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Israël : l’ère Netanyahou n’est pas encore terminée

L’influence du Premier ministre sur la politique intérieure et les relations à l’international ne va pas disparaître du jour au lendemain, et il a probablement encore plus d’un tour dans sa manche
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de la cérémonie de remise du prix Genesis 2016 à Jérusalem, le 23 juin 2016 (Reuters)
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de la cérémonie de remise du prix Genesis 2016 à Jérusalem, le 23 juin 2016 (Reuters)

Les opposants politiques de Benyamin Netanyahou ont finalement réussi à bricoler un gouvernement, en mélangeant des partis de gauche et de droite, laïcs et religieux, tous unis par l’objectif d’évincer le dirigeant israélien.

Pourtant, Netanyahou est toujours à la résidence du Premier ministre, rue Balfour à Jérusalem-Ouest. 

Jusqu’à ce que les déménageurs s’occupent de ses meubles et les transportent vers le nord jusqu’à sa maison dans la ville côtière huppée de Césarée, il usera de toutes les ruses dont il dispose pour faire de la nouvelle administration un échec avant même son entrée en fonction. Même une fois qu’il aura quitté ses fonctions, il ne faut pas considérer Netanyahou hors-jeu.

Il a encore le temps de mettre à mal la coalition naissante et fragile de Yaïr Lapid et Naftali Bennett. Oui, c’est peut-être limite, mais ce n’est pas encore fini.

Benyamin Netanyahou a dirigé Israël pendant quinze des 25 dernières années, en deux mandats. Même en dehors du poste de Premier ministre, il a laissé sa marque. 

Son influence sur la politique intérieure et les relations à l’international ne va pas disparaître du jour au lendemain, et il semble déterminé à rester sur la scène politique pour l’instant.

Après avoir été ambassadeur d’Israël aux États-Unis et à l’ONU dans les années 1980, il est devenu, lors des élections de 1996, le premier Premier ministre israélien né dans le pays. 

Bien que ce premier passage à Balfour ait été caractérisé par l’instabilité et l’échec, Netanyahou est redevenu Premier ministre en 2009 et l’est resté depuis.

Mais sa marge de manœuvres politiques s’est réduite. Des accusations de corruption pèsent contre lui. Il a beau les nier, celles-ci pourraient le conduire en prison. Il a affronté quatre élections non concluantes en deux ans, dont la moitié pendant une pandémie, et n’a pas été en mesure de faire voter un nouveau budget depuis 2018.

Middle East Eye passe en revue les façons dont Netanyahou peut encore s’assurer que les camions de déménagement restent au garage.

Jouer la montre jusqu’au vote de confiance

Netanyahou aura les yeux rivés sur son calendrier et plus précisément sur la date du mercredi 9 juin. C’est la date probable à laquelle tous les députés vont se réunir au Parlement israélien, la Knesset, et voter pour le nouveau gouvernement.

Bennett, chef du parti Yamina, devrait être Premier ministre pendant les deux premières années avant d’échanger son rôle avec Lapid de Yesh Atid, qui sera ministre des Affaires étrangères.

À en croire les commentaires israéliens, c’est un gouvernement bizarre. 

Lapid est celui à qui le président Reuven Rivlin a donné le mandat de former un gouvernement, mais c’est Bennett, un faucon d’extrême droite, qui le dirigera. La seule fois où un gouvernement a été formé ainsi, c’était dans les années 1960 : Levi Eshkol a formé une coalition pour que David Ben Gourion soit Premier ministre.

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De plus, Yamina n’a remporté que sept sièges lors des élections de mars 2021, ce qui en fait seulement le cinquième parti à la Knesset. L’un de ces députés, Amichai Chikli, a rompu avec le parti, refusant de siéger avec des rivaux tels que le Parti travailliste, Meretz et Raam.

C’est une faiblesse que Netanyahou cherchera à exploiter. Le nouveau gouvernement ne dispose que de 61 sièges, le strict minimum nécessaire pour gouverner. 

Une défection de plus au sein de Yamina ou d’un autre parti de droite renverserait Bennett avant même sa prise de fonction.

Il convient de noter qu’un récent sondage a montré que 60 % des électeurs de Yamina n’auraient pas voté pour le parti s’ils avaient su que Bennett rejoindrait cette coalition.

Le président de la Knesset, Yariv Levin, appartient au Likoud de Netanyahou et est un proche allié du Premier ministre. Il cherchera à retarder le vote le plus longtemps possible, pour laisser à Netanyahou le temps de convaincre tous les indécis, comme Nir Orbach de Yamina, de rompre avec Bennett.

