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Diviser pour mieux régner tout en gardant un œil sur un gisement de gaz, voilà les raisons de l’attaque contre Gaza

La dernière campagne de bombardement d’Israël s’inscrit dans une stratégie visant à créer des frictions entre Palestiniens et affaiblir les alliés de l’Iran
Des Palestiniens inspectent les restes d’une maison détruite par les frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza, le 6 août 2022 (MEE/Mohammed al-Hajjar)
Des Palestiniens inspectent les restes d’une maison détruite par les frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza, le 6 août 2022 (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Personne n’aurait dû être surpris par l’offensive israélienne sur Gaza et le ciblage de cadres du Jihad islamique palestinien (JIP), ainsi que de civils.

Le renforcement de la présence militaire à la frontière avec Gaza (confiner les villes du Sud d’Israël, y amasser des forces et mobiliser jusqu’à 25 000 réservistes) n’est pas le reflet d’un comportement défensif.

Et même si des représailles étaient attendues de la part du Jihad islamique après l’arrestation lundi dernier de l’un de ses dirigeants en Cisjordanie occupée, Bassam al-Saadi, chez lui à Jénine d’une façon insultante pour lui et l’organisation, ce déploiement n’était pas nécessaire.

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Au contraire, cette arrestation s’inscrivait dans les préparatifs du lancement d’une nouvelle agression visant à remplir plusieurs objectifs stratégiques, même si ceux-ci sont limités.

Malheureusement, les initiatives israéliennes n’ont pas été bien décryptées par les dirigeants palestiniens, qui ont été distraits par la panique et la colère ressenties par la population israélienne des villes confinées. 

Quoi qu’il en soit, la vérité ne réside pas dans le discours d’Israël mais dans les actes de ses bras armés : la façon dont ils ont mobilisé leurs forces montrait que l’arrestation de Jénine n’était que les prémices d’une escalade agressive. 

Certes, la population israélienne paniquait, mais dans un pays doté d’un tel arsenal militaire, c’est souvent un motif pour lancer des attaques préventives et pas nécessairement une retraite.

Par ailleurs, ce serait une erreur de lier l’offensive à la politique intérieure israélienne. Elle est complètement en phase avec la doctrine d’agression ancrée en Israël, et il s’agit d’une stratégie de l’État, pas uniquement du Premier ministre.

Cette fois, les objectifs semblent être de diviser pour mieux régner et d’affaiblir les alliés de l’Iran. 

Créer des frictions 

Tout suggère qu’Israël avait planifié cette escalade. 

L’armée a dit et répété que l’objectif de l’opération « Aube » se limitait à porter un coup au seul Jihad islamique. 

Elle voulait clairement une opération rapide sans implication du Hamas dans les combats, ce qui, si cela venait à se produire, pourrait déclencher une véritable bataille. 

Il y a là un défi capital pour le Hamas, dirigeant de facto de Gaza, et pour les autres factions au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui pourraient vouloir limiter les combats en raison de la situation économique désespérée dans l’enclave assiégée.

En tentant de neutraliser le rôle du Hamas et de limiter le combat au Jihad islamique, Israël cherche à empêcher toute union palestinienne et à isoler les groupes les uns des autres.

Mais ce qu’Israël qualifie d’attaque contre le Jihad islamique est en fait une agression contre la population palestinienne de Gaza dans son ensemble.

Un Palestinien dans les ruines d’une maison détruite par les frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza, le 6 août 2022 (MEE/Mohammed al-Hajjar)
Un Palestinien dans les ruines d’une maison détruite par les frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza, le 6 août 2022 (MEE/Mohammed al-Hajjar)

Au moment du cessez-le-feu négocié par l’Égypte dimanche soir, les trois jours d’opération militaire israélienne contre Gaza avaient entraîné la mort de 44 Palestiniens, dont 15 enfants – notamment Alaa Qaddoum (5 ans), qui a été tuée dans la première frappe aérienne de cette opération vendredi après-midi – et blessé plus de 300 personnes.

Le Jihad islamique a baptisé ses représailles, dont le tir de plusieurs dizaines de roquettes, opération « Fronts unis », ce qui suggère que lui aussi comprend le jeu auquel joue Israël.

Et si ce dernier a pris le dessus dans cette bataille en tirant le premier, il ne pourra pas contrôler le cours des combats ou même leurs conséquences, malgré l’énorme déséquilibre en sa faveur.

Des capacités de dissuasion qui s’érodent 

Cette opération survient à un moment où la capacité de dissuasion d’Israël contre les groupes palestiniens à Gaza s’effrite. 

C’était évident lors de l’opération de l’année dernière surnommée « Gardiens des murs » par les Israéliens et « Épée de Jérusalem » par les Palestiniens.

