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Le projet d’annexion israélien en neuf questions

Alors que Benyamin Netanyahou devait révéler aujourd’hui son plan d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie – une annonce apparemment retardée en raison de divergences au sein de la coalition gouvernementale –, MEE se penche sur ce qu’il faut savoir
Des Palestiniens et des militants israéliens protestent contre le projet d’annexion israélien, près de Jéricho le 27 juin (AFP)

Le gouvernement israélien a laissé entendre que le projet d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie occupée pourrait être révélé à partir de ce mercredi 1er juillet.

La manœuvre a été condamnée tant par les alliés d’Israël que par ses rivaux, qui dénoncent une escalade dangereuse susceptible de déstabiliser le Moyen-Orient.

Middle East Eye répond à quelques questions clés au sujet de ce qu’Israël cherche à faire et de ce qui pourrait se passer par la suite :

Que veut le gouvernement israélien ?

On ne le sait pas vraiment. D’une manière générale, le gouvernement du Premier ministre Benyamin Netanyahou a déclaré que jusqu’à 30 % de la Cisjordanie pourraient être annexés, notamment des blocs de colonies illégales, la vallée stratégique du Jourdain et le nord de la mer Morte.

Il convient toutefois de nuancer l’idée qu’une annexion d’une telle ampleur puisse être annoncée d’un coup.

Des responsables israéliens ont laissé entendre aux médias du pays que l’annexion pourrait être appliquée par étapes dans le but de calmer la Jordanie voisine, dont le roi Abdallah II a averti que cette manœuvre pourrait entraîner « un conflit massif » et aurait refusé les appels de Netanyahou.

Quels sont les scénarios possibles ?

Plusieurs plans possibles, tous désastreux pour les Palestiniens, ont été évoqués.

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Le premier consisterait à annexer toute la zone C de la Cisjordanie, la partie entièrement contrôlée par Israël en vertu des accords d’Oslo. Cela comprendrait toutes les colonies illégales, qui abritent quelque 400 000 colons israéliens, ainsi que la vallée du Jourdain.

Un deuxième plan viserait uniquement la vallée du Jourdain revendiquée par Israël. Riche en ressources et hautement stratégique, celle-ci abrite actuellement 56 000 Palestiniens et 11 000 colons israéliens.

Dans le troisième scénario, Israël annexerait les blocs de colonies majeurs que sont Maale Adumim, Ariel et Goush Etzion, pour une population totale d’environ 85 000 Israéliens. Tandis que Maale Adumim s’étend entre Jérusalem-Est occupée et la Cisjordanie, Goush Etzion se trouve à proximité de la ville sainte palestinienne de Bethléem et Ariel se situe au milieu du territoire, surplombant Naplouse.

L’annexion de ces zones couperait de nombreuses parties de la Cisjordanie de Jérusalem et de Bethléem et créerait des enclaves israéliennes au cœur d’un éventuel État palestinien.

La troisième option est la plus probable à l’heure actuelle.

carte cisjordanie

Quand l’annexion pourrait-elle se produire ?

Selon l’accord de coalition signé par Netanyahou et son rival Benny Gantz, devenu ministre de la Défense, un texte de loi relatif à une annexion pourrait être proposé dès ce mercredi.

Ce ne serait toutefois que le début d’un processus législatif, étant donné que le projet passerait par diverses commissions et ferait l’objet de diverses lectures avant d’être présenté au Parlement israélien, la Knesset.

Des modifications importantes pourraient être apportées à l’ébauche du plan au cours de ce processus, qui pourrait s’étendre sur plusieurs semaines, même s’il est probable que toute proposition soit acceptée par un nombre suffisant de partis au sein du gouvernement pour cheminer à travers le Parlement sans trop de difficultés.

L’annexion est-elle légale ?

Absolument pas. L’annexion unilatérale d’un territoire occupé est illégale en vertu du droit international. Le gouvernement israélien préfère parler d’« application de la souveraineté », bien que cela ne fasse guère de différence sur le plan juridique. La question de la légalité n’a cependant pas empêché Israël de se livrer à des annexions par le passé.

Depuis la guerre des Six Jours de 1967, Israël a annexé Jérusalem-Est occupée et le plateau du Golan syrien, ce qui n’a jamais été reconnu par la communauté internationale.

Dans l’absolu, une annexion israélienne ne changerait pas le statut du territoire, qui resterait militairement occupé.

Qu’arriverait-il aux Palestiniens ?

Contrairement aux habitants de Jérusalem-Est et du plateau du Golan, les Palestiniens de Cisjordanie ne se verront pas proposer la citoyenneté israélienne ou la résidence permanente.

