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Crise libyenne : pourquoi les perspectives de paix en 2021 sont moins sombres qu’auparavant

La solution politique finale qui apportera la paix et la stabilité dépend dans une large mesure de l’issue du processus politique actuellement mené par l’ONU
Un homme brandit un drapeau national libyen au cours de célébrations dans la capitale Tripoli, après que le Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU a déclaré avoir repris le contrôle total de la capitale le 4 juin (AFP)
Un homme brandit un drapeau national libyen au cours de célébrations dans la capitale Tripoli, après que le Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU a déclaré avoir repris le contrôle total de la capitale le 4 juin (AFP)

La Libye a commencé l’année 2020 dans un contexte de guerre totale, suite à l’offensive militaire désormais déjouée lancée le 4 avril 2019 par Khalifa Haftar, commandant de l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée, venu de l’est du pays.

Après plusieurs années d’un conflit en Libye qui a atteint son apogée avec l’assaut des milices de Haftar sur Tripoli, quelles sont les perspectives de paix en Libye et verra-t-on enfin une solution politique durable en 2021 ?

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L’instauration d’une paix durable en Libye est directement liée à l’ingérence étrangère dans le conflit.

Des pays tels que les Émirats arabes unis, la France, l’Égypte et la Russie n’ont cessé d’alimenter la guerre en soutenant sans relâche la tentative de coup d’État de Haftar, ce qui signifie qu’une solution politique sera difficile à obtenir à moins que la communauté internationale ne fasse preuve d’une volonté réelle et ne s’aligne pour mettre fin à cette intervention illégale.

La dynamique du conflit a radicalement changé en 2020, après la signature en novembre 2019 d’un mémorandum d’accord maritime et militaire entre la Turquie et le Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU, qui a permis à l’armée turque d’apporter un soutien vital aux forces en lutte contre les milices de Haftar et les mercenaires soutenus par l’étranger. 

Équilibre des pouvoirs modifié

Le soutien militaire de la Turquie a considérablement modifié l’équilibre des pouvoirs en faveur du GNA soutenu par l’ONU : les forces du GNA ont pu récupérer des territoires clés dans l’ouest de la Libye, dont la base aérienne stratégique d’al-Watiya ainsi que la ville de Tarhounah, alors que les milices de Haftar et les mercenaires financés par les Émirats arabes unis se sont retirés à quelque 500 km à l’est de la ligne Syrte-al-Jufra.

Suite à la reprise de Tarhounah par les forces du GNA, d’horribles crimes de guerre ainsi que des charniers laissés par les combattants de Haftar ont été découverts ; selon des organisations de défense des droits de l’homme, les Kaniyat, des milices tristement célèbres qui opèrent sous le commandement de Haftar, sont responsables de ces crimes. 

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Le mois dernier, les États-Unis ont imposé des sanctions contre Mohamed al-Kani et les Kaniyat, quelques jours seulement après que la Russie a opposé son veto à une résolution proposée au Conseil de sécurité de l’ONU dans laquelle des sanctions étaient prévues.

L’année 2020 a également été marquée par un blocus pétrolier paralysant imposé aux exportations de pétrole libyennes qui a entraîné des pertes de revenus de 9,8 milliards de dollars ; les exportations n’ont repris que récemment suite à la levée d’un blocus de huit mois imposé par le camp de Haftar. 

Le blocus a presque certainement été soutenu par les partisans étrangers de Haftar, principalement les Émirats arabes unis et la Russie, qui y voyaient un moyen d’exercer une pression économique supplémentaire sur le gouvernement légitime de Tripoli. 

Un dialogue national

Un cessez-le-feu national a été déclaré en août par les camps rivaux et un accord a été officiellement signé à Genève en octobre, dans le cadre des pourparlers de la Commission militaire mixte libyenne (5+5) supervisés par l’ONU. 

L’accord de cessez-le-feu est fragile et il reste à voir si les éléments clés convenus, tels que le retrait de tous les mercenaires et combattants étrangers dans un délai de 90 jours, seront mis en œuvre. 

Le volet politique a également repris sous la houlette de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL), avec le lancement du Forum de dialogue politique libyen (FDPL) en septembre 2020 en Tunisie. 

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Le dirigeant du GNA Fayez al-Sarraj a fait part de son intention de démissionner et de passer le témoin à un nouveau leadership qui devait être choisi avant fin octobre.

Cependant, ce nouveau leadership demeure vague et les discussions n’ont pas encore abouti à un consensus sur un nouvel organe exécutif unifié ; Fayez al-Sarraj devrait ainsi rester en fonction jusqu’à ce qu’un accord politique puisse être conclu.

L’annonce par le FDPL de la tenue d’élections nationales dans toute la Libye le 24 décembre 2021 a renforcé les perspectives de paix et déclenché une relance des tentatives d’unification de l’actuelle Chambre des représentants, l’organe législatif libyen divisé qui a été élu en 2014.

