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Présidence Biden : les positions des membres de son gouvernement sur le Moyen-Orient

De la politique en matière de drones à la défense d’Israël, en passant par l’Iran et les droits de l’homme en Arabe saoudite, Middle East Eye passe en revue les choix de gouvernement du président élu susceptibles d’impacter la région
Le président élu Joe Biden a annoncé ses candidats pour diriger la politique étrangère et les agences de sécurité nationale au sein de son administration (AFP)
Par Umar A Farooq à WASHINGTON D.C., États-Unis d’Amérique

Ce lundi, le président élu Joe Biden a dévoilé certains de ses choix pour mener la politique étrangère et de sécurité nationale des États-Unis ; beaucoup ont officié à la Maison-Blanche pendant plusieurs années sous l’ancien président Barack Obama.

Parmi les annonces, figurent la confirmation d’Antony Blinken, proche conseiller de Biden en matière de politique étrangère, en tant que prochain secrétaire d’État, Linda Thomas-Greenfield en tant qu’ambassadrice américaine à l’ONU et Jack Sullivan en tant que conseiller à la sécurité nationale.

Ces nominations surviennent alors que le président Donald Trump refuse toujours d’admettre sa défaite malgré une franche victoire prévisionnelle de Biden.

Trump n’a pas encore autorisé une quarantaine d’agences à coopérer avec l’équipe de Biden. Pour les commentateurs, cela va nuire à la sécurité nationale américaine. Biden affirme quant à lui que ce délai entravera les chances de l’Amérique de se racheter sur la scène internationale. 

Dans un communiqué, Biden a déclaré qu’il n’y avait « pas de temps à perdre en matière de sécurité nationale et de politique étrangère ».

« Il faut que mon équipe soit prête dès le tout premier jour pour m’aider à redonner à l’Amérique la place qui lui revient, à mobiliser le monde pour faire face au plus grand défi auquel nous sommes confrontés, et faire avancer notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs », a insisté Joe Biden. « Ces individus sont aussi expérimentés et aguerris qu’ils sont novateurs et créatifs. »

Middle East Eye passe en revue certains des choix de Biden en matière de politique étrangère et de défense ainsi que leur passif vis-à-vis du Moyen-Orient.

Secrétaire d’État : Antony Blinken

Antony Blinken, proche conseiller de Biden tout au long de sa campagne présidentielle, a officié en tant que secrétaire d’État adjoint et vice-conseiller à la sécurité nationale sous l’administration Obama-Biden. Il conseille Biden en matière de politique étrangère depuis 2002.

Blinken a contribué à façonner la réponse de l’Amérique après les soulèvements du Printemps arabe en 2011, ce qui, selon le New York Times, a donné « des résultats mitigés en Égypte, en Irak, en Syrie et en Libye ».

Blinken partage le soutien de Biden à Israël et a déclaré au groupe pro-israélien Democratic Majority for Israel que toute décision prise par le président-élu concernant Israël ne serait pas liée à l’aide militaire américaine, laquelle est « inconditionnelle » selon lui.

Israël perçoit 3,8 milliards de dollars d’aide militaire américaine chaque année, fruit d’un protocole d’accord signé par Obama lors de sa dernière année dans le Bureau ovale.

Par ailleurs, Blinken a réitéré la position pro-Israël de la campagne démocrate, dénonçant le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), un mouvement d’origine palestinienne qui cherche à faire pression sur Israël à travers des moyens non-violents pour mettre fin à ses abus contre les Palestiniens.

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 « Vous avez probablement entendu le vice-président l’affirmer. Il s’oppose à tout effort visant à délégitimer ou à pointer du doigt injustement Israël, que ce soit à l’ONU ou à travers le mouvement BDS. »

Dans le même temps, le futur chef de la diplomatie américaine a plaidé pour un retour à l’accord sur le nucléaire iranien, dont Trump s’est retiré en 2018.

« [Biden] voudrait étayer l’accord sur le nucléaire pour le rendre plus durable et plus solide, si l’Iran accepte de s’y conformer strictement à nouveau », déclarait Blinken lors d’une conférence organisée par The Aspen Institute, un think tank américain, en août.

En 2018, Blinken était signataire d’une lettre de responsables de l’ère Obama réclamant la fin du soutien américain à la guerre menée par les Saoudiens au Yémen.

Sous Obama, les armes fournies par les États-Unis à la coalition anti-Houthis au Yémen ont aidé à identifier des cibles de bombardement et ravitaillé en vol les avions de guerre saoudiens et émiratis.

