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Syrie : l’emprise d’Assad sur le pouvoir peut-elle être vraiment menacée ?

Quatre groupes sont en concurrence mais seuls deux – le régime d’Assad et le gouvernement d’opposition dans le nord – ont une vraie chance de diriger le pays
Des soldats syriens célèbrent la victoire du président Bachar al-Assad, qui remporte un quatrième mandat, à Damas, le 27 mai 2021 (AFP)
Des soldats syriens célèbrent la victoire du président Bachar al-Assad, qui remporte un quatrième mandat, à Damas, le 27 mai 2021 (AFP)

La Syrie connaît une période de calme relatif depuis le cessez-le-feu négocié en mars 2020, c’est donc le bon moment pour passer en revue les différents modèles de gouvernance qui ont émergé dans le pays.

On en dénombre actuellement quatre : le Gouvernement de salut syrien (GSS) de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) à Idleb ; le Gouvernement intérimaire syrien dans le nord (GIS) ; l’autoproclamée région autonome du nord-est, dirigée par les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes ; et le régime d’Assad, maintenu en place grâce à l’appui de la Russie et de l’Iran.

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Si on examine les forces et faiblesses de chacun, il est probable que seuls deux puissent connaître le succès à long terme : le régime d’Assad et le Gouvernement intérimaire syrien.

Le Gouvernement de salut syrien soutenu par HTC tire son pouvoir de l’importante population de déplacés syriens vivant dans la région. Mais il n’est pas reconnu à l’international, HTC étant considéré comme une organisation terroriste par l’ensemble des principaux acteurs étrangers en Syrie – l’ONU, les États-Unis, la Turquie et la Russie. C’est pourquoi, les acteurs étrangers n’ont pas d’intérêt à investir dans ce modèle de gouvernance.

Les attaques occasionnelles du régime d’Assad et de ses alliés ne permettent pas d’exclure une opération militaire globale contre HTC dans les mois à venir, l’avenir de ce gouvernement reste donc incertain. 

Dans le même temps, le dirigeant de HTC Abou Mohammed al-Joulani cherche à envoyer un message aux acteurs internationaux en renforçant ses relations avec les locaux, affirmant au monde occidental que son groupe n’est pas une menace pour eux et souhaite seulement combattre le régime d’Assad.

Changement d’objectifs

La soi-disant Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (ANNES) est une zone clé sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS) et contient des ressources productives agricoles, pétrolières et hydriques. Mais si l’AANES (plus connue sous le nom de Rojava) est soutenue par de nombreux États occidentaux, à la fois sur le plan diplomatique et financier, la région n’est pas encore officiellement reconnue autonome.

Par ailleurs, depuis l’opération turque Source de paix, les États-Unis se sont retirés de nombreuses régions du pays, changeant d’objectif pour se consacrer à la protection du pétrole syrien. 

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Pourtant, une société pétrolière américaine qui avait eu l’autorisation d’opérer dans le nord-est de la Syrie par l’administration Trump n’a pas vu son autorisation renouvelée – autre exemple de la chancelante politique syrienne de Washington.

Pour la Turquie, les FDS – dominées par les Unités kurdes de protection du peuple (YPG) – sont persona non grata en raison des liens des YPG avec le Parti interdit des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les YPG ont été écartés du processus de négociations constitutionnelles de l’opposition, et une nouvelle opération militaire turque contre les FDS reste une éventualité, en particulier si les États-Unis se retirent totalement de Syrie comme ils l’ont fait en Afghanistan.

Le Gouvernement intérimaire syrien (GIS) est dans une posture différente. La Turquie en est un partisan clé et la réouverture des frontières promet un coup de fouet sur le plan financier.

La reconnaissance internationale de la Coalition nationale syrienne renforce également ce gouvernement, lui donnant de l’autorité aux yeux des États occidentaux comme le représentant légitime du peuple syrien. 

Des Syriens entourent un char turc dans le nord de la Syrie, le 15 mars 2020 (AFP)
Des Syriens entourent un char turc dans le nord de la Syrie, le 15 mars 2020 (AFP)

Mais il reste encore beaucoup de travail en interne, et il faut décentraliser la structure de commandement. S’ils y parviennent, le GIS pourrait devenir un véritable régime alternatif pour le pays.

Domination d’Assad

Ces dernières années, le régime syrien a pris le dessus sur les forces d’opposition sur le plan militaire. 

Beaucoup ont fui le pays, ou se sont installés dans les zones contrôlées par HTC ou le GIS, donnant au régime une population plus « contrôlable » dans les zones qui restent sous son contrôle.

Dans les régions tenues par le régime, les récentes manifestations à Deraa sont l’exception à la règle : la population de la ville n’a pas été totalement chassée et le régime a pénétré dans la région via l’accord de réconciliation soutenu par les Russes. 

Au bout du compte, ce n’est pas une question personnelle : même si Assad quitte le pouvoir un jour, la Russie et l’Iran s’assureront qu’un régime reposant sur la secte alaouite perdure

Dans l’ensemble, la stratégie du régime consistant à chasser les forces d’opposition du pays s’est avérée une grande réussite, faisant de la gouvernance une perspective plus simple.

Et si les États occidentaux restent opposés au régime de Damas, certains États arabes ont commencé à renouer leurs relations. Avec le soutien de la Russie, le président Bachar al-Assad a manipulé l’accord sur la zone de désescalade pour étendre son contrôle territorial – mais sa domination militaire n’a pas réparé l’économie syrienne, les sanctions internationales et la mauvaise gestion empêchent toujours les citoyens de satisfaire leurs besoins fondamentaux.

Pourtant, les États-Unis ont déclaré ne pas chercher à renverser le régime d’Assad mais plutôt à changer son comportement. Au bout du compte, ce n’est pas une question personnelle : même si Assad quitte le pouvoir un jour, la Russie et l’Iran s’assureront qu’un régime reposant sur la secte alaouite perdure.

- Kutluhan Görücü est analyste au département de politique étrangère à la Fondation SETA à Ankara.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Kutluhan Görücü is an analyst at the Foreign Policy Department of SETA Foundation based in Ankara
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