Les délibérations au Maroc qui ont donné lieu à des sessions consultatives dans la ville de Ghadamès en Libye n’ont pas encore abouti à une réunification et à une réforme de la Chambre des représentants, ce qui laisse planer de nouveaux doutes et complique davantage l’orientation des pourparlers politiques menés actuellement par l’ONU.

Une Union européenne incohérente

La capacité de la Russie à consolider son engagement militaire et politique dans le conflit libyen sans que les États-Unis, l’Union européenne (UE) et la communauté internationale ne s’y opposent ou ne s’en préoccupent vraiment a été un autre développement majeur en 2020. 

L’UE s’est montrée incohérente à propos de la Libye en raison de divergences internes qui deviennent plus apparentes depuis le départ du Royaume-Uni, un membre clé. 

Les principales divergences et rivalités au sein de l’UE se sont manifestées entre l’Italie et la France, tandis que l’Allemagne poursuit sa propre voie diplomatique à travers l’initiative de la conférence de Berlin

Carte de la Libye

En revanche, la politique américaine vis-à-vis de la Libye sera très probablement réajustée et modifiée en 2021 sous la nouvelle administration Biden, qui adoptera une position plus dure à l’égard de l’ingérence militaire russe en Libye.

En 2021, la voie militaire (5+5) qui a engendré le cessez-le-feu convenu à Genève tiendra selon toute probabilité, malgré sa nature fragile, au vu de son caractère concret maintenant que Haftar n’est plus en mesure de prendre la décision de relancer sa campagne de guerre : en effet, la Russie consolide son emprise sur les options militaires de Haftar en Libye et détient les cartes militaires. 

Un autre facteur tient au fait que la Russie ne risquera probablement pas une confrontation militaire directe avec la Turquie en Libye, puisque la Turquie est un membre clé de l’OTAN. La Russie sera plus encline à soutenir une issue politique susceptible de garantir ses intérêts généraux en Libye, même sans Haftar, dont on sait qu’il ne représente pour elle qu’un simple intermédiaire.

Deux ressortissants russes accusés d’espionnage et détenus à Tripoli depuis mai 2019 ont été libérés ce mois-ci ; cette mesure était considérée comme une condition essentielle pour que Moscou réchauffe ses relations avec le GNA.

L’Égypte, un autre soutien financier important de Haftar, a également affiché sa volonté de soutenir une solution politique au conflit libyen, en particulier après avoir tendu la main aux principaux acteurs dans l’ouest de la Libye. Pour la première fois en six ans, l’Égypte a envoyé une délégation officielle la semaine dernière à Tripoli pour rencontrer des ministres et des responsables du GNA, ouvrant ainsi la voie à un retour à des relations diplomatiques normales entre Le Caire et Tripoli.

De bonnes nouvelles

Le volet économique pourrait également être source de bonnes nouvelles pour les Libyens en 2021 avec une réunification probable de la Banque centrale de Libye (BCL). Des réformes économiques urgentes, telles que l’unification des taux de change et le renforcement du dinar libyen, amélioreraient considérablement les conditions socio-économiques pour le peuple libyen.

Dix ans après le début de la révolution libyenne, les perspectives de paix en 2021 sont moins sombres qu’auparavant alors que l’espoir d’achever la transition entre une dictature et un État démocratique constitutionnel existe toujours.

Des manifestants libyens brandissent des pancartes et des drapeaux libyens lors d’un rassemblement sur la place des Martyrs de Tripoli pour protester contre la détérioration de la situation politique et sécuritaire et des conditions de vie, le 2 octobre (AFP)
Des manifestants libyens à Tripoli se rassemblent contre la détérioration de la situation politique, l’insécurité et les conditions de vie (AFP)

La solution politique finale qui apportera la paix et la stabilité dépend toutefois dans une large mesure de l’issue du processus politique actuellement mené par l’ONU, soutenu par une volonté internationale forte, étant donné que le volet politique est le plus difficile à résoudre. 

La tenue de nouvelles élections nationales dans tout le pays, qui ont été fixées par le FDPL pour décembre 2021, offre aux Libyens une occasion parfaite d’unir leurs institutions politiques et souveraines, de mettre fin à l’incompétence générale et aux échecs du statu quo et de se donner un nouveau départ en élisant librement de nouveaux dirigeants.

- Guma el-Gamaty, universitaire et homme politique libyen, est à la tête du parti Taghyeer en Libye et membre du processus de dialogue politique libyen soutenu par l’ONU. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @Guma_el_gamaty

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Guma El-Gamaty is a Libyan academic and politician who heads the Taghyeer Party in Libya and a member of the UN-backed Libyan political dialogue process. Follow him on Twitter: @Guma_el_gamaty
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