Cette lettre considérait que la décision d’apporter un soutien à la coalition menée par les Saoudiens en 2015 était une erreur et était désormais utilisée par Trump pour donner à Riyad carte blanche afin de mener la guerre dans le pays.

« Cependant, plutôt que de tirer des leçons de cet échec, l’administration a doublé la mise en soutenant la poursuite de la guerre par les dirigeants saoudiens, tout en levant les restrictions que nous avions mises en place », poursuivait cette lettre.

« Il est plus que temps de mettre fin au rôle de l’Amérique dans cette guerre désastreuse au Yémen. »

Secrétaire à la Défense : Michele Flournoy

Michele Flournoy était la principale prétendante à la direction du Pentagone sous Biden depuis un certain temps déjà. Elle a précédemment occupé le poste de sous-secrétaire à la politique de Défense sous l’administration Obama.

Elle était considérée comme le choix de Hillary Clinton en tant que secrétaire à la Défense en 2016 et avait précédemment écrit que les États-Unis devaient construire une politique étrangère en adéquation avec les défis mondiaux, y compris les changements climatiques.

Flournoy a des liens profonds avec la communauté de la défense et a cofondé le think tank Center for a New American Security (CNAS), qui reçoit des donations importantes de la plupart des entreprises américaines du secteur de la défense.

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En ce qui concerne le Moyen-Orient, ses opinions politiques semblent être influencées par ceux qui ont des liens avec les fabricants d’armes : elle avait notamment plaidé pour l’envoi de technologies de lutte contre les drones en Arabie saoudite.

Middle East Eye a révélé l’année dernière que les frappes de drone qui ont paralysé le secteur pétrolier du royaume, le contraignant à réduire de moitié sa production de brut, étaient le fait de drones iraniens lancés depuis le sud de l’Irak.

« L’appel de Flournoy à accroître les investissements américains dans les systèmes militaires autonomes ne présage rien de bon pour le Moyen-Orient, où de nombreux pays sont terrorisés par les drones américains qui vrombissent au-dessus de leurs têtes et où les mariages peuvent se finir en tragédie », affirmait à MEE la semaine dernière Marcy Winograd, activiste pacifiste et déléguée au Comité national démocrate 2020.

« Son désir affiché d’instiller plus de confiance dans le régime saoudien pour faire obéir le Moyen-Orient fait peur, en particulier après le meurtre du journaliste du Washington Post [Jamal Khashoggi] qui critiquait les dirigeants saoudiens. »

Plus tôt cette année, dans une discussion avec le Hudson Institute, Flournoy estimait que Washington ne devait pas lever les sanctions contre l’Iran, bien que ces sanctions soient un des principaux obstacles au retour de l’Iran à l’accord sur le nucléaire, que Biden appelle fermement de ses vœux.

Directrice du renseignement national : Avril Haines

Avril Haines est l’ancienne directrice adjointe de la CIA qui a aidé à élaborer les politiques d’Obama sur l’usage de drones de combat ainsi que l’approche ferme de son administration vis-à-vis de la Corée du Nord, à laquelle Biden a promis de revenir.

Si elle plaide pour la libération des détenus de Guantánamo et a milité en faveur de la limitation de l’usage de drones par Washington, elle a été – avec l’ancien directeur de la CIA John Brennan – responsable de l’élaboration de la politique controversée d’Obama en matière de drones, laquelle a conduit à la mort de centaines de civils.

Haines a également contribué à censurer le Rapport de la commission du renseignement du Sénat sur les actes de torture pratiqués par la CIA et a protégé des employés de la CIA qui avaient espionné les enquêteurs chargés du dossier de la torture au Sénat.

Haynes a soutenu la nomination au poste de directrice de la CIA de Gina Haspel, qui avait été directement impliquée dans le tristement célèbre programme de torture.

Si sa nomination est confirmée, cette ancienne responsable de l’ère Obama serait la femme la plus haut placée au sein de la communauté des renseignements américains, surpassant Haspel, qui a dirigé la CIA sous Trump.

Conseiller à la sécurité nationale : Jake Sullivan

Jake Sullivan a été le conseiller à la sécurité nationale de Biden lorsque ce dernier était vice-président et a aidé à établir des canaux informels de discussion avec l’Iran via Oman, lesquels ont conduit à l’accord sur le nucléaire iranien.

Sur l’Iran, Sullivan plaide pour un retour à l’accord sur le nucléaire ainsi que la levée des sanctions, sous réserve que Téhéran respecte les conditions de l’accord.

