudite d’approfondir la fracture dans le Golfe. Sous ben Salmane, le CCG est devenu insignifiant en tant que forum régional.

Face à cet échec régional, le prince héritier compte sur les nouvelles vagues de protestations au Liban et en Irak pour le débarrasser de ses rivaux iraniens. Depuis Riyad, les manifestations sont perçues comme un nouvel élan visant à réduire l’influence de Téhéran dans les deux pays.

Pourtant, bien que cela puisse être l’une des causes, de sérieux facteurs sous-jacents ont poussé les manifestants à se précipiter sur les places publiques pour exprimer leur mécontentement. Ils exigent davantage que l’expulsion de l’Iran : ces populations marginalisées rejettent des gouvernements corrompus et inefficaces.

Calcul erroné

Compter sur des manifestations pour expulser l’Iran et le remplacer par l’hégémonie saoudienne est un calcul erroné. Ni les manifestants irakiens ni leurs homologues libanais ne semblent chercher à remplacer un mauvais seigneur par un autre tout aussi mauvais. Ben Salmane ne comprend pas l’état d’esprit qui anime des personnes qui se rebellent ; il est plus à l’aise avec la répression qu’avec la libération.

Ses voisins régionaux non arabes, l’Iran et la Turquie, partagent une répulsion commune envers le prince. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le président iranien Hassan Rohani semblent intransigeants lorsqu’ils traitent avec lui. Tous deux refusent de le prendre au sérieux et hésitent à lui faire confiance, alors même qu’il a récemment eu des entretiens secrets avec Téhéran.

Le régime iranien est toujours suffisamment fort pour écraser les manifestations locales, malgré des mois de graves difficultés économiques causées par les sanctions internationales. Ben Salmane ne verra pas la désintégration de l’État iranien de sitôt. Il doit apprendre à trouver des compromis avec la Turquie et l’Iran.

Et tant que l’Arabie saoudite ne cherchera pas à faire justice pour le meurtre de Khashoggi, un crime commis sur le sol turc, Ankara n’améliora pas ses relations avec le prince héritier. L’annonce de la condamnation à mort de cinq suspects dans ce meurtre approuvé au plus haut niveau du royaume, tout en libérant sans inculpation les trois individus considérés comme ayant dirigé l’opération, y compris l’assistant de ben Salmane Saoud al-Qahtani, ne résoudra pas ce problème.

La communauté internationale demeure en outre réticente à approuver pleinement les réformes économiques du prince. La vente de seulement 1,5 % du géant pétrolier Aramco a finalement été lancée cette année, mais peu d’investisseurs internationaux semblent s’être précipités pour saisir les bénéfices du deal du siècle.

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Tant que l’Arabie saoudite ne sera pas un État basé sur la transparence, la bonne gouvernance et l’État de droit, il lui sera difficile de réussir financièrement à l’échelle mondiale. L’introduction en bourse d’Aramco a plus ressemblé à un vol à main armée qu’à une entrée sur le marché mondial.

L’année à venir ne s’annonce pas brillante, car la répression enracinée et les mésaventures régionales semblent destinées à se poursuivre. Le prince héritier a laissé tomber son propre peuple, les puissances régionales et la communauté internationale.

Seul un changement de direction politique pourrait apporter un avenir meilleur à l’Arabie saoudite et restaurer son image au-delà de ses frontières.

Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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