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La solution en Libye passe par le Maghreb

Alors que l’embargo sur les armes n’est pas respecté et que la Libye est devenue un terrain de jeu pour diverses puissances, le pays n’est pas au bout de ses peines. Pourtant, la solution, intralibyenne, existe – et c’est aux voisins de jouer leur rôle
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, préside la rencontre avec les parties libyennes le 6 septembre 2020 à Bouznika (AFP)
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, préside la rencontre avec les parties libyennes le 6 septembre 2020 à Bouznika (AFP)

Au moment où le dialogue interlibyen battait son plein dans la ville balnéaire de Bouznika, au Maroc, les autorités du Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) découvraient un nouveau charnier à Tarhouna.

Cette ville a longtemps servi de bastion aux forces de l’Armée nationale libyenne (ANL), laquelle n’a de « nationale » que le nom vu le nombre important de mercenaires étrangers dans ses rangs.

Et pendant que deux délégations représentant le Parlement de Tobrouk et le Haut Conseil d’État du GNA négociaient à Bouznika, l’ANL du maréchal Khalifa Haftar, autoproclamé seul dirigeant de la Libye, s’acharnait à bombarder à coups de roquettes Grad les positions du GNA à l’ouest de Syrte.

Samedi 12 septembre, dix roquettes sont tombées sur les positions contrôlées par les soldats du GNA. Durant le même laps de temps, le dispositif Irini, mis en place par l’Union européenne (UE) pour faire respecter l’embargo sur les ventes d’armes aux protagonistes, a intercepté un navire en provenance des Émirats arabes unis chargé de combustible destiné aux avions.

Le jour même du début du dialogue interlibyen, Stephanie Williams, cheffe de la Mission des Nations unies en Libye (MANUL), estimait « déplorable » l’appui militaire de puissances étrangères apporté aux deux camps.

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Selon l’ONU, au cours des deux derniers mois, 70 avions ont desservi le camp de l’Est et 30 appareils ont ravitaillé celui de l’Ouest, ce qui constitue selon Stephanie Williams à la fois « une violation flagrante de l’embargo des Nations unies sur les armes » et « une attaque alarmante contre la souveraineté de la Libye ».

Quelques jours avant le début du dialogue interlibyen au Maroc, certains médias français et émiratis ont entamé une campagne de désinformation pour prédire l’échec annoncé de ces pourparlers.

C’était vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Les résultats de ces discussions ont été très positifs. Le prolongement du temps imparti pour ces négociations de deux jours a permis aux deux parties d’arrondir les angles et de trouver « d’importants compromis ».

Au terme de cinq jours de négociations, les Libyens se sont finalement mis d’accord sur la répartition des postes de souveraineté et sur des critères et mécanismes transparents et objectifs de sélection des candidats.

Les participants se sont donné rendez-vous la dernière semaine de septembre pour adopter les « mesures nécessaires qui garantissent l’application et l’activation de cet accord », souligne le communiqué final conjoint lu par Driss Omran, de la Chambre des représentants libyenne. Les deux délégations ont appelé l’ONU et la communauté internationale à appuyer le Maroc dans ses efforts en faveur d’une solution politique globale en Libye.

Les résultats de ces discussions ont été très positifs. Le prolongement du temps imparti pour ces négociations de deux jours a permis aux deux parties d’arrondir les angles et de trouver « d’importants compromis »

Les participants ont remercié le Maroc et le roi Mohammed VI pour le soutien, l’assistance apportée et le climat fraternel qui a prévalu lors des pourparlers.

Les participants se sont déclarés conscients de la « situation extrêmement dangereuse menaçant la sécurité, l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’État, née des interventions étrangères négatives qui ravivent les guerres et les alignements régionaux et idéologiques ».

Dans leur communiqué conjoint, les deux parties ont affirmé que ce dialogue venait en application de l’article 15 des accords de Skhirat (signés au Maroc en 2015 et fixant le cadre de formation du GNA), en confirmation des conclusions de la conférence de Berlin (janvier 2020) et sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité.

Une fois finalisé, l’accord global pour résoudre la crise en Libye devra être approuvé par le président du Haut Conseil d’État, Khaled al-Mechri, et le président du Parlement de Tobrouk, Aguila Saleh.

Un autre conclave en Suisse

Parallèlement au dialogue interlibyen à Bouznika, la ville de Montreux en Suisse a accueilli une réunion consultative entre des représentants de partis politiques et des membres de la société civile libyenne, en présence de la MANUL.