« Ils ont lancé ces exigences que [le secrétaire d’État sous Trump] Mike Pompeo a exposées dans le discours à The Heritage Foundation il y a quelques années, lesquelles sont tout simplement irréalistes et déraisonnables », a-t-il déclaré à propos de la campagne de « pression maximale » de l’administration Trump contre l’Iran, lors d’un événement organisé en juin par le Center for Strategic and International Studies (CSIS).

Pendant cette conférence au CSIS, Sullivan a également évoqué l’Arabie saoudite et comment une administration Biden « condamnerait plus fermement » le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et demanderait une plus grande transparence sur ce qui s’est passé. 

L’approche de Trump a mené dans la « mauvaise direction avec l’emprisonnement de dissidents, le frein à la liberté d’expression, les sanctions contre les femmes et l’assassinat d’un résident américain et célèbre journaliste de manière grotesque et d’une certaine façon presque ostentatoire », faisait remarquer Sullivan.

Ambassadrice à l’ONU : Linda Thomas-Greenfield

Linda Thomas-Greenfield a été choisie pour représenter les États-Unis à l’ONU en raison de ses expériences passées dans la diplomatie sous l’administration Obama, où elle était à la tête de la diplomatie américaine sur les affaires africaines.

Elle a occupé le poste d’ambassadrice américaine au Liberia et a été également en poste au Pakistan et au Kenya. 

Thomas-Greenfield n’a aucune expérience avec le principal allié américain, Israël ; cependant, elle va certainement suivre la politique élaborée par d’autres au sein de l’administration Biden, Blinken notamment.

Cette diplomate de carrière veut revitaliser le département d’État et privilégier l’approche diplomatique plutôt que l’approche militaire qu’on a pu constater au début des années 2000.

« La diplomatie américaine doit accepter le rôle moindre, mais toujours pivot, du pays dans les affaires mondiales », assurait Greenfield dans un article coécrit avec le diplomate américain Nicholas Burns.

« Elle doit refléter la priorité qui consiste à accélérer le renouveau national et à renforcer la classe moyenne américaine, à une époque qui se concentre de manière accrue sur l’injustice raciale et les inégalités économiques ».

Greenfield est également une vive critique de Trump et de ses politiques, notamment le « Muslim ban » qui, dans une version récente, a ajouté à la liste des pays dont les ressortissants sont interdits d’accès aux États-Unis un certain nombre d’États africains à majorité musulmane, notamment le Nigeria et le Soudan.

Directeur de la CIA ?

Biden n’a pas encore annoncé son choix pour diriger la CIA, mais plusieurs personnes seraient susceptibles d’endosser le rôle, telles que Thomas Donilon, Susan Gordon et Michael Morell.

Thomas Donilon a été le conseiller à la sécurité nationale d’Obama entre 2010 et 2013 et a également travaillé sous les ordres de trois présidents à partir de 1977, lorsqu’il a travaillé pour l’ancien président Jimmy Carter.

Pendant son mandat sous Obama, cet ancien conseiller a œuvré à ouvrir l’horizon de l’administration et à l’éloigner de l’Irak, l’Afghanistan et la guerre mondiale contre le terrorisme en vue du défi plus large posé par la Chine.

Susan Gordon a passé 40 ans dans les renseignements américains et a été la numéro 2 de la communauté des renseignements.

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Après avoir été en fonction sous Trump pendant trois ans, elle a démissionné en 2019 en raison de divergences concernant la Corée du Nord, l’Iran et la Russie.

Dans une tribune publiée par le Washington Post en septembre dernier, Gordon a assuré que contrairement à la croyance de l’administration Trump selon laquelle l’Iran voudrait à tout prix la destruction de l’Amérique et l’instabilité du Moyen-Orient, les préoccupations de Téhéran étaient plus locales.

« Les intérêts de l’Iran sont plus étroits et plus concentrés sur les priorités locales de Téhéran : réduire la pression économique sur le pays, empêcher notre capacité de bâtir des coalitions contre lui et réduire notre présence et notre influence au Moyen-Orient pour avoir plus de liberté d’action », écrivait-elle.

Michael Morell, qui est entré à la CIA en même temps que Gordon, est également un potentiel candidat à la direction de l’agence de renseignements.

Directeur adjoint de la CIA de 2010 à 2013, il a joué un rôle déterminant dans l’opération américaine visant à traquer le dirigeant d’al-Qaïda Oussama ben Laden.

Morell est un fervent détracteur du président syrien Bachar al-Assad, l’accusant lui et l’Iran du lourd bilan civil de la guerre meurtrière dans le pays.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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