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MBS est discrètement en train de rendre possible un axe israélien dans le monde arabe

Usant de l’influence saoudienne et de la promesse de récompenses financières, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane peut continuer à convertir davantage de pays arabes à la normalisation
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (AFP)

Selon les allégations du milliardaire israélo-américain Haim Saban, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) est réticent à l’idée de se précipiter dans une normalisation avec Israël car il craint que l’Iran, le Qatar ou « son propre peuple » ne le tue. Ces propos sont à prendre avec des pincettes.

En vérité, MBS redoute davantage un meurtre au sein du palais qu’un meurtre par le peuple, l’Iran ou encore le Qatar. Le scénario catastrophe pour lui serait de régner en tant que roi ayant brisé le consensus royal et humilié un tas de rivaux au sein de la famille royale.  

MBS n’est pas l’Égyptien Anouar al-Sadate, assassiné en 1981 après avoir signé le premier traité de paix historique avec Israël

Le prince héritier saoudien ne se hâtera pas de rendre publiques ses relations avec Israël s’il peut garder le secret là-dessus. Pourquoi devrait-il signer un accord controversé avec Israël alors que cela lui coûterait bien plus que d’entretenir une alliance secrète ?

La crainte d’être tué par l’Iran, le Qatar ou son propre peuple est infondée car aucun de ces trois groupes n’envisage ou n’est capable de perpétrer un assassinat.  

MBS n’est pas l’Égyptien Anouar al-Sadate, assassiné en 1981 après avoir signé le premier traité de paix historique avec Israël (en 1979, suite aux accords de Camp David), ce qui avait choqué de nombreux Arabes, dont les Saoudiens. Le défunt roi Fahd, qui avait organisé un boycott momentané de l’Égypte pour contenter une opinion saoudienne en colère et le monde arabe au sens large, ne tarda pas à revenir sur sa politique et s’efforça de ramener l’Égypte dans le giron arabe. 

Aujourd’hui, la situation est différente. Le régime saoudien en général – et MBS en particulier – peut s’avérer plus utile à la cause de la normalisation avec Israël sans entretenir une relation ouverte où on verrait le drapeau israélien hissé à Riyad. MBS peut œuvrer comme intermédiaire, facilitateur, agent en coulisses, se servant de l’influence saoudienne et de la promesse de récompenses financières pour convertir davantage de pays arabes à un axe israélien dans la région.

Égide saoudienne 

Jusqu’à présent, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan sont bien engagés sur la voie d’une normalisation sous l’égide des Saoudiens, sans que MBS ne fasse lui-même un pas vers ce qui pourrait être perçu comme un soutien explicite au président américain Donald Trump et à sa campagne de réélection, alors que les sondages montrent actuellement que le candidat démocrate Joe Biden est favori.

En outre, MBS hésitera à rejoindre ce nouvel axe si lui et son père, le roi Salmane, continuent à attirer l’attention sur le respect des initiatives de paix arabe, telle celle annoncée par le roi Fahd dans les années 1980. 

Par ailleurs, en attendant le bon moment pour affirmer publiquement la normalisation, le prince héritier peut convertir davantage de pays arabes à la normalisation, gagnant ainsi les faveurs de Washington tout en soutenant les droits des Palestiniens en apparence.

Des Palestiniens brûlent des photos du président américain, du prince héritier d’Abou Dabi et de MBS lors d’une manifestation contre l’accord émirati avec Israël, à Ramallah, le 15 août 2020 (Reuters)
Des Palestiniens brûlent des photos du président américain, du prince héritier d’Abou Dabi et de MBS lors d’une manifestation contre l’accord émirati avec Israël, à Ramallah, le 15 août 2020 (Reuters)

Dans le même temps, MBS peut continuer à déployer ses ressources médiatiques pour éroder le soutien de l’opinion publique arabe aux Palestiniens jusqu’à atteindre le point critique où la normalisation saoudienne deviendra un fait accompli qui ne pourrait ni lui coûter la vie, ni saper la légitimité du régime saoudien. 

Trump et Israël devront attendre de voir si la campagne de MBS visant à éroder les droits des Palestiniens porte ses fruits. Trump pourrait bientôt quitter la Maison-Blanche, mais MBS semble devoir lui survivre. Si MBS craint légitimement pour sa vie, alors le danger ne vient pas des trois groupes qu’il a désignés à Haim Saban.

Révolution de palais

La véritable menace pour MBS vient de sa propre famille, plutôt que de « son propre peuple » (par lequel il doit entendre le peuple saoudien, lequel n’a jamais assassiné un quelconque membre de la famille royale saoudienne). Historiquement, tous les assassinats dans le royaume ont été perpétrés par des membres de la Maison des Saoud. 

MBS peut continuer à déployer ses ressources médiatiques pour éroder le soutien de l’opinion publique arabe aux Palestiniens

Depuis le XIXe siècle, les princes et rois saoudiens assassinés l’ont été par un frère, un oncle ou un neveu. Le dernier meurtre au sein du palais, en 1975, fut celui du roi Fayçal, abattu par son jeune neveu, également prénommé Fayçal. Ni la cause palestinienne ni aucune autre cause n’a motivé ces meurtres.

Il s’agissait simplement d’homicides commis dans le cadre familial, motivés par la revanche, la trahison et les luttes de pouvoir au sein de la famille royale. Voilà ce que craint véritablement MBS, pas les propos attribués au prince héritier et rapportés par Saban. 

Et MBS a de nombreuses raisons de craindre davantage un assassinat de la main de ses proches plutôt que d’être assassiné en raison de son abandon de la cause palestinienne ou de la normalisation des relations avec Israël. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, MBS a poursuivi une politique de détention des princes pouvant s’avérer des rivaux.

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Jusqu’à présent, il n’a pas exécuté ses détracteurs royaux (bien que les exécutions de manifestants pacifiques sont en plein essor), mais nous n’aurons peut-être plus longtemps à attendre avant que MBS ne commence à envisager d’éliminer ses rivaux. Il a brisé le consensus royal et poursuivi des politiques qui minent le régime dans son ensemble plutôt que ses simples chances de devenir roi.

On attend encore qu’émerge un prince qui croit que MBS est un danger pour l’ensemble de la famille. Si et lorsque cela arrivera, alors les enjeux augmenteront considérablement. 

Lavage de cerveau médiatique

Bien entendu, beaucoup en Arabie saoudite continueront à s’opposer à la normalisation avec Israël. Mais ceux-ci sont progressivement endoctrinés à accepter une telle normalisation avec l’aide des médias saoudiens. Franchement, la plupart des Saoudiens ont plus important en tête.

De leur niveau de vie qui décline aux craintes de luttes de pouvoir au sein de la famille royale, les Saoudiens commencent à ressentir l’insécurité de leur vie sous un régime qui a pillé leurs richesses et les a réprimés, les privant d’une vie décente dans l’un des pays les plus riches au monde.

MBS a de nombreuses raisons de craindre davantage un assassinat de la main de ses proches plutôt que d’être assassiné en raison de son abandon de la cause palestinienne

MBS doit encore réconcilier sa propre famille et s’assurer le trône sur fond d’insécurité générale dans le royaume.

Le « peuple » de MBS n’est pas composé d’assassins ou de traîtres. Les Saoudiens veulent simplement une vie décente et un mot à dire sur la façon de diriger leur pays.

Le prince héritier ne sera jamais à l’écoute de leurs besoins, mais ses propres proches pourraient s’impatienter lorsqu’il accédera au trône. 

- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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