Aller au contenu principal

Exaspérés, les Sahraouis se disent favorables à une action militaire contre le Maroc

L’absence de résolution rapide à la récente escarmouche au Sahara occidental risque de dégénérer en conflit régional plus large
Document publié par l’armée marocaine montrant des tentes utilisées par le Front Polisario en flammes près de la frontière mauritanienne à Guerguerat (AFP)
Document publié par l’armée marocaine montrant des tentes utilisées par le Front Polisario en flammes près de la frontière mauritanienne à Guerguerat (AFP)

Exaspérés par l’impasse dans laquelle se trouve la question du Sahara occidental depuis des décennies, qui les empêche de revendiquer leur souveraineté sur ce territoire contesté, les Sahraouis saluent l’initiative du mouvement d’indépendance, le Front Polisario, qui a décidé de défier l’armée marocaine.

Les tensions dans la zone tampon du désert nord-africain sont toujours vives une semaine après le lancement d’une opération militaire par le Maroc pour rouvrir une autoroute clé au poste-frontière de Guerguerat entre le Sahara occidental et la Mauritanie, lequel était bloqué, selon le Maroc, depuis des semaines par des partisans du Polisario.

VIDÉO : Le Maroc lance une opération militaire au Sahara occidental
Lire

Le Maroc prétend que son opération visait à permettre aux poids-lourds de passer en Mauritanie tandis que le Polisario, qui réclame l’indépendance du Sahara occidental, affirme qu’il s’agit d’une violation de l’accord de cessez-le-feu de 1991 et déclare un retour à la lutte armée, pour la deuxième fois depuis sa création en 1973.

Le Maroc a annoncé lundi qu’il adhérait au cessez-le-feu et que les combats avaient été intermittents ces derniers jours.

Mais Kamal Fadel, représentant du Polisario en Australie, assure que l’accord militaire entre le mouvement d’indépendance et Rabat stipule que toutes les infractions sont considérées comme une rupture de l’accord lui-même et de l’esprit du plan de paix.

L’accord militaire n°1 établit une zone tampon de 5 kilomètres de large au sud et à l’est du mur militaire marocain, où l’entrée des troupes ou d’équipement par les deux parties, par voie terrestre ou aérienne, et l’utilisation d’armes dans ou contre ces zones sont interdites en tout temps et constituent une infraction », explique Fadel à Middle East Eye.

Dans les années 1980, le Maroc a construit un mur de sable de 2 700 kilomètres le long d’une grande partie de la frontière qui traverse le désert du Sahara occidental pour empêcher l’infiltration de combattants du Polisario.

Depuis vendredi, le Polisario publie des communiqués quotidiens, via son agence Sahara Press Service, dans lesquels ils identifient les cibles marocaines qui auraient été attaquées. 

Dans son communiqué de jeudi dernier, le ministère sahraoui de la Défense nationale a indiqué que l’armée du Polisario, l’armée populaire de libération sahraouie (APLS), combattait depuis six jours consécutifs, frappant leurs rivaux marocains le long du mur militaire et provoquant des « dommages matériels et humains ».

« Mon peuple a besoin de moi »

L’opération militaire du Polisario a été largement saluée par la population sahraouie. Des décennies d’impasse ont épuisé la population, aucun envoyé spécial de l’ONU n’a pu se rendre au Sahara occidental depuis plus d’un an maintenant.

Mardi, lors de sa première apparition après avoir déclaré la lutte armée, le secrétaire général du Polisario Brahim Ghali s’est rendu dans l’école militaire où s’entraînent des centaines de volontaires, qui auraient été mobilisés dans les camps de réfugiés sahraouis en Algérie. 

Le responsable a répété que le peuple sahraoui continuerait à se battre jusqu’à la « victoire » pour les jeunes Sahraouis qui veulent être témoins du changement au cours de leur vie.

« Les Sahraouis en ont assez d’attendre dans le désert un mirage promis par l’ONU qui s’éloigne avec le temps »

- Kamal Fadel, Polisario

Parmi ceux qui ont récemment rejoint le Front Polisario figure Mhamid Mohammed, Sahraoui de 25 ans qui a décidé de quitter l’Espagne et de rejoindre le mouvement pour combattre l’armée marocaine.

« Mon peuple a besoin de moi et je serai là pour lui », assure-t-il à MEE. « Mes parents ont fait suffisamment de sacrifices, c’est mon tour d’accomplir mon devoir pour parvenir un État sahraoui indépendant dans ma patrie, le Sahara occidental. »

Cette dernière escalade survient alors que plusieurs générations ont grandi dans des camps de réfugiés en Algérie sans qu’aucune résolution concernant leur sort en tant qu’indigènes de la région, que le Maroc revendique comme une partie de son territoire souverain.

« Les Sahraouis en ont assez d’attendre dans le désert un mirage promis par l’ONU qui s’éloigne avec le temps », confie Fadel, l’un des jeunes diplomates du Polisario, à MEE.

