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Au Liban, un numéro contre le suicide submergé par des appels désespérés

Le numéro vert « Embrace Lifeline » mobilise des volontaires qui, sans relâche, écoutent des Libanais épuisés par des batailles sans fin pour trouver de l’essence, de quoi se nourrir, un emploi ou fuir le pays
Une femme place une note sur un post-it dans les bureaux de l’ONG Embrace qui gère un numéro vert de prévention du suicide, à Beyrouth, le 1er septembre 2021 (AFP/Anwar Amro)
Une femme place une note sur un post-it dans les bureaux de l’ONG Embrace qui gère un numéro vert de prévention du suicide, à Beyrouth, le 1er septembre 2021 (AFP/Anwar Amro)
Par AFP à BEYROUTH, Liban

À l’autre bout du fil, un père de famille annonce qu’il veut se suicider car il ne parvient plus à nourrir ses quatre enfants. Au Liban, touché par une crise socio-économique inédite, la sonnerie du seul numéro vert de prévention contre le suicide ne cesse de retentir.

Avec environ 1 100 appels par mois — des dizaines par jour —, le nombre d’appels a plus que doublé en un an. L’effondrement économique du pays, mais aussi l’explosion le 4 août 2020 au port de Beyrouth qui a ravagé la capitale, a provoqué chez les Libanais traumatisés une véritable crise de santé mentale.

Le phénomène a été exacerbé par le départ massif de médecins — dont des spécialistes de la santé mentale —, ainsi qu’une pénurie de médicaments, y compris d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, introuvables dans les pharmacies.

Le numéro vert « Embrace Lifeline » (1564) mobilise des volontaires qui, sans relâche, écoutent des Libanais épuisés par des batailles sans fin pour trouver de l’essence, de quoi se nourrir, un emploi ou fuir le pays.

Des appels de mineurs

« Beaucoup de gens ont perdu espoir », résume Mia Atoui, cofondatrice de l’ONG Embrace, qui gère cette ligne téléphonique.

« Ce matin, nous avons été réveillés à 5 h 30 par un sans-abri de 31 ans qui voulait se suicider », confie-t-elle à l’AFP.

« La semaine dernière, c’était un père de famille dans la vallée de la Békaa qui voulait mettre fin à ses jours parce qu’il n’a plus les moyens de nourrir ses quatre enfants », ajoute-t-elle.

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Un exemple non isolé : Magalie Eid, volontaire de 23 ans à Embrace depuis deux ans, se souvient de l’appel d’une veuve.

« Elle n’avait pas les moyens de nourrir [ses trois enfants], elle ne savait pas si elle devait mettre fin à ses jours, ou si elle devait se tuer avec ses enfants. »

De plus en plus de mineurs appellent, leur nombre représentant désormais environ 15 % des appels en juillet, selon des statistiques compilées par Embrace.

Pour répondre aux appels croissants, le numéro vert fonctionne désormais 21 heures par jour, contre 17 heures auparavant, avec pour objectif d’assurer un service 24h/24 dans les prochains mois.

De l’aide psychologique gratuite a également été mise en place avec une centaine de personnes déjà inscrites sur une liste d’attente.

Grave pénurie de médicaments 

Depuis deux ans, le pays enchaîne tragédies et traumatismes. Les espoirs déçus après le soulèvement populaire d’octobre 2019 — qui avait pour objectif de renverser une classe politique accusée de corruption et inamovible depuis des décennies — se sont conjugués à une pandémie et l’explosion dévastatrice au port de Beyrouth en 2020.

« Nous observons plus de cas d’anxiété et de dépression, mais aussi des situations plus graves »

- Fadi Maalouf, chef du département de psychiatrie à l’hôpital américain

La situation a encore empiré depuis fin juin avec l’effondrement d’un système de subventions, ce qui a provoqué des pénuries en tous genres et poussé de nombreux Libanais à fuir le pays.

« Nous observons plus de cas d’anxiété et de dépression, mais aussi des situations plus graves », souligne Fadi Maalouf, chef du département de psychiatrie à l’hôpital américain de Beyrouth.

Certains patients « ont réduit leur traitement » en raison du manque de médicaments « ou décidé d’arrêter leur traitement, devenant ainsi encore plus déprimés, voire suicidaires », explique M. Maalouf. « Tous étaient stables avant. »

Avec une demande en forte hausse, la psychologue Nanar Iknadiossian a du mal à suivre le rythme. 

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La femme de 29 ans travaille treize heures par jour sans répit et reçoit de nouvelles sollicitations qu’elle est obligée de décliner.

Or, ses patients ont besoin « d’approches thérapeutiques très rapides axées sur des solutions », explique-t-elle à l’AFP. « C’est comme des soins de premiers secours psychologiques […] nous ne faisons que limiter les dégâts. »

D’une ampleur sans précédent, la crise a provoqué une paupérisation à grande échelle : près de 80 % de la population vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté selon l’ONU.

Par Hachem Osseiran.

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