Bien que Lapid ait appelé Levin à convoquer la Knesset dès que possible, le président a légalement le droit de retarder le vote d’une semaine. Il est donc concevable que les députés ne puissent voter que le 16 juin. En politique, c’est très long.

Flairant le plan de Netanyahou, les membres des partis Yesh Atid et Yamina ont discuté de la possibilité de remplacer Levin.

Dans une intervention télévisée, Naftali Bennett s’est adressé dimanche soir à Netanyahou pour lui demander de « cesser » la campagne « violente » contre les élus de droite de la nouvelle coalition.

« D’une part, il y a des critiques légitimes, de l’autre une attitude inquiétante », a-t-il affirmé.

Il a par ailleurs appelé le président du Parlement à annoncer lundi que le vote de confiance pour le nouveau gouvernement se tiendra mercredi.

« Nous savons que Netanyahou met la pression pour retarder ce vote afin de tenter de trouver des déserteurs mais vous devez agir pour le bien de l’Etat d’Israël, pas pour celui de M. Netanyahou », a déclaré Naftali Bennett.

Miser sur les « Bibistes »

Netanyahou tentera très probablement de détourner les députés de droite du nouveau gouvernement avec diverses promesses. Mais il existe d’autres moyens de faire pression sur eux.

Dimanche, lors d’un rassemblement de membres de son parti, le Likoud, il a condamné ce qu’il a qualifié de « plus grande fraude électorale de l’histoire du pays ».

Il a décrit le nouveau gouvernement, qui devrait présenter le législateur d’extrême droite Naftali Bennett comme Premier ministre, comme un « gouvernement de gauche dangereux » soutenu par des « partisans du terrorisme » et a déclaré qu’il serait incapable de tenir tête aux ennemis d’Israël.

Le Premier ministre a une base agressive et loyale de partisans connus sous le nom de « Bibistes », qui pourraient occuper les rues pour protester contre le gouvernement et paralyser Israël.

Des manifestations ont déjà commencé la semaine dernière devant les domiciles des opposants à Netanyahou, qui ont reçu des menaces de mort. 

Samedi soir, Nadav Argaman, le patron du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien), est sorti de son habituelle réserve pour mettre en garde contre « une augmentation des discours incitant à la violence, notamment sur les réseaux sociaux ». 

Il a exhorté les responsables politiques de tous les partis à « appeler clairement à la fin de ces discours », qui peuvent être « compris par certaines personnes ou certains groupes comme un permis pour commettre des violences » pouvant aller jusqu’à entraîner des « blessures mortelles ».

Le Shin Bet a envoyé des gardes du corps auprès de Bennett et de sa numéro deux au sein de Yamina, Ayelet Shaked, une mesure sans précédent. Lapid en a déjà un en tant que chef officiel de l’opposition.

Des partisans de Benyamin Netanyahou lors d’une manifestation contre la coalition pour former un gouvernement, à Tel Aviv, le 3 juin 2021 (AFP/Jack Guez)
Des partisans de Benyamin Netanyahou lors d’une manifestation contre la coalition pour former un gouvernement, à Tel Aviv, le 3 juin 2021 (AFP/Jack Guez)

Après la prise d’assaut du Capitole américain le 6 janvier, les commentateurs israéliens craignent que les partisans de Netanyahou en fassent un remake dans les rues de Jérusalem et entrent à la Knesset.

Bien que cela semble spéculatif, les groupes de soutien de Netanyahou, tels que La Familia, ont l’habitude d’agresser des manifestants anti-Netanyahou à Tel Aviv. Le Likoud reste le plus grand parti, avec 30 sièges, et des dizaines de députés de différents partis de droite restent fidèles à Netanyahou. 

Les analystes israéliens établissent un parallèle entre le personnage narcissique « l’État, c’est moi » de Netanyahou et son ami, l’ancien président américain Donald Trump.

Pendant ce temps, Israël est encore sous le choc des affrontements violents entre les citoyens juifs et palestiniens le mois dernier pendant la guerre contre Gaza

Ce bouleversement, y compris la répression israélienne contre le quartier Sheikh Jarrah de Jérusalem et la mosquée al-Aqsa, a presque anéanti toute chance que le parti Raam de Mansour Abbas rejoigne la coalition de Lapid.

Netanyahou joue sur l’incitation antipalestinienne, avertissant notoirement que les Arabes votaient « en masse » lors de l’élection israélienne de 2015. 

