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Rumeurs et suspicions en Iran alors qu’augmente le nombre de décès dus au coronavirus

Tandis que la République islamique est désormais le pays le plus touché du Moyen-Orient par le virus chinois, de nombreux Iraniens se méfient de la manière dont le gouvernement gère la crise
Des Iraniennes portent des masques de protection pour ne pas contracter le coronavirus, alors qu’elles marchent dans la rue à Téhéran (Reuters)
Par Rohollah Faghihi à TÉHÉRAN, Iran

Les Iraniens n’imaginaient pas vraiment que la panique mondiale entourant le coronavirus viendrait les hanter.

Mais en l’espace d’une semaine, l’Iran est passé au premier plan à mesure que l’épidémie s’est propagée dans le pays, avec au moins 139 cas au total et 19 décès signalés par les autorités iraniennes.

Les premiers cas de la maladie – officiellement baptisée COVID-19 – ont été annoncés par le ministère iranien de la Santé à la veille des élections législatives du 21 février.

Mais le député Ahmad Amirabadi a affirmé lundi que le coronavirus s’était déclaré pour la première fois dans la ville sainte de Qom environ trois semaines auparavant.

Alors que l’image publique du gouvernement est déjà considérablement ternie par la tentative de dissimulation à la suite de l’affaire de l’avion de ligne ukrainien abattu, l’émergence du virus dans un pays déjà aux prises avec des sanctions américaines a semé la peur et la méfiance à l’égard des autorités, alors que des questions se posent sur l’ampleur réelle de l’épidémie en Iran et sur les mesures mises en place pour y remédier.

Le nombre de morts et les théories foisonnent

Cette nouvelle souche de coronavirus a fait son apparition en Chine en décembre 2019, où elle aurait tué jusqu’à présent plus de 2 500 personnes.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a signalé en février que 80 % des cas de COVID-19 ne présentaient que des symptômes bénins ressemblant à ceux de la grippe, et que seuls 2 % des cas avaient entraîné la mort. Bien que le COVID-19 ait un taux de mortalité beaucoup plus faible que les épidémies de virus similaires comme le SRAS ou le SRMO, il s’est propagé beaucoup plus.

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Mais alors que l’institution internationale a cherché à contrer les idées fausses entourant la maladie, les Iraniens se sont sentis laissés dans l’ignorance quant à l’ampleur de la maladie dans leur pays.

Selon une déclaration officielle du gouvernement iranien consultée par Reuters, le COVID-19 a entraîné la mort de 16 personnes et 61 autres personnes sont infectées. Pendant ce temps, les médias iraniens ont rapporté qu’une déclaration officielle avait indiqué que 916 autres patients étaient suspectés d’être porteurs de la maladie – mais qu’il s’agissait de cas non confirmés.  

Ahmad Amirabadi, le député de Qom, avait affirmé la veille qu’« une cinquantaine » de personnes étaient mortes à Qom.

Le vice-ministre iranien de la Santé, Iraj Harirchi, a rejeté les allégations d’Amiradabi, affirmant que si le député pouvait le prouver, il démissionnerait.

Harirchi a depuis été lui-même diagnostiqué comme porteur du coronavirus.

Un autre député de Qom, Alireza Zakani, s’est également joint à la mêlée. Ce parlementaire fraîchement élu a déclaré lundi que 42 personnes étaient mortes à Qom au cours des deux dernières semaines, dont neuf avaient été testées positives au COVID-19. Il a ajouté que 27 des 42 défunts étaient soupçonnés d’avoir contracté la maladie, tout en précisant que les résultats officiels des tests n’étaient pas encore publiés. 

Pour ajouter à la confusion, des messages sur les réseaux sociaux iraniens affirmaient que le coronavirus avait déjà coûté la vie à plus de 70 personnes à Qom. 

S’exprimant sous couvert d’anonymat, un infectiologue basé à Qom a déclaré à Middle East Eye qu’il avait personnellement été témoin des cas de neuf patients décédés avant le 20 février. 

Mais, a-t-il tempéré, « je pense que la raison pour laquelle le gouvernement ne dévoile pas la vérité, c’est qu’il veut éviter le chaos dans le pays et empêcher les gens d’avoir peur ».

La confiance des citoyens iraniens dans le gouvernement s’est considérablement érodée depuis qu’un avion de ligne d’Ukraine International Airlines s’est écrasé près de Téhéran le 8 janvier, tuant l’ensemble de 176 passagers, dont de nombreux Iraniens.

« Un certain nombre de radicaux ne veulent toujours pas comprendre dans quelle mesure cette maladie est mortelle »

- Masoud, habitant de Qom

Le crash s’est produit quelques heures après l’attaque, par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), de deux bases irakiennes accueillant des troupes américaines, mais le CGRI avait immédiatement nié tout lien entre l’attaque et le crash de cet avion… avant d’admettre deux jours plus tard que l’avion avait été touché par des missiles de son système de défense aérienne à la suite d’une erreur humaine.

Les radicaux ont accusé le gouvernement modéré iranien d’avoir révélé la présence du virus dans le pays juste avant les élections afin d’effrayer les gens et les détourner des urnes. D’autres critiques affirment que le gouvernement iranien était au courant que le COVID-19 avait atteint le pays, mais s’est abstenu d’annoncer la nouvelle afin d’assurer une forte participation électorale. 