Au bout de trois jours de travaux, les participants ont adopté une déclaration finale comportant sept recommandations à soumettre au Comité de dialogue politique.

Les participants aux pourparlers de Montreux ont appelé à considérer la « phase préparatoire à une solution globale » comme une période propice pour assurer les conditions appropriées pour l’organisation d’un scrutin législatif et présidentiel.

Ce délai ne doit pas dépasser dix-huit mois et doit être précédé de l’adoption par référendum d’une base constitutionnelle.

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Au niveau de l’exécutif, la réunion de Montreux a préconisé « la restructuration du pouvoir exécutif pour former un Conseil présidentiel composé d’un président et de deux vice-présidents, d’un gouvernement d’unité nationale indépendant du Conseil et le choix des membres du Conseil présidentiel et du chef du gouvernement dans le cadre des travaux du Comité de dialogue politique libyen ».

La formation du gouvernement devra tenir compte de « l’unité de la Libye et de sa diversité géographique, politique et sociale ». La déclaration finale a appelé à « l’évaluation et [au] suivi périodique par le Comité du dialogue politique libyen des travaux de l’autorité exécutive et de la manière dont elle s’acquitte de ses tâches ». Autrement dit, à contrôler le travail du gouvernement durant la phase transitoire.

Dans ce sillage, ils ont appelé à un « retour rapide au Comité du dialogue politique ». Enfin, la réunion a demandé à la communauté internationale d’assumer sa pleine responsabilité, de respecter les résolutions de l’ONU et d’appuyer le « processus politique libyen en paroles et en actes ».

Le retour du Maroc sur le dossier libyen

La prochaine réunion du Comité de dialogue politique, sous l’égide de la MANUL, devrait étudier ces recommandations. Abstraction faite du parasitage orchestré par certains pays et de la multiplicité des initiatives pour résoudre le conflit en Libye, le Maroc, qui marque un grand retour sur le dossier libyen, est un peu jalousé.

Le président tunisien Kais Saied a rappelé le 3 septembre devant Stephanie Williams l’importance de la coordination algéro-tunisienne pour réaliser la stabilité en Libye.

Si l’Algérie a exprimé sa « satisfaction » devant l’accord de cessez-le-feu, elle est restée étrangement silencieuse sur le dialogue interlibyen.

À vrai dire, la solution de la Libye passe par le Maghreb, dans toutes ses composantes, plus que par l’ONU ou les capitales européennes ou arabes. Une coopération entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne peut qu’être bénéfique pour tous

À vrai dire, la solution de la Libye passe par le Maghreb, dans toutes ses composantes, plus que par l’ONU ou les capitales européennes ou arabes, car les pays maghrébins sont les plus exposés.

Une coopération entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ne peut qu’être bénéfique pour tous, comme ce fut le cas pour la lutte antiterroriste.

Au final, et après avoir été injustement écarté du dossier libyen, le Maroc, via un travail titanesque de son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, véritable cheville ouvrière du dialogue de Bouznika, est revenu en force sur ce dossier.

La proclamation par Khalifa Haftar de Syrte et d’al-Jafra comme lignes rouges équivaut à un tracé informel des frontières qui donne au maréchal le contrôle des champs pétroliers. Le renforcement en armes et en équipements de l’ANL va également dans ce sens après les défaites à l’ouest.

La revanche d’Emmanuel Macron

Parallèlement, la France et la Russie vont entamer des concertations à Moscou au moment où la diplomatie russe annonce que le projet de création d’une zone démilitarisée à Syrte et à al-Jafra est à l’étude et que sa création dépend des Libyens, comme si la Russie voulait entériner une division de la Libye en deux États.

Cependant, les Libyens sont en majorité pour l’unité et le maintien de la souveraineté de la Libye sur son territoire.

Par ailleurs, la Turquie, principal appui du gouvernement de Tripoli, est aujourd’hui confrontée à un bloc créé par la France et la Grèce pour la rabrouer et limiter ses tendances « expansionnistes » – selon la terminologie occidentale – surtout qu’elle commence à empiéter sur les chasses gardées de Paris en Afrique.

La France, irritée, a, par la voix de son président Emmanuel Macron, appelé l’UE à faire front commun face à Ankara. Jugeant que la Turquie n’est plus un partenaire dans la région, Paris a poussé lors du dernier sommet européen vers un communiqué commun favorable à ses propres intérêts.

L’UE s’est déclarée prête à préparer une liste de sanctions contre la Turquie si Ankara ne cesse pas de prendre des décisions unilatérales. Cependant, l’UE conditionne l’ouverture d’un dialogue avec la Turquie au respect de l’embargo sur les armes, que la France ne respecte pas, puisque des armes françaises ont été trouvées dans des positions désertées par Haftar.