À la place, comme l’a déclaré Netanyahou au journal pro-gouvernemental Israel Hayom, les Palestiniens vivront dans des communautés isolées dirigées par l’Autorité palestinienne (AP) et cernées par un territoire considéré comme israélien.

Si la vallée du Jourdain devait être annexée, a-t-il indiqué, la ville de Jéricho resterait sous le contrôle symbolique de l’AP, tandis que les autres villes et villages palestiniens seraient sous contrôle israélien sur le plan sécuritaire.

Le gouvernement israélien est-il unanime ?

Non. Bien que Gantz ait exprimé son soutien à l’annexion, il a émis des réserves.

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Mardi, le ministre de la Défense a déclaré que l’annexion serait retardée tant que la pandémie de coronavirus ne serait pas surmontée. Après tout, le gouvernement de coalition israélien a été ostensiblement formé pour servir d’administration d’urgence face au COVID-19.

Netanyahou a rétorqué que ce n’était pas à Gantz de décider si un projet de loi devait être présenté ou non, ce qui est correct. Cependant, ses chances de décoller sont minimes sans le soutien des députés de Gantz.

Le ministre de la Défense a déclaré que toute annexion devait se faire avec la coordination des alliés et partenaires internationaux d’Israël, au premier rang desquels figurent les États-Unis.

Quelle est la position des États-Unis ?

Washington cache son jeu. L’annexion était un élément clé du projet d’« accord du siècle » avancé par Donald Trump pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Toutefois, elle ne devait être réalisée qu’en parallèle avec les mesures visant à créer un État croupion palestinien « indépendant ».

De l’extérieur, il semble y avoir des opinions contradictoires au sein de l’administration Trump. L’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, soutient résolument la colonisation et milite ardemment afin d’obtenir le feu vert pour une annexion unilatérale à grande échelle. Cela annihilerait toutefois l’accord tant décrié mais également tant médiatisé de Trump, qui n’a été révélé qu’en janvier.

Les responsables américains devaient faire une déclaration exposant leur position après des consultations la semaine dernière, mais hésitent jusqu’à présent à le faire.

L’opinion publique israélienne est-elle favorable à ce plan ?

L’annexion était un engagement clé du manifeste de Netanyahou lors de la dernière campagne électorale en mars. Cela lui a permis de remporter le plus grand nombre de sièges à la Knesset, mais le Premier ministre n’a pas obtenu la majorité, ce qui a ouvert la porte à son accord avec Gantz.

Pourtant, même parmi les Israéliens qui soutiennent l’annexion, il existe des différences significatives. L’idée d’un État palestinien est anathème pour les dirigeants des colons israéliens et autres ultra-nationalistes, qui considèrent que toutes les terres entre la Méditerranée et le Jourdain font partie d’« Eretz Yisrael », le Grand Israël.

Cela signifie qu’une annexion progressive ou réduite mise en œuvre parallèlement au plan de Trump serait rejetée par certains segments de la base électorale de Netanyahou.

Les sondages d’opinion sur la question ont été quelque peu contradictoires. L’un d’eux, publié le 7 juin, indiquait que 41,7 % de la population s’opposait à l’annexion, contre 32,2 % de partisans. Pourtant, un sondage antérieur laissait entendre que la moitié des Israéliens soutenaient le plan, même s’ils étaient divisés quant à savoir s’il fallait l’appliquer sans le soutien des États-Unis.

Quelle a été la réaction des Palestiniens ?

Les dirigeants palestiniens et l’opinion publique palestinienne ont catégoriquement et vivement rejeté l’annexion.

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En mai, l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas a annoncé la rupture de tous les accords et arrangements conclus avec Israël et les États-Unis. Bien que la coordination en matière de sécurité ait été largement maintenue, d’autres liens bureaucratiques ont été coupés, avec des conséquences mortelles. Les transferts médicaux entre la bande de Gaza sous blocus et Israël ont ainsi été paralysés et deux nourrissons gravement malades ont perdu la vue en juin faute d’avoir obtenu le traitement dont ils avaient besoin.

L’AP a également laissé entendre qu’elle déchirerait les accords d’Oslo et déclarerait son indépendance en cas d’annexion.

À Gaza, les responsables du Hamas ont présenté l’annexion comme une preuve de l’échec du processus d’Oslo poursuivi par leur rival, le Fatah de Mahmoud Abbas. Les chefs des services de sécurité et militaires israéliens craignent que l’annexion ne déclenche une nouvelle guerre avec les factions armées à Gaza, même si selon des analystes interrogés par Middle East Eye, le Hamas attendra probablement de voir comment l’AP réagira avant de prendre des mesures.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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