Ces 11 jours de bataille, qui ont fait 256 morts du côté palestinien et 13 côté israélien, se sont achevés sur un sentiment d’échec chez les Israéliens et un sentiment de victoire chez les Palestiniens.

Ainsi, les préparatifs de l’agression actuelle ont commencé lorsque celle de l’année dernière s’est achevée. 

Outre la bataille à Gaza, Israël a été confronté à un soulèvement sans précédent au sein de ses villes historiques et mixtes comme Haïfa, Acre, Lydd (Lod en hébreu) et ailleurs, ce qui l’a pris par surprise. 

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Ce soulèvement, ajouté aux manifestations à Jérusalem contre les expulsions de Sheikh Jarrah et les agressions contre les fidèles de la mosquée al-Aqsa, a cimenté un sentiment d’unité parmi les Palestiniens. 

En conséquence, les establishments politique et sécuritaire israéliens adoptent depuis plusieurs mois un train de mesures visant à limiter la capacité des citoyens palestiniens d’Israël à manifester et se mobiliser à une telle ampleur. 

Parmi elles figurent la création de milices soutenues par le gouvernement, comme la « garde nationale civile », ainsi que le recrutement et le déploiement de davantage de soldats et d’officiers pour servir dans l’armée et les forces paramilitaires de la « police des frontières ». 

Tout de suite après le lancement par Israël de sa campagne de bombardement vendredi, la police en Israël a élevé le niveau d’alerte au 2e échelon, tandis que Omer Bar-Lev, ministre de la Sécurité intérieure, a appelé dix compagnies de la « police des frontières » à rester en alerte. 

Dans le même temps, l’armée a mené des raids à Jénine, dans le Nord de la Cisjordanie, pour éliminer les factions armées palestiniennes, en particulier le Jihad islamique, qui a gagné en influence là-bas. 

Les yeux tournés vers le gisement gazier de Karish

Autre raison de cibler le Jihad islamique : sa relation étroite avec l’Iran

C’est un changement fondamental dans la stratégie régionale israélienne, dont les alliés, parmi lesquels des régimes arabes, ne veulent pas combattre au nom d’Israël. 

Affaiblir le Jihad islamique palestinien est devenu encore plus nécessaire car le groupe rejoindrait probablement les combats en cas de confrontation militaire avec le Hezbollah dans le Nord

Cette stratégie, comme l’a définie l’un des candidats au poste de chef d’état-major de l’armée israélienne, Eyal Zamir, vise avant tout à saper l’influence de l’Iran dans la région et ses alliés qui lui servent « d’intermédiaires ».

En vertu de cette doctrine, l’Iran est considéré comme le principal ennemi d’Israël, et la bataille ne cessera pas tant que les bras de Téhéran dans la région ne sont pas affaiblis. Parmi eux figure l’ensemble des organisations paramilitaires soutenues par l’Iran au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen.

Dans ce contexte, le Jihad islamique palestinien, considéré comme le plus proche allié de Téhéran en Palestine, devient la nouvelle cible d’Israël. 

Cependant, il est important de noter que parmi tout cela, la grande priorité en Israël aujourd’hui n’est pas Gaza, Jénine, Bassam al-Saadi et le Jihad islamique. Il s’agit plutôt de sécuriser le gisement gazier de Karish, situé dans une région disputée avec le Liban. 

Israël voit dans la guerre en Ukraine l’occasion qui pourrait lui permettre d’exporter du gaz en Europe via ce gisement et de remplacer l’approvisionnement de Moscou. 

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Étant donné son emplacement dans ce territoire maritime contesté avec le Liban, il se pourrait que cela ne coule pas de source pour Israël : le Hezbollah menace de recourir à la force pour protéger les richesses naturelles du Liban.

Depuis des mois, les États-Unis servent d’intermédiaires pour négocier un accord, mais cela semble irréalisable. Selon des informations israéliennes, le travail d’extraction a été reporté jusqu’au mois prochain dans l’espoir de trouver une résolution d’ici là. Sinon, la menace d’un conflit ne fera que grandir. 

Ainsi, affaiblir le Jihad islamique palestinien dans cette opération est devenu encore plus nécessaire car le groupe rejoindrait probablement les combats en cas de confrontation militaire avec le Hezbollah dans le Nord. 

Dans tous les cas, c’est la population gazaouie qui devra une fois de plus payer le prix de ces violents jeux israéliens, dont le résultat sera déterminé par la réaction palestinienne.  

- Ameer Makhoul est un activiste et auteur palestinien de premier plan au sein de la communauté des Palestiniens de 1948 (citoyens d’Israël). Il a dirigé Ittijah, une ONG palestinienne en Israël. Il a été emprisonné par Israël pendant dix ans.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ameer Makhoul is a leading Palestinian activist and writer in the 48 Palestinians community. He is the former director of Ittijah, a Palestinian NGO in Israel. He was detained by Israel for ten years.
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