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En d’autres termes, l’UE, et à travers elle la France, veut favoriser l’armée de Haftar puisque ni les Émirats arabes unis, ni l’Égypte, ni la Russie ne cesseront de l’appuyer. Dès lors, la France s’inscrit dans la logique des axes qui s’opposent en Libye.

Sur le terrain, avant et pendant le dialogue interlibyen de Bouznika, l’armée de Khalifa Haftar a violé le cessez-le-feu à plusieurs reprises. Le GNA a décidé de saisir sur cette question le Conseil de sécurité qui, en raison de la présence de la France et son droit de veto, ne fera pas grand-chose.

Du coup, la Libye n’est pas encore sortie de l’auberge des quatre vents car les « interventionnistes » vont essayer de mettre la Turquie, principal appui du GNA, sur la défensive, et en même temps renforcer les capacités guerrières de Haftar.

La Grèce est une aubaine pour la France qui n’a pas raté l’occasion offerte par Erdoğan pour se venger d’avoir ruiné ses intérêts en Libye hier et au Mali demain.

Le fait que la Turquie commence à jouer des coudes ne plaît pas à Paris, à Israël, aux monarchies du Golfe et à l’Égypte.

Le risque d’escalade

La logique des axes qui a commencé à prévaloir il y a quelques années présente de nombreuses commodités en matière de coûts, d’influence et de marges de négociation.

La confrontation de deux coalitions en Libye qui ne disent pas leur nom risque de se reproduire sous d’autres cieux pour des intérêts stratégiques ou économiques. Les avancées réalisées lors du dialogue interlibyen ne vont pas plaire à Haftar, « trahi » par Aguila Saleh, aux Émirats arabes unis et à la France.

Cela dit, la réaction de Haftar vis-à-vis du Parlement de Tobrouk risque d’être violente, surtout au regard des avancées réalisées dans la voie d’une solution politique dont les Émirats arabes unis, derrière lesquels se cache une Arabie saoudite soucieuse de garder le leadership du marché pétrolier et des pays arabes, combattent la portée géostratégique et pacifique.

Tout porte à croire, donc, que l’escalade interviendra sous peu, surtout après le matériel reçu par Haftar en provenance d’Abou Dabi. Le but étant de garder un statu quo qui ira dans le sens d’une division de la Libye, exprimée en filigrane par Moscou, qui parle d’une zone démilitarisée à Syrte et al-Jafra.

L’augmentation du degré d’animosité entre les deux alliances, l’une dirigée par Ankara et l’autre par Paris et Moscou, risque de transformer la Libye en poudrière, surtout après l’afflux des armes ces deux derniers mois

Le mini-sommet du Med7 tenu le 10 septembre en Corse, réunissant certains pays riverains de la Méditerranée et membres de l’Union européenne, a été fustigé par Ankara, qui a estimé qu’il « ne revient pas à Macron de faire la délimitation des zones […] Macron, dont nous avons déjoué tous les plans vicieux, s’attaque à la Turquie », a dénoncé le ministre turc des Affaires étrangères. Ankara a déjà commencé à lui rendre la pareille au Mali, ce qui annonce une exacerbation du jeu d’influence entre ces deux pays.

L’augmentation du degré d’animosité entre les deux alliances, l’une dirigée par Ankara et l’autre par Paris et Moscou, risque de transformer la Libye en poudrière, surtout après l’afflux des armes ces deux derniers mois.

Certains pays militeront pour renouveler les hostilités et empêcher toute solution politique intralibyenne, quitte à scinder ce pays en deux États.

Aujourd’hui, le GNA et le Parlement libyen essaient d’évacuer Khalifa Haftar de l’équation libyenne et ce dernier fera son possible pour leur mener la vie dure, à moins que la justice internationale ne le rattrape pour les crimes de guerre commis par son armée.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abdellah El Hattach est directeur de Global Impact, structure spécialisée en International Affairs et Intelligence, orientée géopolitique et décryptage de l’information sensible et complexe. Ancien journaliste pour des supports francophones et arabophones marocains, il a son actif des centaines d’articles et d’analyses sur les questions géopolitiques, géostratégiques, de défense et de sécurité relevant des régions MENA, bassin méditerranéen et monde arabo-musulman. Il conseille plusieurs entreprises de premier plan au Maroc. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @aelhattach et @GlobalImpactIn2
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