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La Turquie envoie des combattants rebelles syriens affronter Haftar en Libye

La Division Sultan Mourad, la Brigade des faucons du Levant et la Légion du Levant font partie des groupes envoyés en Afrique du Nord
Combattants syriens soutenus par la Turquie sur une route entre Tal Abyad et Kobané, villes du nord de la Syrie (AFP)

La Turquie déploiera des combattants rebelles syriens en Libye pour lutter contre les forces de Khalifa Haftar, ont indiqué des sources à Middle East Eye.

Ankara a déjà contacté plusieurs groupes rebelles syriens alliés au sujet de ce déploiement, a déclaré à MEE une source de l’opposition syrienne.

Selon une source turque, la Division Sultan Mourad (groupe armé turkmène soutenu et financé par la Turquie) ferait partie des groupes qui doivent être envoyés en Afrique du Nord.

La Brigade des faucons du Levant a déjà accepté le plan et transféré certaines de ses forces en Turquie

La Brigade des faucons du Levant (Liwa Suqour al-Cham), faction créée pour combattre les forces gouvernementales syriennes au début de la guerre en Syrie, a déjà accepté le plan et transféré certaines de ses forces en Turquie avant le déploiement, précise la source de l’opposition syrienne.

La Légion du Levant (Faylaq al-Cham), un groupe rebelle étroitement lié à Ankara, devrait mener l’offensive, ses membres étant depuis longtemps des partenaires des forces libyennes.

« Les forces basées à Tripoli ont, auparavant, envoyé des armes et des munitions pour aider les rebelles syriens en 2011. Ils ont même envoyé des commandants pour les aider », a encore indiqué la source syrienne. « La Légion du Levant a rendu la pareille en envoyant des responsables conseiller les forces basées à Tripoli en 2014 contre les forces de Benghazi. »

Un entraînement dans un camp fermé

Le gouvernement intérimaire syrien d’opposition a nié qu’il enverrait des troupes en Libye.

« Nous nions catégoriquement l’envoi de nos forces et de nos formations militaires en Libye, et notre priorité dans l’Armée nationale syrienne est de protéger notre peuple syrien contre les milices du régime et ses partisans russes et iraniens », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Mais une source a affirmé à MEE que certains combattants étaient arrivés en Libye il y a quelques jours et y suivaient un entraînement dans un camp fermé.

« Un jour après leur arrivée, ils ont été autorisés à utiliser leur téléphone pour parler à leur famille », a indiqué notre interlocuteur.

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« Ils ont été envoyés à Tripoli à la demande d’un commandant militaire turc, qui a été transféré par Ankara de Syrie en Libye », a-t-il ajouté.

Parallèlement, un militant de la ville syrienne d’Afrin, à une vingtaine de kilomètres de la frontière turque, a confié à MEE : « Des dizaines de combattants qui ont précédemment servi dans la Ghouta orientale ont récemment été transférés de la ville de Jarablus à Afrin en préparation de leur transfert en Libye. »

« La plupart des combattants appartiennent à la Brigade al-Moutasem, à la Division Sultan Mourad, à la Division al-Hamza et aux Hommes libres de l’est [Ahrar al-Charqiya] », a-t-il précisé. « Chaque combattant recevra 300 $ [268 euros] lors de la signature du contrat en Syrie et  2 000 $ [1787 euros] par mois en Libye. »

« Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont »

La Libye et la Syrie sont, depuis 2011, impliquées dans des conflits consécutifs à des soulèvements contre Mouammar Kadhafi et Bachar al-Assad.

En Libye, les combattants soutenus par l’OTAN ont renversé Kadhafi. Mais depuis, les troubles se sont poursuivis : ces dernières années, les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée, sous les ordres de Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est, se sont affrontées au Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli.

En Syrie, pendant ce temps, Assad a, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, fait reculer le contrôle rebelle dans une poche du nord-ouest du pays.

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Des groupes soutenus par la Turquie détiennent des territoires dans la province d’Alep et ont combattu ces derniers mois les forces kurdes dans le nord-est à la demande d’Ankara, plutôt que les troupes d’Assad.

