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Netanyahou vs. Abdallah II : les relations entre Israël et la Jordanie au plus bas

Les tensions entre les deux dirigeants reflètent deux approches politiques et sécuritaires différentes du Moyen-Orient
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (à gauche) et le roi de Jordanie Abdallah II (AFP)

Les relations israélo-jordaniennes ont connu un autre moment difficile la semaine dernière, lorsque le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a refusé d’approuver l’approvisionnement en eau de la Jordanie prévu par l’accord de paix signé entre les deux pays à Wadi Araba en 1994.

Cette décision s’inscrit dans un conflit qui oppose Israël et le royaume hachémite depuis mars, lorsqu’Israël a décidé d’annuler la visite du prince héritier jordanien Hussein ben Abdallah à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est occupée, conduisant Amman à refuser à l’hélicoptère de Netanyahou l’accès à l’espace aérien jordanien, alors que ce dernier devait se rendre aux Émirats arabes unis pour participer à une séance photo avec le prince héritier Mohammed ben Zayed dans l’espoir d’augmenter ses chances en pleine bataille électorale.

« Netanyahou n’a aucune crédibilité dans les cercles décisionnaires jordaniens. Il est considéré comme un opportuniste qui fera tout pour assurer sa survie politique, même si cela provoque une crise et nuit aux relations bilatérales avec la Jordanie »

- Mohammad al-Momani, sénateur jordanien

Bien qu’Amman ait donné l’autorisation à Netanyahou de survoler son espace aérien quelques heures plus tard, ce dernier a décidé d’annuler son voyage aux Émirats.

Vendredi, la Jordanie a publié une déclaration appelant Israël à mettre fin aux incursions quotidiennes des colons israéliens dans le complexe d’al-Aqsa sous la protection des forces de sécurité et de renseignement israéliennes.

La Jordanie est la gardienne des lieux saints musulmans et chrétiens de Jérusalem-Est selon un accord conjoint israélo-jordanien.

Certains Israéliens d’extrême droite, cependant, appellent depuis longtemps à la destruction du complexe d’al-Aqsa – qui selon eux a été construit là où se serait autrefois trouvé le deuxième temple juif – afin qu’un troisième temple puisse être construit à sa place.

Le roi Abdallah est monté sur le trône en 1999, tandis que Netanyahou est le Premier ministre israélien par intermittence depuis 1996. La dernière rencontre entre les deux dirigeants remonte à 2018.

Lignes de communication rompues

Netanyahou a été décrit comme une épine dans la gorge du roi Abdallah par les médias israéliens, et si les récentes tensions ont lieu dans une région en perpétuelle effervescence, elles reflètent également deux approches différentes de la sécurité et de la politique au Moyen-Orient, selon les analystes.

« N’importe quel Premier ministre israélien autre que Netanyahou serait mieux pour la Jordanie », déclare à Middle East Eye Mohammad al-Momani, sénateur et ancien ministre jordanien.

« Netanyahou n’a aucune crédibilité dans les cercles décisionnaires jordaniens et les lignes de communication avec lui ont été rompues. Il est considéré comme un opportuniste qui fera tout pour assurer sa survie politique, même si cela provoque une crise et nuit aux relations bilatérales avec la Jordanie. »

L’ancien vice-Premier ministre jordanien, Mamdouh al-Abadi, confie à MEE que le roi Abdallah n’a pas confiance en Netanyahou et s’en méfie.

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« Netanyahou appartient à la droite radicale et ne croit pas à la solution à deux États ou au processus de paix. Il a en outre une vision expansionniste envers la Jordanie », souligne-t-il. « Il s’est heurté à un mur de briques avec la Jordanie en raison du rejet de cette dernière de l’annexion et de ‘’l’accord du siècle’’ de [l’ancien président américain] Donald Trump. »

Certains des alliés de Netanyahou, tel le Parti sioniste religieux, défendent la notion d’un Grand Israël et d’un contrôle israélien total sur les montagnes orientales de la vallée du Jourdain, qui, selon eux, font partie des royaumes bibliques de Judée et Samarie.

Le Parti sioniste religieux est la clé des efforts déployés par Netanyahou pour former un gouvernement après les élections générales du mois dernier.

Selon l’analyste israélien Meron Rapoport, la décision d’Israël de bloquer la visite du prince héritier jordanien à la mosquée al-Aqsa était un signal envoyé par Netanyahou à ses alliés d’extrême droite pour indiquer que son futur gouvernement imposerait la souveraineté israélienne sur le complexe.

Une longue querelle

Cependant, la confrontation entre Netanyahou et la Jordanie remonte au règne du père du monarque actuel, le roi Hussein, lorsque le Premier ministre israélien ordonna aux agents du Mossad d’empoisonner le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, à Amman en 1997, avant de céder à la pression américaine et d’envoyer un antidote.

Ensuite en 2017, un garde de sécurité israélien travaillant à l’ambassade d’Israël à Amman a tué deux citoyens jordaniens. Le garde a été libéré dans le cadre d’un accord secret, mais à son retour en Israël, Netanyahou l’a accueilli en « héros national », ce qui a été perçu en Jordanie comme une insulte envers le roi.

Daoud Kuttab, analyste des affaires palestiniennes, indique à MEE que la longue liste d’incidents de ce type explique la méfiance du roi Abdallah à l’égard du Premier ministre israélien.

