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Élections palestiniennes : la résurrection de Salam Fayyad

La candidature de l’ancien Premier ministre palestinien met en lumière une lutte pour le pouvoir impliquant Israël, l’Occident et des personnalités concurrentes au sein de l’AP et du Fatah
Salam Fayyad, alors Premier ministre de l’Autorité palestinienne, traverse un check-point israélien en Cisjordanie occupée en 2013 (AFP)

Une lutte intense pour le pouvoir se joue actuellement au sein de la direction du Fatah en vue des élections de l’Autorité palestinienne (AP) prévues en mai prochain. Ce n’est pas une rivalité entre conservateurs de droite, libéraux centristes et socialistes radicaux, mais plutôt une bataille entre différentes factions et personnalités pro-Oslo, néolibérales et de droite.

La direction actuelle du Fatah et de l’Autorité palestinienne ne prend aucun risque, et a notamment adressé une menace à peine voilée à Marouane Barghouti, dirigeant du Fatah qui se languit dans une prison israélienne depuis 2002 mais qui demeure actif au sein du mouvement depuis sa cellule. Et il y a quelques jours, le Fatah a expulsé du parti Nasser al-Qudwa, neveu de l’ancien dirigeant Yasser Arafat, pour avoir voulu défier le président Mahmoud Abbas lors des prochaines élections.

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Mais ceux qui ont l’intention de sauver l’AP d’Abbas, que ce soit par le biais de rivaux internes du Fatah ou de personnalités technocratiques « indépendantes », ne sont pas en reste ; ils viennent de révéler leur dernier candidat en date aux élections : l’ancien Premier ministre de l’Autorité palestinienne Salam Fayyad, qui a récemment annoncé dans une interview au journal palestinien Al-Qods qu’il retournait en Cisjordanie occupée par Israël pour se présenter aux élections en tant qu’indépendant.

Gouvernement d’unité nationale

Fayyad a déclaré que le bloc parlementaire qu’il entendait former serait composé de « personnalités indépendantes » et qu’ils mèneraient leur campagne avec « transparence et honneur ».

Il a ajouté que les élections devraient établir un gouvernement d’unité nationale qui inclurait tout le monde, « et non un gouvernement majoritaire ». Il a néanmoins exprimé des inquiétudes quant à la faisabilité d’une telle unité via des élections, compte tenu des divisions entre les factions palestiniennes, en particulier le Fatah et le Hamas, et de la répression de la liberté d’expression par l’Autorité palestinienne et le Fatah qui la dirige.

Fayyad, qui a été Premier ministre de l’Autorité palestinienne de 2007 à 2013, après le coup d’État du Fatah contre le Hamas, est actuellement chercheur invité à l’université de Princeton. Il a quitté la scène palestinienne après s’être essayé à la direction d’une ONG dont les fonds ont été saisis en 2015 par un tribunal de l’Autorité palestinienne, qui l’a accusée d’utiliser ses fonds à des fins politiques et non philanthropiques – une accusation démentie par Fayyad.

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Le CV de Salam Fayyad inclut une mission pour le Fonds monétaire international (FMI) de 1987 à 2001, où il a notamment officié en tant que représentant de l’organisation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. En 2002, il est devenu le ministre des Finances de l’Autorité palestinienne.

Alors qu’il était Premier ministre en 2009, Fayyad – surnommé par feu le président israélien Shimon Peres « le premier Ben Gourioniste des Palestiniens » – a prédit qu’un État palestinien serait établi d’ici 2011. Plus d’une décennie après cette prédiction qui ne s’est jamais réalisée, il semble avoir mis de côté ses propres espoirs et, si l’on en croit ses récentes déclarations, avoir radicalement changé de cap.

Au cours de son long mandat en tant que Premier ministre, Fayyad a reconnu Israël en tant que « pays biblique ».

« En lien avec l’éthos sioniste, d’accord, Israël est un pays biblique, il y a beaucoup de collines, beaucoup d’espace vacant, pourquoi [les colons] ne l’utilisent-ils pas et ne nous laissent-ils pas aller de l’avant ? », a-t-il déclaré.

Or dans son récent entretien, il a insisté sur le fait que les Palestiniens devraient à présent revendiquer leurs droits nationaux dans toute la « Palestine historique ».

Réprimer les Palestiniens

Lorsqu’il était au pouvoir, Fayyad a présidé à la répression de toutes les formes de résistance palestinienne à Israël, qualifiées d’« incitation à la haine », y compris la liberté d’expression et d’action politique.

Alors que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne formées par les États-Unis réprimaient les Palestiniens, Fayyad assurait aux lecteurs israéliens dans une interview pour Haaretz : « L’incitation à la haine peut prendre de nombreuses formes – des choses dites, des choses faites, des provocations – mais il existe des moyens de le gérer. Nous nous en occupons. »

Pour autant, non seulement Fayyad s’est présenté comme un démocrate au-dessus de la politique partisane et du conflit opposant le Fatah et le Hamas, mais il a également insisté sur le fait qu’il mobilisait l’appareil de sécurité de l’AP, formé sous la supervision du lieutenant général américain Keith Dayton, pour réprimer seulement ceux qui violaient la loi de part et d’autre.

