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Les milices et les mercenaires, la véritable armée de Haftar en Libye

L’idée selon laquelle Haftar a construit une armée professionnelle et disciplinée ne saurait être plus éloignée de la vérité
L’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar s’appuie sur des milices et des mercenaires (AFP)

Depuis la révolution de 2011, Khalifa Haftar cherche à jouer un rôle de premier plan dans la nouvelle Libye. Mais de nombreux Libyens étaient sceptiques quant à la possibilité de permettre au général renégat de participer à la reconstruction de la Libye et de son armée, estimant qu’il n’était pas digne de confiance.

En 2014, il n’a pas réussi à organiser un coup d’État militaire contre le premier Parlement élu démocratiquement, puis s’est lancé dans l’opération Karama (Dignité) pour chasser ses opposants de Benghazi.

Pour justifier sa dernière attaque contre Tripoli, il a utilisé la même rhétorique antiterroriste. Pourtant, la perception internationale selon laquelle Haftar a construit une armée professionnelle et disciplinée, l’Armée nationale libyenne (ANL), ne saurait être plus éloignée de la vérité.

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D’abord, cette prétendue ANL n’est pas entièrement libyenne, car elle s’appuie parfois sur des mercenaires étrangers. Elle n’est pas non plus nationale, car nombre de ses dirigeants sont originaires de certaines tribus orientales et du centre. Elle ne peut, par ailleurs, pas être décrite comme armée régulière et professionnelle puisqu’elle comprend « une composante importante d’une milice localisée irrégulière », qui représenterait entre 40 et 60 % du total des forces de l’armée.

Les milices tribales, originaires en particulier de l’est et de la banlieue de Benghazi, sont désignées comme des « forces de soutien » – il s’agit, autrement dit, de civils armés qui représentent un élément clé de la prétendue ANL de Haftar. Ils procèdent à des arrestations et confisquent des biens appartenant aux critiques et aux opposants de Haftar, qu’ils qualifient commodément de « terroristes ».

Haftar s’appuie également sur les milices salafistes makhdalistes. Ironie de la chose : son récit s’est toujours été opposé aux groupes fondamentalistes islamiques d’inspiration religieuse. Il a pourtant intégré ces groupes salafistes, en partie pour leur allégeance envers les régimes saoudien et émirati, ses principaux soutiens.

Si Haftar a intégré ces groupes salafistes, c’est en partie pour leur allégeance envers les régimes saoudien et émirati, ses principaux soutiens

La brigade al-Tawhid, commandée par Izz al-Din al-Tarhuni, est l’un des premiers groupes madkhalistes à avoir rejoint l’armée de Haftar. Une autre unité salafiste importante opérant au sein de l’ANL de Haftar est la brigade Tariq Ibn Ziyad. Cette dernière avait retenu l’attention en février 2017 après avoir publié une vidéo qui montrant l’exécution présumée d’un combattant du groupe État islamique (EI). Parmi les autres milices salafistes makhdalistes affiliées à l’armée de Haftar figurent le groupe armé Subul al-Salam et la brigade al-Wadi.

Avant sa récente guerre contre Tripoli, Haftar qualifiait tous les groupes militaires dans des zones qu’il ne contrôlait pas – notamment dans l’ouest de la Libye – de milices et de criminels qu’il fallait éliminer.

Pourtant, quand il a attaqué Tripoli, il a noué une alliance avec la célèbre milice al-Kaniyat, qui a pris le contrôle total de la ville de Tarhounah (à 80 km au sud-est de Tripoli) avec brutalité et effusion de sang. Le groupe a été associé à de nombreux crimes et massacres.

Soudan, Russie, Tchad

Des mercenaires étrangers de différents pays et de différentes nationalités font également partie des forces de Haftar. Des mercenaires soudanais janjawids de la région du Darfour, dans l’ouest du Soudan, ont été recrutés par centaines. Des groupes militaires du Tchad ont également été recrutés pour combattre avec Haftar, en particulier dans le sud de la Libye.

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Les combattants appartenant au groupe russe Wagner, la société de sécurité privée liée au Kremlin, qui a également participé à l’intervention de la Russie en Syrire représentant l’ajout le plus important à la liste des mercenaires de Haftar. Quelque 200 combattants professionnels de Wagner seraient arrivés en Libye au cours des derniers mois pour soutenir l’assaut de Haftar sur Tripoli.

Selon The Moscow Times, entre 10 et 35 mercenaires russes pourraient être morts au combat récemment en Libye. Des photos de ce qui semble être des combattants russes dans les zones de combat au sud de Tripoli ont été largement diffusées sur les médias sociaux.

La réalité de l’ANL de Haftar est qu’elle est en grande partie composée de milices et de mercenaires. Cela brise le mythe, largement répandu par les partisans de Haftar et les soutiens étrangers, selon lequel il aurait construit et dirigé une armée professionnelle et disciplinée.

Il est ironique que Haftar, dans sa campagne pour atteindre le pouvoir absolu en Libye, utilise l’argument selon lequel ses opposants sont des milices extrémistes qui doivent être éradiquées. Car la majorité de ce qu’il appelle son armée n’est en réalité qu’une agrégation de milices, de mercenaires et de criminels, dont un chef militaire pour lequel la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Guma El-Gamaty is a Libyan academic and politician who heads the Taghyeer Party in Libya and a member of the UN-backed Libyan political dialogue process. Follow him on Twitter: @Guma_el_gamaty
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