« À de nombreuses reprises, Netanyahou a rompu les promesses faites au roi, comme empêcher l’entrée des colons juifs à al-Aqsa, remettre les images des caméras de surveillance du meurtre du juge jordanien Raed Zeiter en 2014 et traduire en justice le garde de l’ambassade israélienne qui a tué deux Jordaniens », rappelle Kuttab. « Toutes ces questions ont engendré une méfiance totale. »

Manifestation dans la capitale jordanienne Amman le 15 juillet 2017 contre la fermeture de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem par Israël (AFP)
Manifestation dans la capitale jordanienne Amman le 15 juillet 2017 contre la fermeture de l’enceinte de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem par Israël (AFP)

Les dirigeants du Likoud israélien, y compris Netanyahou, ont toujours eu des relations tendues avec la Jordanie, rappelle Rapoport.

« Le gouvernement du Likoud n’est pas bon pour la Jordanie, peu importe qui en est le responsable », déclare-t-il à MEE.

« La Jordanie avait de meilleures relations avec le gouvernement israélien dirigé par des leaders du Parti travailliste tels que Shimon Peres et Yitzhak Rabin, et cette bonne relation remonte à la fin des années 40 avec le roi Abdallah, le grand-père du roi Hussein. Avant 1948, Golda Meir avait été dépêchée par David Ben Gourion pour rencontrer le roi Abdallah et parvenir à un accord sur la façon de diviser la Palestine entre eux. »

Selon l’analyste, les relations israéliennes avec la Jordanie suivent deux écoles de pensée. La première est celle du bloc de droite du Likoud, qui voit la Jordanie comme la « patrie alternative » des Palestiniens, où ils pourraient établir leur État.

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« C’est ce que croit Netanyahou. Pour lui, les tensions avec la Jordanie ne sont pas personnelles, elles font partie d’une approche stratégique plus large », analyse Rapoport. « Il refuse un État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et voit la Jordanie comme la solution. »

L’analyste fait valoir que ce point de vue a conduit Netanyahou à contourner l’Autorité palestinienne (AP) et la Jordanie en signant des accords de normalisation avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc l’année dernière, cherchant à prouver qu’il pouvait faire la paix avec les États arabes sans passer par les Palestiniens ou la Jordanie.

L’autre approche israélienne des relations avec la Jordanie est centrée sur la sécurité, poursuit Rapoport : le royaume est ainsi considéré comme vital pour la sécurité d’Israël et la pierre angulaire de sa place dans la région.

La Jordanie partage une frontière de 335 km avec Israël et la Cisjordanie occupée. Dans les années 1960, les fedayin de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) opéraient principalement dans la vallée du Jourdain, d’où ils lançaient des attaques armées contre les colonies israéliennes, avant que la Jordanie ne contraigne l’OLP à déplacer son quartier général au Liban au début des années 1970 après de violents affrontements avec les forces jordaniennes connus sont le nom de Septembre noir.

Depuis, la Jordanie a sécurisé sa frontière avec Israël et son rôle est apprécié par l’establishment militaire israélien – plus que par les cercles politiques.

« La relation avec la Jordanie est toujours dirigée par l’armée et le renseignement israéliens. Le pays est considéré comme une zone tampon avec l’Irak et l’Iran, c’est la pierre angulaire de la réflexion stratégique de l’establishment sécuritaire israélien », poursuit Rapoport.

« D’un autre côté, Netanyahou est très méfiant à l’égard de ce dernier et le considère comme un État profond qui a poussé à signer des accords de paix avec les Palestiniens et les Jordaniens. Il veut transférer le pouvoir loin de l’armée, vers le bureau du Premier ministre. »

« L’armée et les services de renseignement sont le lobby de la Jordanie à l’intérieur d’Israël. C’est pourquoi les Jordaniens se sentent plus à l’aise à l’idée de traiter avec l’establishment de la sécurité qu’avec Netanyahou »

- Meron Rapoport, analyste israélien

L’année dernière, Israël a ajourné un plan d’annexion des deux tiers de la Cisjordanie, y compris la vallée du Jourdain, une région riche en eau et minéraux.

À l’époque, le roi Abdallah avait refusé les appels de Netanyahou et en juin, il avait déclaré au quotidien allemand Der Spiegel que l’annexion pourrait conduire à un « conflit massif » et à l’annulation ou au gel du traité de paix historique de 1994.

En février dernier, des rapports ont révélé que le roi Abdallah avait rencontré secrètement l’ancien général de l’armée israélienne Benny Gantz, fondateur de l’alliance Bleu Blanc et rival politique de Netanyahou.

« L’armée et les services de renseignement sont le lobby de la Jordanie à l’intérieur d’Israël. C’est pourquoi les Jordaniens se sentent plus à l’aise à l’idée de traiter avec l’establishment de la sécurité qu’avec Netanyahou », conclut Rapoport.

À la suite des dernières élections législatives en Israël, les quatrièmes en deux ans, personne ne sait encore si Netanyahou parviendra à rester Premier ministre alors qu’il fait face à des accusations de corruption devant les tribunaux. Mais s’il parvient à sécuriser son emprise sur le pouvoir, les espoirs de voir la relation entre Amman et son voisin s’améliorer demeureront maigres.

Traduit de l’anglais (original).

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