« Nous ne pouvons pas encore dire si les choses deviennent dangereuses ou non », explique à MEE Mohammadreza Zahedpour, pneumologue à Téhéran. « Nous ne pouvons pas encore le prédire et je pense que tant que rien n’est définitif, nous ne devrions pas l’annoncer car cela ferait peur aux gens. »

Il a néanmoins ajouté : « Toutes les organisations en Iran doivent coopérer les unes avec les autres afin d’empêcher la maladie de se propager davantage dans le pays. Par exemple, il faudrait demander aux hôpitaux de signaler avec exactitude les causes de décès, afin que nous puissions en arriver à une conclusion à ce sujet.

« Ce qui importe, c’est que les gens s’abstiennent d’apparaître dans des endroits tels que les stades, les cinémas ou même les lieux saints pour la prière, parce que cette maladie ne présente aucun symptôme dans les premiers jours. »

Une ville sainte dans l’œil du cyclone 

Les suggestions de Zahedpour pour empêcher la propagation du virus semblent cependant plus faciles à dire qu’à faire, en particulier les appels à s’abstenir d’aller sur les sites religieux.

Qom, la ville la plus religieuse d’Iran où vivent la majorité des religieux et des grands ayatollahs, est au cœur de la République islamique – et de l’épidémie.

En tant que plus grand centre d’érudition islamique chiite au monde, la ville attire de nombreux étrangers – alimentant une fois de plus un déluge de spéculations parfois contradictoires sur la façon dont le COVID-19 est entré dans le pays.

Dimanche, le ministre de la Santé Saeed Namaki a annoncé que des enquêtes officielles avaient établi que l’une des premières victimes « était un commerçant de Qom qui s’était rendu en Chine par des vols indirects ».

D’autres responsables du ministère ont déclaré que ce sont les « travailleurs chinois » de Qom qui ont introduit le virus en Iran.  

Et lundi, le recteur de l’université médicale de Machhad a affirmé que « 700 religieux chinois » étudiant au séminaire de Qom étaient à l’origine de la propagation du coronavirus. 

Le même jour, l’ayatollah Alireza Araafi, haut responsable religieux et président des séminaires, a réfuté ces allégations, affirmant que seuls deux religieux chinois avaient été admis au séminaire au cours des deux derniers mois. Araafi a ajouté qu’ils avaient été maintenus en quarantaine pendant une période « suffisante » pour établir que le coronavirus « n’a[vait] rien à voir avec les religieux chinois ».

Un agent sanitaire iranien désinfecte le sanctuaire Fatima Masoumeh de Qom le 25 février 2020 pour empêcher la propagation du COVID-19 (AFP)
Un agent sanitaire iranien désinfecte le sanctuaire Fatima Masoumeh de Qom le 25 février 2020 pour empêcher la propagation du COVID-19 (AFP)

Pendant ce temps, l’ambiance est maussade à Qom. « Quand vous marchez dans les rues de Qom, la première chose qui attire votre attention est qu’une majorité de personnes porte un masque », indique à MEE Masoud, un habitant de la ville âgé de 24 ans. « Un grand nombre de personnes restent chez eux, c’est comme une quarantaine personnelle. »

Masoud a noté que les pharmacies étaient à court de masques à travers la ville « en l’espace de deux heures ». « C’est à cause de ceux qui amassent illégalement des masques afin de les revendre avec une énorme marge, ce qui est absolument immoral », a déclaré le jeune homme.

« Certaines personnes sont très déçues et maudissent les responsables. Ils estiment que le nombre de décès annoncés par le ministère de la Santé n’est pas vrai », ajoute Masoud.

Cet habitant de Qom accuse les responsables de la ville de ne pas prendre la maladie suffisamment au sérieux, soulignant que le président du sanctuaire de Fatima Masoumeh avait refusé de fermer les portes du lieu saint malgré les recommandations gouvernementales.

« Un certain nombre de radicaux ne veulent toujours pas comprendre dans quelle mesure cette maladie est mortelle », a déclaré Masoud. « Je ne sais pas ce qu’ils essaient de prouver. »

Les habitants désertent la capitale

Pendant ce temps, dans la capitale Téhéran, les rues habituellement animées se vident progressivement à mesure que de nombreuses entreprises privées, écoles et universités ferment leurs portes pour empêcher les infections.

De nombreux habitants de Téhéran ont décidé en conséquence de quitter la ville – une initiative qui pourrait en fait augmenter la propagation du COVID-19 dans tout le pays.  

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Comme les rumeurs effrayantes foisonnent, les gens affluent vers les marchés pour acheter des articles nécessaires et des fruits et légumes.

« J’ai attendu une demi-heure dans la file pour payer mes achats à l’épicerie », explique à MEE Reza Mardomi, un ingénieur civil. « Les épiceries et les marchés sont de plus en plus bondés, car les gens pensent que les aliments et les fruits sains et non infectés pourraient se raréfier dans un avenir proche. »

Selon l’OMS, le COVID-19 se transmet principalement d’une personne à l’autre, le virus ne survivant pas longtemps à l’extérieur du corps.

Alors que de nombreuses questions restent sans réponse quant à l’évolution du virus en Iran, l’économiste Jamshid Pajouian prédit que l’épidémie aura un effet négatif sur l’économie du pays, déjà sous la pression des sanctions américaines.

S’adressant aux médias locaux, le spécialiste a déclaré : « Nous sommes maintenant témoins d’une situation dans laquelle beaucoup de gens ne quitteront pas leur domicile [pendant un certain temps] pour acheter des produits non essentiels, [donc] beaucoup de produits ne se vendront plus.

« D’une part, les consommateurs y perdront, car les prix de certains produits de base augmenteront, tandis que d’autre part, les fournisseurs seront également confrontés à des pertes. Cela exerce une sorte de pression sur l’économie du pays et peut réduire considérablement le PIB. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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