Au Sahara occidental, le Maroc poursuit sa diplomatie pyromane
Lire

Pendant ce temps, le Maroc essaie d’atténuer l’impact des opérations du Polisario le long du mur et réitère son « inébranlable engagement » envers le cessez-le-feu. Malgré cela, le roi Mohammed VI a menacé de réagir « avec rigueur » à toute menace envers la sécurité nationale du royaume.

Interrogé sur l’insistance du Maroc sur le statu quo au Sahara occidental, Fadel répond que cela entre dans la stratégie de Rabat, qui donne également « l’impression d’un processus politique en cours et qui mise sur le temps pour enraciner l’occupation, utiliser les ressources et créer des faits sur le terrain. »

« Mais les Sahraouis sont bien conscients de cette stratégie et ne vont pas s’y laisser prendre une fois de plus », ajoute Fadel.

Jacob Mundy, assistant professeur à l’université de Colgate et coauteur d’un ouvrage sur le Sahara occidental, précise la récente opération militaire du Maroc dans la zone tampon n’est pas la première.

Plusieurs gains politiques

« Le Maroc a commencé à construire une route goudronnée pour relier Guerguerat à la Mauritanie en 2016, ce qui fut l’une des plus significatives infractions au cessez-le-feu de l’ONU constatée en plusieurs décennies, et le Maroc n’a pas été sanctionné par le Conseil de sécurité pour cela », explique Mundy à MEE.

Au lendemain de l’opération militaire, les médias marocains ont signalé que la situation au poste-frontière de Guerguerat était stable et que le trafic avait repris, bien que d’autres les informations ont semé le doute sur cette version des événements.

Dans un reportage télé, Al Jazeera Arabic notait toutefois l’absence de trafic à la frontière du Sahara occidental avec la Mauritanie. 

« Le Maroc a agi plus ou moins en impunité depuis l’invasion du Sahara occidental tenu par les espagnols en 1975 », relate Jacob Mundy.

Sahara occidental : la guerre pour les ressources naturelles a commencé
Lire

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental disposerait d’importantes réserves de pétrole offshore et ressources minérales.

Le Polisario accuse de façon répétée le Maroc d’exploiter les ressources naturelles de la région tandis que la moitié de sa population attend un référendum dans des camps et en exil. 

Le Front Polisario estime la population du Sahara occidental, entre 350 000 et 500 000 personnes, et demande depuis longtemps le droit à un référendum, comme l’a promis l’ONU. 

Le Maroc, qui soutient que le Sahara occidental annexé en 1975 fait partie intégrante du royaume, lui a proposé l’autonomie mais insiste pour conserver la souveraineté sur ce territoire.

« Ces dernières années, le Maroc a engrangé plusieurs gains politiques non seulement en Afrique mais plus important encore au sein du Conseil de sécurité, notamment en stoppant le processus de paix et ne subissant pas la moindre conséquence pour avoir mis dans l’impasse et empêché le travail des deux précédents envoyés du secrétaire général de l’ONU », selon Jacob Mundy. 

Entre les mains de la France et des États-Unis

Alors que les combats continuent, la communauté internationale n’a apporté aucune véritable réponse pour endiguer la situation avant qu’elle ne s’étende à travers la région, notamment en Algérie, au moins 165 000 Sahraouis vivent dans des camps de réfugiés.

La France, principal soutien de la proposition marocaine d’autonomie et plus important partenaire économique du royaume, s’est contentée de demander un retour aux pourparlers de paix sans exercer de pression particulière.

Rabat et Washington mèneraient des négociations secrètes sur le Sahara occidental 
Lire

Les États-Unis quant à eux n’ont pas encore fait de déclaration officielle pour clarifier leur position sur les derniers événements de l’un des plus anciens conflits d’Afrique dans ce qui est souvent qualifié de « dernière colonie d’Afrique ».  

Les deux superpuissances ont grandement soutenu le Maroc pendant sa guerre contre le Polisario au milieu des années 1970 et dans les années 1980. 

Les relations entre le Maroc et les États-Unis se sont renforcées ces dernières années. Le royaume accueille chaque année l’un des plus importants exercices de formation, appelé « African Lion », organisé par le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM). La veille du jour où le Maroc a lancé son opération militaire au Sahara occidental, les responsables militaires d’AFRICOM ont rencontré les généraux marocains pour préparer « African Lion ».

Stephen Zunes, auteur et professeur de sciences politiques à l’université de San Francisco, dit croire que la solution au conflit au Sahara occidental est entre les mains de la France et des États-Unis.

« La France et les États-Unis doivent arrêter d’empêcher le Conseil de sécurité de l’ONU d’appliquer sa résolution et geler tous les transferts d’armes et autre assistance en matière de sécurité au régime marocain jusqu’à ce que ce dernier respecte ses obligations dans le cadre du droit international », indique Stephen Zunes à MEE.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].