De nouvelles tensions raciales et de nouveaux conflits pourraient faire pression sur Raam, le premier parti palestinien à siéger dans une coalition gouvernementale.

Peser comme chef de l’opposition

Dans le cas où Netanyahou serait finalement envoyé sur les bancs de l’opposition, il pourrait saborder ses adversaires et provoquer une cinquième élection de mille façons.

La nouvelle administration est composée de partis qui ont des idéologies très opposées et qui sont en désaccord sur presque tous les grands sujets, notamment le système judiciaire, l’immigration, l’éducation, la communauté palestinienne et la colonisation en Cisjordanie occupée.

Pour que l’administration Bennett-Lapid dure, elle doit éviter les sujets conflictuels qui ouvriraient la boîte de Pandore.

Le leader islamiste Abbas est apparemment l’un des points faibles du gouvernement. Le chef de Raam a gardé un canal ouvert avec Netanyahou jusqu’à la dernière minute, avant de signer l’accord de coalition avec Lapid et Bennett.

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Le mantra politique d’Abbas est que son parti n’est ni de gauche ni de droite, et qu’il cherche à satisfaire les demandes des citoyens palestiniens d’Israël, qui représentent 20 % de la population israélienne. 

Son parti dispose de quatre sièges et a promis de résoudre la crise du logement et d’assurer un meilleur statut municipal aux collectivités non reconnues du Néguev s’ils s’impliquent dans un futur gouvernement.

Mais Raam siège maintenant avec trois partis de droite – Yamina, Nouvel Espoir de Gideon Saar et Israel Beytenou d’Avigdor Lieberman – dont les membres ont régulièrement épousé des opinions racistes et anti-arabes.

Lieberman, né en Moldavie et fervent laïc, s’est opposé par le passé à rejoindre un gouvernement comprenant des citoyens palestiniens d’Israël. Il reste à voir comment les électeurs de son parti et d’autres réagiront à une présence au sein d’un gouvernement avec Raam.

D’autres désaccords pourraient apparaître sur l’éducation, un portefeuille qui devrait être pris par Nouvel Espoir. Le méli-mélo des partis fait qu’il est probable que des querelles éclateront sur la question de savoir s’il faut donner la priorité aux programmes religieux ou laïcs, et s’il faut laisser aux groupes de défense des droits qui ont qualifié Israël d’« État d’apartheid », comme B’Tselem, une tribune dans les écoles et les universités afin de donner des conférences.

Ce ne sont là qu’un aperçu des désaccords susceptibles de surgir, et que Netanyahou et ses alliés pourraient attiser et exploiter pour accélérer la disparition de la coalition.

Encourager un conflit régional

C’est probablement le cauchemar du président américain Joe Biden, mais cela pourrait être l’issue de secours de Netanyahou. 

La nouvelle administration américaine a modifié sa politique étrangère pour donner la priorité à la Chine et à la Russie, s’éloignant du Moyen-Orient.

Ce n’est toutefois pas facile à faire, et comme on l’a constaté le mois dernier avec la guerre à Gaza et la répression israélienne en Israël, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, des crises peuvent éclater à tout moment.

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Le conflit à Gaza, au cours duquel Israël a tué 248 Palestiniens, dont 66 enfants, et les roquettes palestiniennes ont fait douze morts en Israël, s’est terminé après onze jours sans la victoire nette espérée par Netanyahou. Pendant un certain temps, il a semblé que cela ferait dérailler les efforts pour former un gouvernement et forcerait l’organisation d’une cinquième élection.

Les tensions avec l’Iran, rival régional, persistent. Le 1er juin, lors de la cérémonie de nomination du nouveau chef du Mossad, Netanyahou a déclaré, à propos de l’Iran : « Si nous devons choisir, j’espère que cela n’arrivera pas, entre les frictions avec notre grand ami les États-Unis et l’élimination de la menace existentielle, l’élimination de la menace existentielle » l’emporte. 

Ces dernières semaines, Israël et l’Iran ont mené une campagne de représailles de sabotage en mer. Mercredi, le plus grand navire de guerre iranien a pris feu et a coulé, et bien qu’il n’y ait aucune indication qu’Israël était responsable, il existe néanmoins des soupçons.

Mais encore, les chances qu’un tel scénario se déroule sont minces.

Netanyahou a autorité sur les opérations du Mossad, mais pas sur l’armée, le Shin Bet et le renseignement militaire. En 2019, avant les élections de septembre, Netanyahou a encouragé une guerre dans la bande de Gaza, mais a été contrarié par les chefs militaires.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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