Ces derniers jours, les forces gouvernementales prosyriennes ont mené une offensive féroce contre le nord-ouest de la province d’Idleb, dernier bastion de l’opposition.

Les Nations unies ont déclaré vendredi que 235 000 civils à Idleb avaient fui leurs maisons pour échapper aux bombardements des forces d’Assad au cours des deux dernières semaines.

De nombreux groupes qui pourraient être envoyés en Libye au nom de la Turquie ont une réputation controversée et ont été accusés de crimes de guerre contre des civils kurdes. Amnesty International a accusé certains groupes soutenus par la Turquie d’exécutions sommaires et d’enlèvements.

De nombreux groupes qui pourraient être envoyés en Libye au nom de la Turquie ont une réputation controversée et ont été accusés de crimes de guerre contre des civils kurdes

L’ONU a déclaré qu’une faction de l’armée nationale rebelle syrienne était, selon elle, responsable du meurtre d’Hevrin Khalaf, une femme politique kurde qui aurait été traînée hors de sa voiture et abattue aux côtés d’autres civils.

Le déploiement des forces turques en Libye, où l’allié d’Ankara, le GNA, repousse un assaut de l’ANL sur Tripoli, est attendu.

Rencontre avec Kais Saied

Jeudi, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré qu’une loi visant à envoyer des troupes en Libye était en cours de préparation après une demande officielle d’assistance formulée par le GNA reconnu par l’ONU.

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Le Parlement turc devrait voter sur le déploiement le 8 ou le 9 janvier, et son adoption devrait être une formalité.

Erdoğan s’est rendu en Tunisie mercredi pour des consultations et a rencontré son homologue tunisien Kais Saied. Le président turc a déclaré que la Tunisie avait accepté d’aider le GNA, mais les Tunisiens ont démenti.

Le ministre de l’Intérieur du GNA a averti jeudi les voisins nord-africains de la Libye des répercussions si Haftar, soutenu par les Émirats arabes unis et l’Égypte, devait prendre Tripoli.

« Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont à leur tour. C’est une tentative de semer le chaos dans la région et d’exercer un contrôle sur l’Afrique du Nord », a-t-il déclaré.

Un rapport de l’ONU finalisé en novembre a indiqué que les deux parties en Libye avaient reçu des armes, du matériel et des combattants étrangers en violation d’un embargo international sur les armes.

« La Jordanie, la Turquie et les Émirats arabes unis ont fourni des armes de façon régulière et parfois flagrante, déployant peu d’efforts pour dissimuler la source », a indiqué le rapport.

Tchad et Soudan

Le rapport a confirmé que 1 000 combattants avaient été envoyés pour soutenir Haftar par la fameuse milice soudanaise des Forces de soutien rapide (RSF), qui combattait déjà sous la coalition dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen.

Il a également identifié la présence d’autres groupes du Tchad et de la région soudanaise du Darfour, qui bordent tous les deux la Libye au sud.

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Les experts de l’ONU qui ont rédigé le rapport ont déclaré qu’ils continuaient d’enquêter sur le rôle de la firme canadienne Dickens et Madson dans le déploiement des  RSF, ce qui a été mentionné dans un contrat de lobbying signé avec le chef des milices paramilitaires Mohammed Hamdan Dagolo en mai 2019.

Le chef de Dickens et Madson, Ari Ben-Menashe, représente Haftar et plusieurs autres clients libyens, apparemment des deux côtés du conflit, depuis la chute de Kadhafi.

Erdoğan a justifié le déploiement de troupes prévu par la Turquie en disant que les forces de Haftar étaient soutenues par le groupe Wagner, une société de sécurité russe.

« Ils aident un seigneur de guerre. Nous répondons à une invitation du gouvernement légitime de la Libye », a déclaré Erdoğan. « Voilà notre différence. »

Le groupe Wagner est un groupe militaire privé soutenu par le Kremlin qui a également été impliqué dans la guerre civile syrienne, où Moscou soutient Assad contre les forces rebelles.

Le groupe militaire serait également actif au Soudan et en République centrafricaine, où il assurerait la sécurité personnelle du président Faustin-Archange Touadéra.

Traduit de l’anglais (original).

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