Dans une interview publiée par le Journal of Palestine Studies (JPS), basé à Washington, il a insisté sur le fait qu’il s’opposait aux violations des droits de l’homme, à la torture et aux arrestations à caractère politique, en dépit du terrible bilan sur tous ces fronts de ses propres forces de sécurité, qui à ce moment ciblaient en particulier tout individu associé au Hamas.

Des Palestiniens manifestent contre la gouvernance de Salam Fayyad à Naplouse en 2012 (AFP)
Des Palestiniens manifestent contre la gouvernance de Salam Fayyad à Naplouse en 2012 (AFP)

Salam Fayyad a également abandonné allègrement le droit au retour du peuple palestinien dans les maisons et terres dont il avait été expulsé en 1948 par des colons juifs européens lors de la Nakba, déclarant : « Bien sûr, les Palestiniens auraient le droit de résider dans l’État de Palestine », celui qui serait établi dans certaines parties de la Cisjordanie et de Gaza.

Il s’est montré également assez flexible sur la question de Jérusalem. Dans la version arabe originale de son interview pour JPS publiée dans la revue beyrouthine Majallat al-Dirasat al-Filastiniyya en 2009, Fayyad était tellement préoccupé par le vol colonial israélien de Jérusalem qu’il a sobrement recommandé une normalisation arabe complète avec Israël pour y mettre un terme : « L’identité arabe de la ville sera renforcée lorsque les Arabes viendront la visiter, pas quand ils la boycotteront sous prétexte que la visiter serait un acte de normalisation avec l’occupant. Je pense qu’il est du devoir des Arabes de visiter Jérusalem et je les y encourage vivement, car ce faisant, ils soutiendraient et renforceraient la dimension arabe de l’identité de Jérusalem », a-t-il soutenu.

Contrairement à ses déclarations précédentes, le nouveau Fayyad radical semble catégorique quant à l’idée que Jérusalem doive être revendiquée par les Palestiniens, affirmant que ce serait un test pour l’administration Biden, qui ne lui inspire aucun optimisme, pour renverser la politique de l’administration Trump.

Coalition réformiste

En rupture avec ses anciennes positions favorables à Israël, dans son récent entretien, Fayyad a appelé à abandonner la solution à deux États et a étonnamment insisté sur le droit des Palestiniens à toute la « Palestine historique », dont la réalisation devrait être poursuivie au niveau international en tant que position Palestinienne unifiée.

Le nouveau Fayyad radical a même insisté pour que le Fatah adopte la ligne que le Hamas et le Jihad islamique ont toujours exprimée, à savoir que les élections ne se tiennent pas sous la rubrique des accords d’Oslo, comme insiste le Quartet récemment ressuscité (États-Unis, ONU, Union européenne et Russie), mais plutôt sur la base d’un rejet total d’Oslo. Il a demandé aux Palestiniens de Jérusalem-Est occupée de participer au vote, comme ils avaient pu le faire lors de précédentes élections de l’AP.

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Interrogé par Al-Qods sur les rumeurs selon lesquelles il pourrait se présenter aux élections sur la base d’une initiative du gouvernement émirati, qui a récemment normalisé les relations avec Israël, Fayyad a catégoriquement nié.

Le sondeur palestinien Khalil Shikaki, chercheur principal au Crown Center for Middle East Studies de l’université Brandeis aux États-Unis, a déclaré que « si Fayyad est n° 2 sur une liste créée par Marouane Barghouti et dirigée par Nasser al-Qudwa, ou faisant partie d’une coalition réformiste plus large, leur chances de capter les votes du Fatah augmenteraient considérablement. Associée à une liste électorale de gauche unifiée, une telle coalition réformiste pourrait influencer la composition de la prochaine coalition gouvernementale palestinienne ».

Cela donne à penser que l’indépendance politique que Fayyad revendique pourrait devoir dépendre – ou être complice – de la faction anti-Abbas au sein du Fatah afin de remporter la victoire électorale. Une floppée d’intellectuels palestiniens pro-Oslo et pro-occidentaux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Palestine, ont exprimé leur enthousiasme face au retour de Fayyad dans la vie politique palestinienne.

Des implications intrigantes

Ce n’est pas la première fois que Fayyad participe au cirque électoral. Il a connu une difficile course pour le retour en 2006, lorsqu’il s’est présenté sur la liste dite de la « Troisième voie », cofondée avec la femme politique palestinienne Hanan Ashrawi – une liste qualifiée également d’« indépendante » vis-à-vis des autres factions palestiniennes.

À l’époque, le Fatah a accusé la Troisième voie d’être financée par la CIA, ce que ses fondateurs ont nié. Lorsque les élections ont eu lieu, la Troisième voie a obtenu un score mirobolant de 2,4 % des voix... On ne sait quel pourcentage du vote Fayyad espère obtenir aux élections de mai prochain.

La résurrection de Fayyad de sa retraite politique est de fait un événement des plus intrigants. Certains dans les couloirs du pouvoir israélien, arabe et occidental semblent faire tout leur possible pour réaménager le régime de l’AP et sa collaboration avec Israël, et ainsi les machinations de l’occupation israélienne elle-même, en vue de mettre fin définitivement à toute forme de résistance palestinienne, avec une version allégée sous Biden de « l’accord du siècle » de Trump.

Les élections de l’Autorité palestinienne sont le jeu dans lequel se déploie cette stratégie impériale et israélienne, ainsi que celle des collaborateurs concurrents de l’AP et du Fatah qui réclament le pouvoir.

- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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